Muer les sons en énergie sociale

Compositeur burkinabé tombé tout gamin dans la marmite des sons, Ye Lassina Coulibaly sait faire chanter les cœurs et danser les corps. Un face-à-face.

Première rencontre: à vélo sur la place du Marché, failli renverser un inconnu. Le gars surpris me dévisage et s’excuse illico d’avoir gêné mon passage. Alors que j’étais fautif. Prenant la chose au deuxième degré, je lui explique qu’en fait, je cherche à écraser tous les Noirs que je croise. Rire tonitruant du bonhomme.

C’est ainsi qu’assis sur une terrasse au marché par un clair soleil, je suis devenu ami avec Ye Lassina Coulibaly, philosophe-compositeur burkinabé de passage à la Chaux-de-Fonds. Un être aux multiples facettes: sage ancestral et homme moderne, instrumentiste hors pair et conteur captivant, père attentif et thérapeute apprécié, difficile d’en donner une image autre que foisonnante.

Place de la Gare, sur le départ

Faire circuler partout la musique

Pourquoi vous en parler aujourd’hui? En rangeant mon fouzitout au bureau, j’ai retrouvé des notes glanés lors d’un de ses séjours chauxois. Afin de partager le souffle de sa pensée, son sens poétique qui sont universels. Et au passage, rappeler que notre ville est un carrefour étonnant où des personnages improbables surgissent de temps à autres. Des occasions uniques qu’il faut saisir lorsqu’elles se présentent.

Que fait Ye Lassina dans la vie? Basé à Bourges, ville aquatique et provinciale entre Orléans et Clermont-Ferrand, il affectionne sortir en train du centre de la France profonde pour monter à Paris, aller bronzer sur la Côte avant de donner un concert à Monaco ou venir en Suisse regarder la neige s’accumuler.

En phase avec la nature

Il adore les chevaux, les arbres et la discussion autour d’une tasse de thé. Bon, il boit parfois du rouge aussi, il n’a rien du gars sectaire.

En phase avec son destrier

S’il aime à se ressourcer en déambulant dans la nature, il sait aussi entraîner les participant·es dans des danses envoûtantes lors d’une soirée parisienne ou dans un festival en bord de mer.

Envoûtantes ou endiablées, car cet artiste est capable de tout. Il sait captiver l’auditoire avec son Ensemble des polyphonies de balafons, comme il n’hésite pas à se frotter à ce qu’il appelle la «musique savante». Ou il conte des histoires faisant rire ou réfléchir. Ou il joue du djembé, l’instrument par lequel il a débuté.
«Ne dites pas je suis bon au djembé, les internautes vont croire que je suis un tapeur de tambour, un griot de pacotille exilé. Je suis compositeur d’abord.» L’homme, fort élégant au demeurant, sait ce qu’il veut et ce qu’il vaut.

Sans fanfaronnade, c’est un juste. Parce qu’il est humain et doux, tout en sachant juger sans mansuétude d’autres musiques, d’autres coutumes. Un être complet comme on en rencontre peu, avec ses défauts et ses fiertés assumés. Il n’entend pas donner des leçons au monde, juste faire du bien avec sa musique. Tout en ayant l’humilité de se mettre en jeu devant le public.

Parcours onduleux

Après ses premières découvertes fondatrices des énergies sonores au Burkina, à la faveur d’un contrat de travail en enseignement musique et danse, il arrive en France.

Voyageur au long cours

Une fois établit en métropole, il conduit durant quatre ans les Tournées des Jeunesses Musicales de France avec le spectacle Contes enchantés de l’Afrique. La liste des concerts qu’il a donné tant en France qu’au Burkina Faso est trop longue pour être citée ici. Avec neuf albums à son actif, c’est un prolifique compositeur-auteur-interprète.

Sa musique inspirée – loin d’une musique commerciale aseptisée – véhicule un message indirect, qui touche les cordes sensibles des être humains, les surprend dans leur intimité et leur fournit les raisons émotionnelles de considérer l’art comme la base de toute (r)évolution. Des sons qui fédèrent, qui arrivent à distiller calme et bien-être plutôt que haine et tensions.

Il entend ainsi «percer les lieux culturels des élites», opéras, salles de concert, théâtres pour faire ressentir aux puissants, sans les agresser, les forces des éléments du cosmos, histoire de les relier à notre vécu. Dans l’idée d’arriver à mieux gérer nos ressources si riches, mais tellement convoitées qu’elles vont se tarir très vite.

Foncièrement respectueux de la nature, Ye Lassina cherche à utiliser l’abstraction sonore pour donner un regain de respect aux arbres, à l’eau, au sol «dont nous avons tous besoins et qui ne sont guère considérés à leur juste valeur».

Thérapeute expérimenté

Entre deux compositions et cinq répétitions en studio d’enregistrement, Ye Lassina œuvre comme musicothérapeute. Il a commencé ce travail en Afrique, en 1980 en collaboration avec la Fondation Raoul Follereau. Basé sur l’éveil musical et la danse, sa démarche fait mouche.
Après une phase de sensibilisation auprès d’enfants et d’adultes, il s’est spécialisé dans l’approche d’enfants malades chroniques, souvent des pathologies classées psychiatrique telles la schizophrénie, l’autisme, la bipolarité, etc. Souvent hospitalisés, esseulés, ces petit·es patient·es passent pour des cas difficiles aux yeux des médecins.

Avec une patience infinie, Ye Lassina les approche avec des sons simples, du tambour qui résonne à leur cœur et à leur corps. Il joue le pas, le trot et le galop des chevaux, laisse les enfants caresser la peau tendue, l’apprivoiser avant de la frapper doucement, découvrir ses nuances. Cette démarche lente est plus vite décrite qu’appliquée. En effet, il faut au musicothérapeute des semaines voire des mois pour décrocher une lueur dans des yeux durablement apathiques, faire exprimer un son à des cordes vocales presque jamais exercées, si ce n’est pour hurler de peur ou de haine.

Affirmant que «la musique, c’est le bonheur et la santé», Coulibaly offre son savoir-être aux plus démunis et réussit souvent là où médicaments et traitements pédagogiques répétitifs ont échoué: il établit un contact par le toucher, puis l’oreille. Et il le garde par les sons que les enfants, entraînés par cette magie, reproduisent sur tambours, flûtes ou en vocalisant.

Science appliquée de l’humain

Il va sortir cet automne 2022 un livre intitulé Musicothérapie et humanisme (mémoires d’un musicothérapeute artiste auteur-compositeur-interprète) chez Edita La Fabrique de Livres à Tours. En rédigeant son ouvrage, Ye Lassina a voulu partager sa connaissance, son expérience singulière en musicothérapie. Il espère apporter espoir et réconfort aux familles des jeunes malades qui les observent enfin s’exprimer autrement. Car il s’agit pour ce visionnaire de «privilégier la dimension humaine et la valorisation des personnes et de leurs atouts, favoriser leur place dans le groupe, la famille et la société, aider à renouer le dialogue, permettre l’expression des émotions, rompre l’isolement et l’enfermement, redonner de la dignité».
Son attention porte également sur l’éducation afin notamment que les jeunes générations, bombardées de messages incessants, apprennent à les décoder et sachent magnifier le patrimoine, l’héritage des anciens, plutôt que l’ignorer.
Sans le dire, il prône ainsi une culture au service de l’enseignement de la transmission intelligente des savoirs passés.

Espoir de paix

Ye Lassina m’a aussi confié ses inquiétudes concernant les évènements douloureux qui touchent des milliers de personnes en Afrique de l’Ouest. Persuadé que l’Art et les artistes ont un rôle à jouer pour médiatiser ces conflits ignorés, il espère maintenant tourner un clip choc

qui fasse le tour du monde pour réclamer la paix , via les réseaux sociaux et la musique.

Il recherche tant des structures susceptibles de porter et de financer le projet que des artistes de renom disposé·es à faire le chemin avec lui.

L’appel est lancé. Puisse-t-il trouver des soutiens!

Contact: yelassocoul@yahoo.fr

0033 6 76 03 71 66