Eloge du balai et du silence

Réflexions autour de la décomposition avant que l’automne ne revienne 

 

La saison des feuilles mortes est, chaque année, l’occasion de ressortir râteaux et balais afin de nourrir le compost. Tout l’art consiste à ratisser et balayer en savantes circonvolutions afin de créer des tas volumineux de feuilles plus ou moins grandes, plus ou moins brunes. Il s’agit de remplir ensuite une brouette ou un panier d’osier de la précieuse matière. Placer le tout dans le compost au fond du jardin est une solution, le plus simple reste, en ville, d’attendre la tournée hebdomadaire des déchets végétaux. 
Pour se débarrasser rapidement des encombrantes frondaisons fanées, il existe deux outils éprouvés: le balai et le râteau. Le premier a connu d’innombrables déclinaisons au cours des âges. Le roi du balai est sans conteste le balai de piassava naturel. Les fibres de ce palmier sud-américain sont pratiquement indestructibles, il permet de brosser les saletés les plus tenaces. Les balais de coco ou de paille de riz sont moins rigides, mais ils s’usent plus rapidement. Demeure le modèle classique du cantonnier fait d’un simple manche auquel on ajoute des brindilles de genêt (pour en fabriquer un). Plusieurs variantes avec des brindilles de différentes origines sont en vogue: le balai de  houx, de bruyère ou de bouleau. Celui-ci est le modèle increvable, archétype prisé des sorcières pour d’évidentes raisons aérodynamiques…
Si les particuliers se contentent de ratisser leur bout de jardin avec un outil d’acier en forme d’éventail réglable, les cantonniers de la voirie communale exerçaient autrefois tout l’automne leur force musculaire à pousser le balai. Or depuis deux dizaines d’années, un envahisseur sournois vient menacer les ancestraux balais et râteaux. Soufflant avec la force d’un ouragan à 200/250 kmh, il ne se contente pas de pousser les feuillages humides, il les fait voler, emportant au passage crottes de chiens et de chat, chargées en particules fines allergènes, bactéries fécales et autres microbes peu avenants. Le moteur hurle comme un avion au décollage (plus de 100 décibels) faisant concurrence aux tronçonneuses. Il crache cent fois plus de benzène qu’un véhicule thermique avec catalyseur. Les ouvriers de la voirie devraient porter non seulement des protections sur leurs oreilles, mais un masque avec filtre à charbon actif pour protéger leurs poumons. Des études allemandes, autrichiennes et suisses ont conclu à la dangerosité des poussières soulevées par ces engins pour les malades des poumons et les allergiques au pollen. 
Bonne nouvelle: la ville de Graz (sud de l’Autriche, Styrie) a interdit dès l’automne 2014 tout usage de ces outils (qui ne fonctionnent pas si les feuilles sont trop mouillées…). Les contrevenants paient jusqu’à 8700 francs d’amende nous apprenait la WochenZeitung. Un balai coûte quelques dizaine de francs, les modèles à essence (ou à batteries, presque aussi bruyants) plusieurs centaines, voire milliers de francs. Les magasins Landi annonçaient en vendre plus de 6500 pièces par an en Helvétie. La statistique sur les outils simples est plus difficile à établir, tant il y a de modèles et d’offre.
Et pensez au plaisir de s’appuyer sur le balai pour admirer l’ouvrage accompli en reprenant son souffle, une pause difficile à exécuter sur le canon plastique d’une souffleuse.