Au cœur des troncs, des rondelles magiques

Envie de dépaysement? Plongez-vous dans La Déflagration des buissons un roman-photo shooté dans les arbres, avec les 7 bûcheronnes et l’Ours malin. Renversant.

Les tronçonneuses giclent la sève fraîche, pourtant ce n’est pas un livre gore. Les bosquillonnes militent à coup de haches, mais sont pleines de tendresse. L’Ours tente de se réapproprier son trône de roi des forêts, en utilisant un microscope…

L’intrrrrrrrigue se déroulant à la vitesse d’une sangsue, il faut d’abord admirer l’exploit graphique: La Déflagration des buissons, premier opus de Julie Chapallaz, est un trésor visuel. Costumière et décoratrice, elle a passé de la 3D à la dimension papier. Minimaliste peu avide de technicité, elle fait tout à la main: des fonds peints à la gouache aux découpes des clichés, elle se permet juste un détour photoshop pour ajouter les décors sur ses fonds. Elle tire finalement ses cases sur une vieille laser A4 qui laisse une légère trame.

Walkyrie sans cheval

Un vendredi début mai à la librairie-galerie Impressions: quelques curieux·ses et le libraire accueillent l’auteure. Elle arrive toute détendue. Cette grande perche souriante semble réellement sortie des bois, sauf que sa poche arrière droite est gonflée de stylos, crayons et autres feutres. Franco-suisse, elle habite actuellement Cherbourg après un passage par Paris.

Sans transition, sommée de situer la source de certaines cases délirantes bien explosées, cette walkyrie sans cheval ni téléphone intelligent explique sa démarche: «Ces images naissent dans ma tête, sans aucune influence de substances hallucinogènes ou stupéfiantes». Elle ajoute qu’elle a beaucoup bossé avec son éditeur pour cet ouvrage de 224 pages.

Neurones bien branchés

Soigneusement découpé, ce roman-photo n’a rien à voir avec les historiettes à l’eau de rose du journal Nous Deux ou les romans-photos cochons pleins de gros nichons d’Hara-Kiri et Wolinsky (là, je pompe le catalogue des éditions Flblb qui se targuent d’un nom imprononçable pour des livres incompréhensibles).

Julie Chapallaz a concocté un story-board fouillé avant de se lancer dans la phase photo. Signalons qu’elle a passé du temps dans le bas du canton pour se documenter un max sur les arbres et la dendrochronologie, science des cernes utile mais peu répandue.

Laboratoire de dendrochronologie (Uni de Neuchâtel)

Téméraire, elle a photographié de près les ours bruns de Juraparc à Vallorbe, sans se faire mal, on ne sait rien du budget miel engagé pour cette partie de la réalisation.

La couleur est omniprésente dans La déflagration des buissons  (partis-pris: chaque case ou presque en bichromie). Ses photomontages viennent titiller les neurones des lectrices z’et lecteurs.

Couper du bois …

Comme dans une jungle touffue, il arrive que l’on perde parfois le fil de l’histoire. Pourtant joie, la forêt est là pour guider la folie humaine. Humanité qui ne pense qu’à couper, bousiller, trancher les végétaux dans une démarche destructrice mais pensée comme porteuse d’espoir.

… pour changer le monde

En effet, les sept hardies bûcheronnes entendent changer le monde, belle et noble tâche s’il en est. La voie choisie ne semble toutefois pas faire l’unanimité, le Cheffe de cette improbable équipe est subtilement remise en place, stop, ne divulgâchons pas.

2022 année internationale du roman-photo

Parallèlement à cette parution Flblb, dont les deux fondateurs ont gardé une imagination rare 20 ans après les débuts, a lancé l’année du roman-photo. Internationale comme il se doit. Un truc douteux, mais ça marche. Pas étonnant vu leur markéting agressif. La devise est invraisemblable à souhait: La bd c’est mal dessiné, lisez des romans-photos.

L’éditeur qui signe Otto T. souligne que cela n’a rien d’évident de publier des romans-photos: «Il n’existe pas de festival de roman-photo, ni revue de roman-photo, ni de librairies spécialisées. A chaque sortie on ne ronge les ongles, car ce sont de beaux livres en couleur avec du beau papier, mais qui se vendent peu».

Amoureux du genre, il sait que «le terme roman-photo fait sale», et rappelle que la bande dessinée «suscitait le même dégoût dans les milieux intellectuels» il y a quelques décennies. Certains parents anti-ricain interdisaient à leur progéniture de feuilleter des petits mickeys sous prétexte de garder la pure culture européenne vierge de ces influences néfastes. Le roman-photo subit des avanies semblables. Otto T. explique enfin que cet art est un total sacerdoce à ses yeux: «Chaque case de roman-photo a pris au moins autant de temps , de sueur et de stress que s’il avait été dessinée par ton auteur [de bd] préféré». Ce qui intéresse les éditions flblb, «c’est l’écriture. Nous aimons les récits qui s’écrivent en images et en textes de façon originale et harmonieuse, qui disent quelque chose de notre époque».

La bonne définition pour l’étrange objet des bois monté par Julie Chapallaz.

La déflagration des buissons, 34.- CHF, 17 × 24 cm, paru en février 2022 ISBN 978-2-35761-311-9

Pour en savoir plus sur Julie Chapallaz, sa vie, ses pompes, son tartare au couteau.

Autre titre flippant de la même découpeuse: Du sang, du boudin