Les garçons en X questions

Garçonnières est un documentaire, fort réussi, de Céline Pernet, abonnée Tinder. Au gré de rencontres masculines, elle diagnostique: les mecs adorent parler d’eux. Le film est né.

Dans un garage transformé en fitness, quatre bonhommes transpirent en soulevant de la fonte. Situé rue de la Cure à La Chaux-de-Fonds, ce mini-temple de la force figure dans le dernier film de Céline Pernet.

Lancé par Boris Pécaud, grand amateur de musculation, cette salle d’entraînement fait fureur en vieille-ville. Passant devant plusieurs fois par semaine, le rédacteur a pu observer les efforts (surhumains à ses yeux) de celles et ceux qui lèvent des poids ou des pneus de camions puis pédalent à des vitesses incroyables pour améliorer le diamètre de leurs cuisses et de leurs mollets.

Arsenal fitness

Le documentaire Garçonnières met en avant une foultitude de visions de la masculinité, pas que l’aspect puissance physique des gaillards rencontrés. Sans prétention, Céline Pernet montre que certains mâles hésitent, se tâtent, affirment leur désarroi. Elle réussit ainsi à saisir la complexité de la masculinité.

Sans parti pris, elle a amassé un large matériel visuel et sonore, puis trié habilement les séquences enregistrées chez les protagonistes, filmés dans leur environnement «naturel».

Interrogation basique

Qu’est-ce que cela signifie donc d’être un homme au jour d’aujourd’hui? Après 476 matchs en trois ans avec des hommes sur des appli de drague, débouchant sur plusieurs «petites histoires aussi sympathiques qu’éphémères», la réalisatrice et ethnologue Céline Pernet décide de prendre le temps de questionner son rapport aux gars de 30 à 45 ans.

Pas des gonzesses …

Sur le site de Climage, assos de production lausannoise soutenant création et diffusion de films documentaires sociaux, culturels et historiques, elle note avec humour: «Il faut savoir que, dans le monde merveilleux des applications de rencontre, lors d’un premier rendez-vous, il ne faut guère plus de 10 minutes pour savoir si le déplacement en valait la chandelle ou pas. Mais les codes implicites du dating éclair – et un minimum de décence humaine – obligent les deux parties à faire acte de présence pour une durée d’environ 60 minutes avant de se lever poliment en prétextant une excuse.»

Force rencards

«J’ai donc eu un grand nombre de rencontres avec des inconnus, dont la finalité n’était finalement plus la quête amoureuse, mais bien la nécessité de meubler le temps. Des parenthèses de vie étrange, des instants suspendus. Une fois épuisées les banalités d’usage, la perspective d’enchaîner sur la pluie et le beau temps m’enthousiasmait que très moyennement. J’avais donc assez naturellement pris l’habitude de demander à ces hommes, avec une grande simplicité et un brin de candeur, ce que cela faisait d’être un homme dans le grand théâtre des relations humaines.»

Détendu

Faisant partie du Collectif AREC, Association Recherche Ethnologie Cinéma, elle a accumulé là une expérience rare d’approche de sujets paraissant très banaux au premier abord. Ethnologue de formation, elle allie sa perspicacité à une perception pertinente des détails significatifs, sans tomber dans le discours sentencieux ou la diatribe politique.

Passons en coulisses.

Démarche en deux temps

Pour trouver des protagonistes, la réalisatrice a diffusé une annonce sur plusieurs réseaux sociaux. Intriguant quelques cinquante hommes, tous d’accord pour figurer à l’écran. Elle les a ensuite rencontrés l’un après l’autre, lors d’entretiens face caméra.
Puis avec sa complice Karine Sudan, monteuse, elle a sélectionné une trentaine de témoignages parmi ceux séduits par la démarche.

Protagoniste à l’aise

La réalisatrice au boulot

Se mettant en scène, la réalisatrice maquille visages et crânes nus pour éviter les reflets, se filme en train de voyager d’un coin à l’autre de Suisse romande. Elle écoute, questionne et porte un regard rieur et cool sur les types qu’elle filme. Le commentaire de la réalisatrice en voix off permet de suivre ses réflexions, soulignant le caractère subjectif de ce documentaire.

Film à petit budget, la réalisatrice fait tout

Les mecs ayant accepté de témoigner, se livrent, se raclent la gorge, affirment, parlent de leurs complexes – trop ou trop peu de poils! – jettent des regards fort parlants, rient pour masquer leur gêne et mentent un brin tel celui qui finit par dévoiler pudiquement que si, en fait, sa femme ne gagne pas qu’«un peu plus» que lui.

Succès critique

Dans Ciné-feuilles, Chloé Hofmann note avec raison que «l’usage de la musique – composée et interprétée par Sara Oswald – lors de ces séquences participe de la distance que la réalisatrice cherche à créer et instaure un effet comique qui pousse le spectateur à s’interroger sur les comportements qu’il observe à l’écran». Le même site note Garçonnières de manière différenciée: 15/20 (une femme) et 9/20 (un homme).

S’écouter en profondeur

Comme l’écrit Alice Riva de Visions du Réel: «Avec une légèreté bienvenue, la réalisatrice pose un regard amusé et bienveillant sur des univers masculins. Un film qui invite à s’écouter en profondeur et être un jour autre chose que ce que l’on attend de nous.»

Reste à prendre le temps, un défi dans l’univers actuel d’attention rachitique. À moins de tenter l’introspection au volant, comme la pratique Céline Pernet dans son long métrage. La voiture comme ultime refuge de la conscience?

Céline Pernet en pleine réflexion

Garçonnières

Documentaire réalisé et écrit par Céline Pernet •
Suisse • 2022 • 90 minutes • Couleur •
Producteur Stéphane Goël • Distribution Climage

À visionner sur la RTS (jusqu’au 3 mars 2023)

Disponible en VOD sur:

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Un dernier effort