«Autoportrait» Edouard Levé

«Je ne suis pas sûr d’être psychanalysable»

Une suite de faits, de micro événements, d’absurdités quotidiennes ou de drôles d’habitudes, déclinées en phrases courtes, cyniques et efficaces. Presque des listes d’envies futures ou de désirs passés, de livres lus, de sexes visités, d’artistes rencontrés, ou de repas ingurgités. Une écriture précise, froide et clinique où chaque phrase est à la première personne. Une lente tentative de perception du soi, à travers le corps et les sensations, la pensée et les souvenirs. Edouard Levé parle tantôt d’une particularité physique qu’il trouve gênante, tantôt d’une réminiscence de conversation évaporée…

Une écriture précise, froide
et clinique où chaque phrase
est à la première personne.

Comme un peintre construisant sa propre image ou comme le photographe qu’il était en parallèle de ses travaux littéraires, Levé procède par retouches successives et par un recadrage permanent à propos de l’être qu’il perçoit et du corps qu’il possède.

«Adolescent, je croyais que La vie mode d’emploi m’aiderait à vivre et Suicide mode d’emploi à mourir.»

Si la référence à Georges Perec est présente dès la première phrase de son livre, l’influence de l’auteur de La vie mode d’emploi sur Levé est majeure. Tous les deux aimaient les petits détails insignifiants: la fissure dans le mur, la goutte de café séchée sur le rebord de la tasse, une trace de doigt sur la page droite d’un livre de poche ou un autocollant avec un code barre sur un porte-savon de toilettes publiques, un autre sur une boîte aux lettres. Il y a chez Edouard Levé cette même volonté de cerner le rapport entre les corps et les objets dans l’espace clos de leur quotidien. Le monde ne changera pas ou en pire, alors autant s’intéresser à la table bancale d’une terrasse de Belleville ou à ce truc qui démange entre les omoplates…

«Les arts qui se déploient dans le temps me plaisent moins que ceux qui l’arrêtent»

Ce texte est très photographique. Il questionne la mémoire d’un corps à partir des images figées de sa conscience. Chaque phrase pourrait être un cliché réactivant les fonctions mnésiques et sensorielles de son spectateur. Mais si Edouard Levé pratiquait surtout la photographie couleur, son Autoportait donne à voir un monde argentique, dont le grain sale augmente sa profondeur triste. Bon le bonhomme n’était pas super jovial et sa noirceur et son cynisme se perçoivent à chaque ligne et même entre les mots, là où les images se déploient. Dans la chambre noire encéphale de leur auteur… Il se donnera la mort quelques semaines après avoir remis à son éditeur le manuscrit de son livre suivant, intitulé Suicide… Il a rejoint depuis Georges Perec… il paraîtrait qu’ils soient en train d’écrire la suite de La Disparation… un livre sans lettres, sans images… un livre constitué de rien mais qui parle de tout…

Sans date