Les malplacées Enquête n° 3

Des endroits en ville aux mauvaises places, à moins que cela ne soit le contraire.

Vous connaissez sans doute la Place de la Carmagnole, mais peut-être moins le Creux-du-Pacot. La première sert de place du marché bis, depuis la COVID (Campagne Obligatoire de Vaccin d’IDentité), elle se situe entre l’impasse Léopold-Robert, la rue de la Balance, la rue Neuve, et la Grande Fontaine. Le deuxième, un ancien marais asséché, se trouve dans la petite cour triangulaire entre la rue des Granges et la rue Fritz-Courvoisier.

Quel est le rapport entre ces deux endroits, outre le fait qu’ils se situent à la Chaux-de-Fonds? Et bien, ils se trouvent, mais qu’ils ne se trouvent pas. C’est à dire que si vous les cherchez, vous les trouvez, mais ils ne se trouvent pas au bons endroits.

Une révolution à 180°

 

Plaque au sud de la Rue Neuve neuf

Une plaque posée au sud-est de la rue Neuve neuf, nous explique que les citoyens dansèrent la Carmagnole à cet endroit, c’était le 3 décembre 1792.

Gravure connue de la célèbre commémoration d’Alexandre Girardet

Si vous connaissez la gravure d’Alexandre Girardet ayant immortalisé cet événement, alors vous savez sans doute que le grand bâtiment à droite est l’actuel Hôtel Judiciaire situé à l’avenue Léopold-Robert 10 et vous pensez peut-être que les deux fermes, du centre et de gauche, se trouvaient au nord de celui-ci et ont disparus dans l’incendie de 1794.

Le même endroit sous la neige

Mais en fait, c’est le contraire, ces deux anciennes bâtisses, situées au sud, étaient les numéro 9 et 11 de la rue Léopold-Robert, elles ont fait partie des nombreuses victimes conséquemment aux alignements du plan Junod. On peut reconnaître celle du centre, le 11, sur le dessin de Henri Courvoisier-Voisin.

Détail du dessin de Henri Courvoisier-Voisin (1787)

Les escaliers de l’hôtel visibles sur la gravure peuvent prêter à confusion en faisant croire qu’ils étaient derrière le bâtiment, là où se trouve la rampe actuelle, et l’absence de linteaux bombés sur la façade pourrait nous faire penser qu’il s’agit d’un autre bâtiment, mais non.

Nous pouvons procéder à une dernière vérification en constatant que le puits carré à pompes, tout à droite, est bel et bien à l’est de l’hôtel et non du côté de la Grande Fontaine. De plus, le plan ne nous indique aucune Place à cet endroit, mais des bâtiments.

Extrait du plan de 1830 montrant l’Hôtel Judiciaire et le puits adjacent sur la droite

Conclusion

La place de la Carmagnole se trouvait donc à l’endroit de l’arrêt de bus actuel de Pod 9, à côté de la Place des Victoires, et non sur la Place portant maladroitement son nom.

* * *

 

Il a fallut bosser pour boucher le Creux

En l’an 1401, l’actuel Place de l’Hôtel-de-Ville n’était pas une place, mais une croisé de chemins. Celui reliant le Locle avec Saint-Imier et celui allant de Valangin à Maîche. A cette époque, une sorte de petit marais, appelé Creux-du-Pacot, jouxtait cette endroit.

Le temps passant, des habitations en ont fait une Place du Marché, et le petit marais fût progressivement endigué. On peut constater, en bleu, le rétrécissement de ce dernier, passant d’une petite mare en 1706, à une petite piscine en 1794.

Après le terrible incendie, il fut décidé, entre autre, d’assécher cet endroit en surélevant toute la Place de trois à quatre pieds (1 mètre environ), probablement en utilisant les déchets dus à l’incendie et au percement de la nouvelle rue de la Combe, l’actuelle rue de l’Hôtel-de-Ville. En clair: il a fallut charcuter pour le boucher.

De nos jours, un cercle en pierres de taille mal manufacturées est censé marquer le lieu et une plaque donne une petite explication concernant cet endroit.

Lorsque l’on compare les plans de 1794 et de notre époque, on constate une certaine similitude entre l’aspect de l’ancienne Place avec ses alentours et celle d’aujourd’hui, donnant l’impression que tout est à peu près aux mêmes endroits.
Reste un petit détail surprenant, voir gênant, suggérant de mener quelques investigations.

Jusqu’au début des années nonante, certains s’en souviennent peut-être, les ruines d’un ancien bâtiment existaient à cet endroit. Et le fait de voir un cercle là où les souvenirs voient un carré est assez étrange, presque malaisant, un peu comme si l’on avait rêvé.

En étudiant les plans de différentes époques, on constate qu’une construction apparaît en 1893 là où rien n’existait encore en 1887.

Ce bâtiment se trouve encore sur un plan, de très mauvaise qualité, de 1976 puis disparaît du plan de 1988. Il est présent sur différents dessins.

Une photo nous apprend qu’il à été occupé par un ferblantier du nom de Brochella.

Photo avec la ferblanterie (seconde maison en retrait à gauche)

Alors, aurait-il eu ses caves et ses fondations dans un ancien marais?

En fait, malgré les apparences, les constructions actuelles ne se trouvent pas exactement aux mêmes endroits que celles existantes avant l’incendie. Comme l’a démontrée l’Enquête n°1, la superposition du plan d’avant l’incendie avec celui de 1926 montre un certain décalage, et c’est surtout la partie sud-est de la Place de l’Hôtel-de-Ville qui en fait les frais.

Superposition des plans de 1794 et 1926

En guise de conclusion

L’ancien Creux-du-Pacot se trouvait à l’est du monument de la république de 1910 signé Charles l’Eplatenier, au milieu de la route au début de la rue Fritz-Courvoisier.

Vous savez désormais que les personnes responsables de la pose des textes concernant les Places de la Carmagnole et du Creux-du-Pacot étaient légèrement à côté de la plaque.

Ne jamais conclure trop vite

Les dessins sont moins sûrs que les photos, Il faut s’en méfier et les corroborer avec d’autres documents. L’exemple du dessin n°1 est un cas d’école car cette image est totalement choquante pour les connaisseurs.

Le petit bâtiment derrière la fontaine, dont nous avons déjà parlé, est beaucoup trop haut. Il date d’environ 1890, alors que la fontaine ne s’est trouvé à cet endroit que de 1805 à 1808.

Emplacement de la fontaine au début du XIXe siècle

Les maisons aux numéros 1 et 3, d’une rue Fritz-Courvoisier ne semblant pas monter, ne forment pas de coude. Les finitions des fenêtres des bâtiment, faites à la règle, sont dégueulasses, par rapport au ciel et aux personnages, suggérant la participation de plusieurs dessinateurs.

Cette «caricature» a certainement été obtenue à partir de divers documents, des croquis, des plans, et des explications écrites. Un texte, par exemple, devait faire mention de deux sorties d’eau sur la fontaine, sans préciser qu’elles étaient dos à dos, et non côte à côte.

Bref, ce dessin n°1 est une sorte de monstre de Frankenstein.