Surtout des bâtiments «récents» brûlés? Enquête n°2

Les maisons disparues dans l’incendie de 1794 étaient-elles réellement très récentes, comme nos autorités semblent le faire croire dans la brochure (p.7) de juin 2024 «FEU & LIEU»?

Six arguments

1) Le fait qu’un centre de village quelconque soit éventuellement plus récent que ses alentours contredit tous les exemples historiques des civilisations humaines. Cette manière de faire semble, à première vue, illogique et va à contre sens de ce que nous avons observé jusqu’à nos jours, mais il est vrai qu’il s’agit là d’un simple raisonnement, d’une hypothèse, et non d’une preuve.

2) Les ouvrages relatant l’incendie n’annoncent pas tous les mêmes chiffres, certains parlent de 52 maisons incendiées, d’autres de 62, un autre avance même le nombre de 68. La quantité de familles touchées par le drame varie elle aussi entre 172 et 175. Ces différences seront traitées dans l’enquête n°10. Presque tous ces documents datent de 1894 à nos jours et la plupart, ayant moins de cinquante ans, sont donc assez éloignés de l’incendie.

Un livre contemporain de ce tragique événement est l’«Almanach moral» de 1795 édité par Samuel Girardet père au Locle. Cette petite pépite, signalant 52 bâtiments détruits et 175 familles sinistrées, indique même la liste des propriétaires ainsi que leurs locataires (loques à terre) concernés. Grâce à cet ouvrage, nous apprenons qu’une maison abritait 15 feux (familles), une autre en contenait 11, deux autres en avaient 8, une en avait 7, plus deux de 6, six de 5, deux de 4, douze de 3, quinze de 2 et dix de 1. Donc, 37 immeubles sur 52, soit 71%, ne logeaient que trois familles ou moins.
Ces chiffres correspondent-ils à des maisons récentes? Probablement pas. Les maisons récentes de cette époque, de 1750 à 1792, contiennent entre 4 et 8 appartements par bâtiment.

De plus, 175 familles comptant chacune 5 individus, moyenne indiqué par les livres historiques, totalisent de 875 personnes. Cela ne représente que 19% des 4’560 autochtones vivants dans la commune en 1793, ce qui contredit fondamentalement le mythe très répandu d’un village presque entièrement détruit.

3) Voici la liste des dates de construction des 16 maisons, en vert, faisant partie du parcours «FEU & LIEU» et se trouvant alors en périphérie du village. 1730, 1750, 1750, 1755, 1760, 1765, 1770, 1772, 1777, 1778, 1780, 1784, 1786, 1787, 1789, 1792. Donc la majeur partie de ces bâtiments étaient presque neufs au moment du sinistre. Bien entendu, on pourrait penser ici que les autres bâtiments périphériques, en bleu, n’existant plus aujourd’hui étaient, eux, plus anciens et ont disparus justement à cause de leurs vétustés, mais il n’en est rien.
Comme il sera démontré dans de futurs articles, les principales raisons de ces massacres, ou disparitions, sont dus au jusqu’au boutisme du médiocre plan Junod (enquête n°6) et aussi à des considérations mercantiles et économiques (enquête n°8), l’incendie étant une cause mineure. En clair: ce ne sont pas les anciens bâtiments historiques qui étaient pourris, mais bien les égoïstes égocentriques les ayant rasés. Qui a noyé son chien, prétend ensuite qu’il avait la rage.

Plan du village avant incendie

Ces dates de construction font naître deux hypothèses: soit le centre du village, en orange, était très récent et sa périphérie aussi, signifiant que tout était très récent, et donc, que presque rien n’existait avant 1730. Inversément, tout n’a pas été bâti en même temps, et comme la périphérie était très récente, alors le centre, lui, l’était moins.
Choisissez le raisonnement paraissant le plus probable sachant que le peuplement commença vers 1372 et que le Grand Temple fût consacré en 1528.

4) Les œuvres entourant l’an 1794 parlent.

Voyons comme l’hôtel judiciaire a l’air modeste, par rapport à ses voisins, vers 1840. Et constatons comme les maisons du centre du village sont petites, par rapport à ce même bâtiment trônant fièrement vers 1780.  

L’hôtel judiciaire vers 1840
Ce même bâtiment vers 1780

Admirons le travail, à la fois technique et poétique, de Henry Courvoisier-Voisin, datant de 1787. Observons les maisons du centre de l’agglomération: elles sont basses, d’architecture rurale et leurs toits de bardeaux sont bruns foncés. Les bâtiments munit de tuiles rouges, les plus récents, sont plus hauts, plus citadins, et se situent majoritairement en périphéries.

Vue du village en 1787 par Henry Courvoisier-Voisin
Vue du village depuis le sud, au Crêt des Olives
Le village après l’incendie, vu du sud

Les comparaisons entre les anciennes maisons d’avant l’incendie et celles juste après valent tous les discours du monde.

Avant l’incendie, par Abram-Louis Girardet
Après l’incendie, par le même artiste

Voyons encore, en zoomant, comme le petit hameau, dit La Creuse, de la rue de la Charrière se détache des toits de l’ancien village avant le sinistre, alors qu’il est presque caché par les faîtes plus élevés du nouveau centre.

Hameau de la Charrière avant …
… et après le sinistre

5) Les cartes du relevé topographique de 1706 prouvent que la majeure partie des maisons disparues dans l’incendie de 1794 existaient déjà 88 ans plus tôt. Plusieurs d’entre elles, en vert, sont même qualifiés de «vieilles maisons», ou «anciennement grange». On y voit même la première Cure, en rose, construite entre 1555 et 1560 sur un terrain donné par René de Challant et la seconde Cure, en violet, achetée en 1640 à Josué Amey-Droz.

Relevé topographique de 1706, partie nord
Relevé topographique de 1706, partie est

6) Comme le montre le plan de 1800 provenant du Musée d’histoire, de nouvelles maisons, en rouge, ont remplacées celles qui ont été sinistrées. Un autre plan nous montre la situation en 1820.

Plan de 1800
Plan de 1820

Alors pourquoi, malgré l’accroissement de la population, n’avoir construit en un quart de siècle qu’une seule maison, à part l’Hôtel-de-Ville, l’actuelle n°3 de la rue de la Chapelle? La réponse la la plus probable étant que les maisons de remplacement, récentes celles-là, sont plus vastes, et donc plus hautes, que les rurales incendiées contenants moins d’appartements.

Conclusions et suppositions

Les maisons ayant brûlées dans le tragique incendie du 5 mai 1794 n’étaient, pour la plupart, pas «récentes» et donc encore moins «très récentes», les six points de vue évoqués ci-dessus pèsent plus qu’un léger faisceau d’indices.

Alors pourquoi les autorités de la ville souhaiteraient-elles que nous imaginions le contraire? Impossible de répondre à cette énigme, mais nous pouvons, nez en moins (comme le Sphinx), faire quelques suppositions:

– Pourquoi la Chaux-de-Fonds fait-elle partie du patrimoine mondial de l’UNESCO? Pour son extraordinaire urbanisme horloger (à ne pas confondre avec or logé, nourrit, blanchit) bien entendu.

Origine de l’urbanisme horloger

D’où vient-il cet urbanisme horloger? Entre autres du plan Junod, sa perfection et sa nécessité (enquête n°5) ne doivent donc surtout pas être remises en question, malgré les nombreux dégâts matériel engendrées par ce dernier.

– Il s’agit peut-être de noyer la poule dans l’œuf en suggérant une démarche inconsciente aux citadins, du genre: Si le centre était très récent, alors peut-être que le reste était plus vieux. Et si ces bâtiments étaient plus vieux, alors peut-être qu’ils étaient obsolètes (la brochure utilise la notion de «vétustés» p. 12). Et s’ils étaient vétustes, alors peut-être que cela n’est pas grave de les avoir détruit pour les remplacer par de magnifiques alignements.

Nous constaterons (enquête n°6) que le nombre de maisons saccagées par les conséquences du plan Junod est allé bien au-delà de 52.

– Mais, plus simplement, il s’agit peut-être juste de protéger sa paroisse. Le fait de remettre en question la perfection des dirigeants d’avant ouvrirait peut-être une brèche concernant l’infaillibilité des prises de décisions actuelles, comme la catastrophique qualité du pavage de la Place du Marché, par exemple.

Il semblerait que nos braves autorités compétentes aient régulièrement été plus autoritaires que compétentes.