Des bordels aux salons de massage

Tout est dans le fantasme

Si la prostitution existe toujours dans nos murs, elle s’est faite discrète. Une enquête géographique et coquine.

Quittant les rues pour passer derrière des portes anonymes, les dames qui monnaient leurs charmes à La Chaux-de-Fonds sont facilement atteignables. Pour les contacter, il suffit d’une connexion virtuelle.

En effet, sur internet, les petites annonces fleurissent. Celles qui illustrent cet article proviennent, ironie numérique, du site 1000metres.com spécialisé dans la pub porno chinoise. Pourvu que les internautes du cru ne se trompent pas trop souvent de noms de domaine…

Reste-t-il un quartier chaud en ville? Pas du tout. Les salons sont établis au quatre coins de la commune. Cela n’a pas toujours été le cas.

Au siècle passé

Les bordels ont connu une période faste en ville dans les années 1950. C’était l’époque de la construction du barrage du Châtelot et les ouvriers ne rentraient pas toujours à la maison. Ils profitaient de leurs congés pour dépenser leur paie en faisant la fiesta par ici.

Les péripatéticiennes déambulaient alors sur la place du Marché et aux alentours. Les bars du quartier, comme le fameux Tic-Toc de la famille De La Reussille les accueillaient en cas de pluie ou de froid. Certains lieux étaient munis d’une petite lampe rouge signalant la présence de dames vénales, à l’endroit où se trouve la librairie Impression par exemple.

Selon les renseignements fournis par plusieurs Chauxois, il y avait des maisons de passe rue de la Ronde, rue de l’Hôtel-de-Ville, à proximité de la prison et à la rue du Stand. Deux hôtels sont restés célèbres dans la mémoire des fêtards: le Guillaume-Tell, disparu dans les flammes de l’enfer (on trouve là désormais une place de jeu pour enfants, devant le Bâlois). Faut-il déchiffrer une morale dans cette fin tragique d’un haut lieu nocturne? Dans les années 80-90, l’Hôtel du Moulin vers le Grand-Pont, fermé actuellement, accueillait son lot de messieurs en manque de câlins.

Une ancienne du Moulin, Marguerite, retirée des affaires depuis des lustres, m’a expliqué dans un langage fleuri qu’à la grande époque après la guerre de 39-45, des messieurs en décapotable venaient embarquer au Guillaume Tell quelques filles bien bâties pour défiler en ville, décolleté au vent. Les arbres du Pod devaient rougir avant l’automne.

La fin du striptease

Il y a eu plusieurs bouiouis «montants» où moyennant assez de champagne trop cher, le pigeon pouvait se retirer dans un séparé avec la dame de son choix le temps de faire sa petite affaire. Ou monter justement, dans une chambre prévue à cet effet. La plupart offraient des spectacles de striptease et de nombreuses entraîneuses au bar. Ces cabarets, soumis à la concurrence des téléphones roses puis des rencontres vidéo porno, ont fini par baisser pavillon. Exit ainsi La Fourmi, le Bouchon, le Rodéo/Caraïbes ou le 55.

Ainsi, sans la rue ni les bars, la prostitution s’est dispersée pour mieux se cacher.

Se rincer l’œil souris en main

Plus rien de visible aujourd’hui? Pas vraiment, c’est simplement sur écran: on se rince l’œil à coup de virées virtuelles en salivant sur son clavier avant d’aller consommer charnel sur place. Joomil, Anibis, Petitesannonces.ch, le choix est vaste. Prenez le portail coquin Fgirls.ch, prétendument Annuaire escort n°1 en Suisse depuis 2010, où chaque fille travaillant en salon est répertoriée, si le maquereau de service fait son boulot de publicitaire. Tout y figure: moyens de paiements acceptés, description précise (vidéo en option) et parfois même l’endroit où opère la fille. On apprend surtout si la dulcinée choisie est en pause ou pas. Reste que c’est comme chercher un spectacle dans un grande capitale: le choix est vaste et cela prend nettement plus de temps de visionner des dizaines de pages internet que de passer dans une rue dite chaude.

A en croire une statistique d’Arc Info, la ville serait mieux «lotie» en services érotiques que Le Locle ou Neuchâtel, si l’on considère le nombre de prostituées par habitant.

Ces considérations chiffrées recouvrent une réalité complexe. Il existe en effet plusieurs catégories de salons de massage, du plus chic au plus sordide.

Le salon Tentation, devenu Zefiro (ce genre d’établissement change plus souvent de tenancier qu’un bar à café…) assez huppé, est situé en face de la Migros Métropole. Un bonhomme affable vous accueille et présente ses «pouliches» dans le corridor; un client relate en effet avoir eu l’impression d’être au Marché concours.

Rue de la Paix, côté jardin de l’immeuble où les gourmets trouvent le restaurant grec La Feuille de Vigne, des filles indépendantes attendent le client de manière sporadique. Les salons portent des noms qui devraient inspirer la sympathie: Fleur de Lys, le Black, la Vie en Rose.

 

 

Faire la porte ou pas?

«Je ne fais pas la porte», précisent certaines dames au téléphone. Cela signifie qu’elles ne répondent pas au client qui vient sonner sans avoir averti auparavant par un bref appel de l’heure à laquelle il va arriver pour baisser son pantalon.

Il existe plusieurs codes dans ce monde interlope: la dame demande à savoir le prénom du quidam payeur, même si elle passe très vite au «Chéri» de rigueur qui ne demande aucun effort de mémorisation. La désinfection soignée du service trois pièces du mâle présent est devenue rituelle en ces temps de pandémie. Mais curieusement, les salons ont été moins longtemps fermés que bars et bistrots. C’est sans doute de première nécessité, les services des prostituées…

Tarifs échelonnés

Question tarifs, la ville ne connaît pas les différences de prix que l’on constate sur le café crème avec les grandes cités du vice que sont Zurich, Bâle ou Genève. Même si l’annonce dans votre quotidien préféré indique «pas pressée» ou «troisième âge bienvenu», la tarification se calcule à la minute. 100.- frs pour 15 ou 20 minutes suivant le standing du salon, 150.- frs la demi-heure, 200.- frs les trois-quarts d’heure ou l’heure. Précision indispensable: sans «spécialité», comme rapport sans préservatif, positions et pratiques bizarres (genre crème chantilly où bon vous semble) ou sexe anal. Et si le client ou la cliente a le porte-monnaie bien garni, le Moulin Rouge de la rue Numa-Droz propose un lesbienne / duplex de 60 minutes pour 500 frs. Les mensurations, âge voire même la pointure figure en regard des photos pour les fétichistes des pieds!

Le plus drôle lorsqu’on tape «Salon de massage Chaux-de-Fonds» est l’orthographe fantaisiste concernant la description du corps tant désiré ou des prestations envisageables: les «sains naturels» côtoient le «sadomie spéciale débutants» et les «Tatilles». N’allez pas croire à un truc extravagant tiré du Kamasoutra: c’est de la taille de la dame en photo qu’il s’agit. La publicité ratisse large: «Frontaliers bienvenus» «Duos es posible», sans être forcément très claire: «Réveillez votre érogène». Une se dit «grande passioné nymfomane», sa voisine assure que «Ma chatte est un bombom sucre»… Autre caractéristique: la plupart portent des prénoms finissant par A, c’est plus facile à prononcer: Karina, Julia, Antonella, etc.

Des détails précis

Sur place

Entrons dans un de ces endroits mal famés. Ce qui frappe à première vue, c’est le mauvais goût très répandu (reproductions de femmes à poil qui ne passeraient pas dans le calendrier Pirelli, gravures graveleuses décolorées), les moquettes épaisses pas toujours de première fraîcheur et des miroirs placés un peu partout, du plafond au coin de la porte. Les lits sont parfois éclairés par en dessous, on se demande pourquoi. Les pseudos décors chinois ou latinos ne manquent pas.

Le plus surprenant reste l’odeur: on sent que certaines habitent là à la semaine, on se croit arrivé dans une buanderie, c’est jour de lessive permanent (tant mieux d’ailleurs). Variante, les fumets de cuisine plus ou moins exotiques suivant les locataires du salon. Couscous, friture, soupe au poulet, je vous laisse deviner la nationalité des poules qui passent ici entre une semaine et quelques mois.

D’autres semblent passer leur temps entre deux clients à poutzer leur chambre: on respire la Javel à plein nez. Sans doute l’effet du tournus rapide des dames en ces lieux.

Rares en effet sont celles qui travaillent à long terme au même endroit. Nous avons interviewé par téléphone une sympathique dame portugaise qui officie en ville à son compte dans un studio discret rue Jardinière depuis de nombreuses années. Elle connaît bien le business local. Elle regrette que beaucoup de filles ne sachent pas écouter la clientèle, car elle se considère comme une sorte d’infirmière en sexualité publique, assistante charnelle chargée aussi de panser les plaies psychologiques des esseulés qui passent chez elle pour quelques instants privilégiés. Il faut alors parler un minimum de français pour faire preuve d’empathie.

Un dicton latin veut que «post coïtum animal triste», après avoir tiré sa crampe, l’homme est triste, entendez qu’il aura tendance à se confier. Les dames le savent bien et écoutent des confidences qui tiennent plus de la psychiatrie que des culbutes sensuelles.

Après plusieurs téléphones à divers salons, l’enquêteur qui se trouve aussi être traducteur confirme: n’imaginez pas avoir à coup sûr un échange en bon français. Si certaines baragouinent la langue de Voltaire, la plupart préfèrent l’anglais ou leur langue maternelle.

Casting: on recrute sans vergogne

Revers de la médaille: en zyeutant longtemps, j’ai trouvé des détails économiques qui font soucis: un salon en manque d’ouvrières du sexe affiche: Pourcentage: 60 % – 40 % (ainsi le maquereau ou la mère maquerelle gagne bien sa vie) et offre en retour des prestations peu chères (à part la pub peut-être): La maison paye toute la publicité, préservatifs, huiles et crèmes de massages, lingettes nettoyantes, etc.

Pas moyen de savoir par contre qui paye le Coca ou le verre de mousseux offert dans certains salons pour faire patienter le gogo pendant que la dame se douche.

D’autres sites enfin sont spécialisés dans la vente de salons. Si vous songez à investir dans ce business, vous y trouvez tous les détails utiles (nombre de pièces, notoriété de l’endroit, etc.), y compris la photo de la machine à laver.

Et ne croyez pas que le rating (= la notation des prestations) s’est arrêté aux portes des chambres: sur Fgirls.ch, les clients vantent la douceur de l’une, sa patience ou la taille de ses divers attributs comme s’il s’agissait d’une esclave à vendre.

Des femmes arnaquées

Ne nous leurrons pas: l’exploitation de filles étrangères appâtées pour soi-disant venir danser dans des cabarets et qui finissent en position horizontale est une réalité contre laquelle la brigade des mœurs sévit. Reste que les pandores ont souvent une longueur de retard sur les trafiquants de chair humaine. Et comme peu de filles osent aller se plaindre (c’est pas étonnant) qu’on leur a piqué leur passeport ou qu’elles sont enfermées contre leur gré, le client finit par fermer les deux yeux sur ces tristes réalités.

Les gigolos feront l’objet d’une autre enquête, que les femmes célibataires ou libertines ne s’inquiètent pas: il y en a, c’est sûr, mais ils sont encore plus discrets que les professionnelles décrites ici.