Antigaspi: les dix chemins de Lucien Willemin

HALTE au gaspillage automobile. Visant l’arrêt du gâchis des véhicules d’occasion, un petit livre explique pourquoi il faut garder sa vieille voiture.

Le titre est sans catalyseur, Lucien Willemin fait fort. Son propos est à la mesure de la gabegie du marché automobile européen et suisse. Et encore gabegie, c’est gentil: il y a tromperie de la part d’autorités fixées sur le CO2 et la bagnole électrique. Pour l’instant les politicien·nes ne savent absolument pas comment gérer les millions de véhicules thermiques en service, ni ceux qui seront fabriqués d’ici à 2035. Le bouquin oscille entre un ton fédérateur conciliant lorsqu’il propose des solutions et des affirmations sous forme de «tampons de réflexion» destinés à secouer les esprits avachis.

Tri à la casse des Foulets

De la Golf GTI années 80 à l’occase 2022

D’où est partie la réflexion menant à ce livre? Automobiliste passionné – il vibre encore en évoquant sa première VW Golf GTI qu’il pilotait à toute bombe sur les routes sinueuses de son Jura natal – Lucien Willemin, reconverti, ne roule plus qu’en voiture d’occasion et prend le train chaque fois que c’est possible.

Lecture aisée

Chez Lucien Willemin, la vulgarisation n’est pas un vain mot. Il a pondu trois ouvrages similaires ayant cartonné: En voiture Simone! (2013) illustré par Mix & Remix, Fonce Alphonse! (2015), Tu parles Charles! (2017), en format carré à mettre en poche. La collection va perdurer, avec une Chaussure rouge sur la tranche. L’idée est simple: il suffit d’une demi-heure sous un sapin pour lire un de ses bouquins. Qui permettent d’y voir clair dans le discours des multinationales et de la publicité.

Gabarits pour redresser une Mustang 64

Un cinquantenaire libre-penseur

L’automobile pose problème, de sa fabrication (énergie grise) à sa fin programmée. Lucien Willemin le sait: il a planché cinq ans avant de s’atteler à HALTE. Statistiques et indicateurs économiques n’ont plus de secrets pour lui. Il a peaufiné durant cinq ans de mieux son concept, le texte et l’assemblage des «tampons», jalons marquants du livre. Bonus, l’imprimeur loclois Gasser ayant mis la clé sous le paillasson, il a trouvé un nouvel éditeur solide, les Éditions d’En Bas.

Des gestes à haut potentiel

Lucien Willemin a sillonné la Suisse pour prendre le pouls des garagistes et s’enquérir de leurs stocks d’invendus, d’occasions et de collection, de tous ces véhicules non immatriculés dont personne ne connaît le nombre. 200 garages ont signé un appel pour que le parc automobile d’occasion soit valorisé et officiellement comptabilisé.

Gaspillage certain

Sachez qu’il y aurait plus de 1,5 million de véhicules en attente de propriétaire ou simplement de sortie. Une interpellation aux Chambres fédérales est en gestation à ce propos, on murmure qu’elle sera déposée à la session d’été. 1000METRES.CH suivra tout rebondissement politique.

Les belles tutures qui rouillent

Chacun·e d’entre nous a entendu parler de ces capitaines d’industrie, notaires ou banquiers ayant amassé une collection de 33 Porsche, 47 Jaguar ou 58 Ferrari. Ces voitures ne sortent presque jamais. Membre prestigieux du clan: feu Marcel Ospel, président du C.A. de l’UBS, banquier vedette des années 2000. Il a fini par donner une Aston Martin au Musée des transports. Le pauvre n’avait «que rarement l’occasion de prendre le volant» de sa fusée verte 8 cylindres en V à 750’000 francs. Elle devait être rouillée pour qu’il la donne …

Compter les auto, c’est maîtriser le marché

Revenons aux occasion plus abordables. Lucien Willemin développe une idée-clé: dénombrer ces véhicules parqués en zone grise. Il n’y existe en effet aucune statistique fiable ni en Suisse ni en Europe à ce sujet. Une «immense bévue» aux yeux de l’auteur.

Epave en voie de réhabilitation

Monté comme un millefeuille, son dernier bouquin est solidement documenté pour étayer la requête.

Après un examen des politiques erronées des pouvoirs publics focalisant uniquement sur le CO2 sortant du pot d’échappement, il fustige le gaspillage automobile que cette politique génère.

Démontrant point par point l’inanité de la vignette Crit’Air (en France) ou Stick’Air (à Genève), il souligne que pour se mettre en règle et continuer à rouler, on «devra passer par la case changer de véhicule». Une aberration pour celles et ceux qui possèdent un véhicule en état de rouler.

Comble du propre en ordre

Effectivement, si la législation entend diminuer les émanations de particules fines au nom du «droit à un air sain» (déclaration d’Antonio Hodgers conseiller d’état vert genevois), c’est sans tenir compte de «la santé de populations qui subissent la pollution de la fabrication des nouveaux véhicules mis sur le marché genevois (..) ni de la santé des peuples qui verront leurs rues envahies par nos anciennes carrioles occidentales exportées».

À valoriser autrement

Un tableau comparatif des émissions de particules fines (p. 29) indique que 12% des particules fines proviennent des gaz d’échappement, le reste étant dû à l’usure des freins, des pneus et à la remise en suspension de ces PM nocives pour les poumons. Conclusion: «Le type de motricité ne pèse pas très lourd dans le bilan global. De fait l’impact recherché par les autorités est moindre et peine à faire sens».

Sur sa lancée, il questionne l’impact de la fabrication d’un véhicule.  Démonstration en trois phases:

  • Création des mines de matière première: en général, on rase des forêts primaires en démolissant sols, vie animale et végétale.
  • Extraction des minerais: implique de faramineuses quantités d’eau et traitement chimiques polluants.
  • Composants utilisés et transportés pour monter une voiture: 180’000 pièces voyagent sur des milliers de kilomètres avant de pouvoir démarrer.

Rappel: présente tout au long de la construction d’un tas de ferraille motorisée, la pollution chimique n’est pas compensable. Alliée à la destruction des sols en forêt, c’est un mécanisme saccageur de vie.

Il est donc nécessaire que règlementations politiques et comportements collectifs évoluent, pour casser cette inflation polluante.

Perceuses à colonne de choc, chez Sauser

Quelle politique pour endiguer le gaspillage?

Le solution est connue: il faut rouler moins, user plus et pour finir réduire la quantité d’objets fabriqués sur la planète. Sans se focaliser uniquement sur la réchauffement climatique.

Un passage est consacré à l’exportation de voitures usagées et au recyclage pas si propre qu’on a tendance à croire.

Heureusement, il existe encore des garages qui savent réparer. 1000METRES.CH a rencontré au Cerneux-Veusil, Jean Sauser dans sa carrosserie d’un autre âge où il retape presque n’importe quel véhicule usagé ou endommagé.

 

Ce genre d’artisans passionnés est une espèce en voie de disparition, car les assurances ne veulent plus payer 50 ou 80 heures de tape-tôle pour remettre sur route une voiture. C’est pourtant une partie de la solution pour cesser de polluer encore plus.

Plans de véhicules à n’en plus finir, chez Sauser encore

Démolissons-nous nos véhicules trop tôt?

Pour répondre avec certitude à la question, il faudrait savoir combien il y a vraiment de voitures en Suisse. On retombe sur la proposition initiale de comptabiliser les véhicules non-immatriculés.

HALTE soumet aux politiques un programme en dix points, les dix chemins de Lucien Willemin:

  • Répertorier les véhicules à moteur non-immatriculés.
  • Abolir la vignette Stick’Air et les primes à la casse ou à la conversion.
  • Proscrire l’exportation de voitures usagées.
  • Créer des conditions cadre pour la récupération de pièces détachées avant la démolition par compactage.
  • Accorder une déduction fiscale favorisant les réparations pour inciter à user le parc automobile.
  • Harmoniser les conditions d’expertises cantonale afin de permettre des procédés alternatifs comme le Retrofit, système Pantone, kit HHO et autres.
  • Accorder une défiscalisation ou subventionner la conversion de motorisation thermique en 100% électrique.
  • Reconsidérer et corriger l’ensemble des taxes pour encourager l’acquisition et l’utilisation prolongée de véhicules d’occasion.
  • Autoriser l’octroi de leasing uniquement pour les occasions âgées d’au moins deux ans.
  • Assouplir les normes de sécurité contraignantes qui accélèrent la mise à la casse des véhicules existants.
En attente d’un chassis à redresser, chez Sauser toujours

Pas une mince affaire, certes, pourtant ce sont des chemins tout à fait accessibles à conditions d’élargir son champ de vision, soit prendre de la hauteur et penser à long terme.

Pourvu que la Berne fédérale bouge!

Sortir de la surabondance

Relevant que l’auteur «bouscule les idées reçues et nous oblige à réviser nos habitudes de pensées», Philippe Roch affirme en avant-propos que «scientifiquement fondés, les travaux de Lucien Willemin invitent à ne pas céder à l’illusion technologique qui voudrait nous faire croire que des innovations techniques suffiront à relever les défis environnementaux de notre temps». L’ancien directeur du WWF Suisse souligne qu’il «faut certes produire de manière plus durable réparable et recyclable, mais il faut surtout rouler moins, se déplacer à pied, à vélo et en transports publics (…) sans avoir à courir après d’innombrables consommations futiles».

Un appel au changement de cap en matière automobile signé par dix personnalités de poids ponctue l’ouvrage.

Enfin, une série de liens web permet aux sceptiques de revenir sur leurs certitudes.

12.5 x 12.5 cm | 88 pages | cousu, collé |

ISBN 978-2-82900-0660-9 | 7 € / 12 CHF.-

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Autres visions automobiles

Que vous aimiez ou pas les bagnoles, prenez le train, allez à Bienne. Il faut parfois sortir de la Chaux-de-Fonds pour y revenir enrichi de connaissances surprenantes.
Choisir une soirée douce où les terrasses sont pleines.
Prendre à gauche en sortant de la gare, viser l’
Atomic Café. Acquérir là un exemplaire –faites vite, il n’y en a que 210 – d’un OVNI à prix libre: La mondiale TURBO, n° 4 automne 2022. Un fanzine noir-blanc, auto-édité, auto-imprimée, bref tout auto.
Ça choque et ça berce en même temps. Contact si vous vous voulez envoyer qqch pour un prochain numéro.
Ce sont des gens malins sachant créer un vrai code QR qui mène à des GIF d’accidents ou de dérapages.
Extrait du quiz de la page A21: «Libérez les cyclistes enfermés dans leur voiture». Qui chantait ça?

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Déclaration d’intérêt: le rédacteur Dudu connaît Lulu Willemin depuis 10 ans et a participé à la conception ainsi qu’à la relecture de ses ouvrages. Personne ne touche de droits d’auteur, le bénéfice éventuel est réinvesti pour le prochain livre.

Pléthore de marques (meuble à dossiers suspendus  chez Sauser)