Grand Tissot + p’tit Tissot = beaucoup d’histoires

Un chouette livre de souvenirs des frères Lucien et Alain Tissot fait revivre des luttes, des crasses et des sauvetages de bâtiments du patrimoine local.

Voilà un bouquin sans prétention à lire au coin du radiateur, calfeutré dans un vieux fauteuil. On découvre ou redécouvre les combats de deux défenseurs du patrimoine, filous parfois (surtout au passage des frontières), l’aîné en militant assagi, le second en pilier de la politique urbanistique locale.

Pour cerner les motivations de ces deux frères, Robert Nussbaum, collaborateur de L’Impartial (où il a travaillé 23 ans en digne fils de son père Jean-Marie, grand localier), a passé de nombreuses heures à enregistrer puis retranscrire fidèlement leurs propos. Si le ton est parfois grivois, il ne dérape jamais dans l’injurieux.

Une vaste famille

La truculence des Tissot est sans doute génétique: leur père André, directeur du gymnase de la ville durant des décennies, n’avait pas langue dans sa poche. Dès lors, pas surprenant si ces descendant·es, Lucien et Alain, puis leurs filles et fils utilisent tous, d’une manière ou d’une autre, l’expression orale ou musicale, dans les prétoires ou sur scène.

L’auteur, tout à son travail de bénédictin, aurait pu ajouter un tableau généalogique pour qu’on s’y retrouve entre frères, sœurs, oncles, tantes et grands-parents avant d’arriver à la page 87. Car il y a une tripotée de Tissot dans cette branche.
Rien qu’au vernissage, les trois générations présentes occupaient la moitié de la salle de l’Espace TSM (ancien Garage de la Tranchée). Notons qu’André Tissot jeune alias Professeur Chantage (fils d’Alain et membre des Pelouses Brothers) a clos les officialités en chanson, faisant au passage un triomphe mérité. Il m’a glissé que les paroles bien inspirées lui sont venues durant un isolement covidien. Intitulée Les Frangins, l’odelette aux souvenirs commence «comme dans la pieuvre à la fête foraine, ta tête tourne et le temps t’accule», un régal.

Iconographie spartiate

Certes, saupoudrées dans l’ouvrage, quelques illustration noir-blanc permettent de se faire une idée de la famille. L’auteur fait remarquer en introduction qu’il serait sans nul doute enrichissant de pouvoir piocher plus avant dans la vaste collection de clichés rassemblée par Alain Tissot. Et Bob Nussbaum de rêver à la publication d’un album. Reste à trouver l’argent nécessaire à la réalisation forcément coûteuse dudit album.

Recherche de fonds

L’appel est lancé, mécènes à vos chéquiers, contactez soit la maison de production Sur le Haut éditionssurlehaut@gmail.com où l’éditeur Daniel Musy vous expliquera comment soutenir ses projets à venir. Ou adressez-vous directement à l’auteur nusbaum.news@gmail.com. Nous n’avons pas oublié le second S, c’est voulu par l’auteur, un pas vers la décroissance?

Revenons au bouquin, truffé de savoureuses histoires comme celle d’un trax transmuté par un tour de passe-passe administratif en voiture de course. Les récits, un brin décousus vu la longue période couverte, sont ponctués de thèmes récurrents comme l’important rôle d’une certaine camionnette Renault.

Témoins du passé sauvés de la démolition

La première partie, intitulée Jeunesse et engagements détaille de manière vivante les jours passés au bord du Doubs aux Brenets où les Tissot possédaient un petit chalet. On découvre l’endroit où a commencé la relation entre leur père André et la future maman. Suivent deux portraits des héros du livre qui “allaient lire les Tintin à la chambre-haute” parce que papa les détestait… Pour les amateurs de vieilles pierres, le plus intéressant passage  figure au chapitre 7.

L’ASPAM sauve des fermes

L’Association pour la sauvegarde du patrimoine des Montagnes neuchâteloises. ASPAM, a été fondée en 1963 par le grand-père André avec feu le docteur Max-Henri Béguin (fervent adepte du sucre brun complet et des murs en pierre sèche) et d’autres personnalités de l’époque. Une ASPAM que Lucien a aussi présidée, créée ironie du sort, dans un bâtiment aujourd’hui disparu, le Collège primaire de la rue Numa-Droz.

En posant de bonnes questions, Nussbaum décrit fort bien les aléas de la protection du patrimoine local. Comme les rognes des frères contre certains politiciens, souvent du même bord politique qu’Alain (socialiste convaincu). Ces édiles voulaient, sans états d’âme aucun, raser les vieilles pierre dans l’esprit des «trente glorieuses» où le modernisme éclairé au néon avait pignon sur rue.

Ferme des Brandt aux Petites Crosettes, La Combeta aux Eplatures, la ferme Charrière 91 (restaurant La Cheminée), une ferme à La Recorne démontée pour être reconstruite au Ballenberg, etc. La liste des bâtisses décrépites sauvées de la démolition est longue.
Les puristes font remarquer que les Tissot ont chiné à gauche à droite pour meubler le Musée paysan sans se soucier beaucoup de la sauvegarde des objets dans leur environnement original.
Dernier succès en date de l’ASPAM: la rénovation de la ferme Droz-dit-Busset à côté de l’aéroport, elle aussi transformée en restaurant.

La seconde partie du livre est consacrée exclusivement à Alain Tissot car, coquin de sort, Lucien est décédé début 2021 avant d’avoir pu relire les épreuves du livre. Théâtre scolaire, modèles réduits, voyage avec des élèves, camps à Rimini, la moisson de souvenirs est riche.

Bourré d’anecdotes pittoresques

Parmi les annexes, vous trouverez une série de petits récits mettant en scène Lucien ayant maille à partir avec les douanes. Courez lire celle sur l’importation illégale de sous marins atomiques! Plus loin, une conférence d’Alain passe en revue les hauts faits des contrebandiers passant le Doubs. On y apprend que le fameux brigand Louis Mandrin a passé à La Chaux-de-Fonds la nuit du 13 au 14 décembre 1754. Le maire de l’époque était, devinez, un Tissot. Bilan: plus de peur que mal.

Le livre se termine sur quelques reproductions de peintures de Lucien ainsi qu’une lettre à Sébastien Jacobi, longtemps porte-parole des CFF. Missive signé par Alain où l’on perçoit toute la passion des trains de ce ferrovipathe forcené.

A lire sur écran aussi

Sachez enfin que celles et ceux qui n’ont ni radiateur, ni vieux fauteuil parce qu’iels se chauffent solaire Minergie et préfèrent les canapés peuvent aussi lire le livre sur écran. Tous les livres édités par Daniel Musy aux Éditions SUR LE HAUT sont téléchargeables en PDF gratuitement, il faut le souligner.

Déclaration d’intérêt: j’ai fréquenté les mêmes bâtiments scolaires que Bob Nussbaum, fait des crasses ensemble dans les années 1970. Il nous arrive encore de partager un verre. J’ai reçu le bouquin. Donc j’en cause.