Postes, douanes et CO2
L’UE symbolise la libre circulation des biens et des personnes. Mais qu’un simple quidam envoie un paquet, colère, galère et grincements de dents.
Rencontré l’ami P’tit Jean au marché. Il part en Turquie amener 15 kg de marchandises introuvables sur place. Il prend l’avion pour gagner du temps. Je fronce: le gaillard est écolo d’habitude. Il décolle parfois pour aller découvrir un pays à l’autre bout du monde, pour un séjour de quelques mois. Là, il fait juste un saut en Anatolie. En effet, il n’est pas raisonnable d’envoyer un ballot de nourriture, car le prix du port dépasse celui de de sa valeur.
Lors d’un précédent envoi, les taxes douanières ont encore alourdi la facture finale. Le calcul est vite fait: un vol sur Istanbul aller-retour coûte moins cher. «Tu vois, ça me fait une balade et je vois les copains sur place en prime!»
Édifiante saga
On vante les mérites de la libre circulation des bien en UE. Je ne m’imaginais pas qu’un modeste colis puisse causer autant de soucis. Il aura fallu 4 mois pour l’acheminer. Accrochez-vous.
Pour mon malheur, j’avais rempli scrupuleusement la déclaration de douane: cadeau, valeur 480 francs. C’est trop pour un cadeau, ont considéré les douanes espagnoles. Il faut payer la TVA…
Ce n’est pourtant qu’une planche à découper la viande genre plot de boucher (faite de petits carrés collés bois debout), de belle taille (600 x 350 x 60 mm), fabriquée par la menuiserie Ducommun avec du hêtre suisse et cerclée d’acier par un serrurier du cru. Poids 8,5 kg. Du sur mesure pour l’asado mode argentine.
Les douaniers se foutent des paquets isolés comme de leur première casquette. Ils peuvent les mettre en quarantaine, sous prétexte qu’ils vont peut-être exploser. Comme j’avais omis d’indiquer l’adresse courriel sur le paquet (usage des hispaniques douanes ignoré des collègues suisses), il aura fallu deux semaines pour qu’un courrier électronique arrive à bon port chez le fiston, gmail considérant que les gabelous espagnols produisent du spam, pas de bol.
Commencent alors les va-et-vient en langue administrative: (si vous calez à ce stade, sachez que j’ai aussi fini par en avoir marre…). Les sbires de Madrid exigent du destinataire des choses étranges comme la facture du cadeau avec le n° TVA du menuisier. A croire qu’ils craignaient une invasion de vers de bois suisses dans la péninsule ibérique.
Sornettes postales
Comme les postes espagnoles ne répondaient pas de manière satisfaisante, j’ai téléphoné à Berne.
On m’a répondu assez vite. Le préposé du service client qui a pris l’appel est un as, un vrai: il n’a cessé de répéter qu’il comprenait ma surprise, qu’il comprenait que je veuille me plaindre, qu’il comprenait, qu’il comprenait tout: cet employé modèle a subi un entraînement intensif pour ne pas répondre aux questions, mais faire preuve d’empathie marquée.
Celles et ceux qui ont lu le roman Monsieur Malaussène (1995) de Daniel Pennac connaissent cette méthode éprouvée, qui consiste à faire sentir au client toute la sympathie de l’entreprise, toute sa compassion pour les ennuis créés par les manquements de la boîte afin de noyer le poisson et ne pas entrer en matière sur un éventuel remboursement, au motif que, malheureusement, c’est de la faute d’une autre entité sur laquelle personne n’a de prise, d’influence et encore moins de possibilité juridique de se retourner.
En fait, je voulais l’adresse et le nom d’un·e responsable d’un service juridique pour déposer plainte.
La faute à l’Autre
Résultat des téléphones: il n’existe plus de liste nominative des personnes spécialisées service par service. Le papelard existait, j’ai travaillé comme traducteur aux PTT à l’époque du fonctionnariat. La liste était accessible au public. Aujourd’hui, personne n’est donc responsable, c’est la faute d’un autre bureau, d’une autre législation, de l’Autre quoi. Il est tabou d’indiquer un nom ou de donner une adresse courriel personnalisée, on se protège des clients, ces empêcheurs de tourner en rond.
Remboursement partiel inespéré
J’écris alors à international@post.ch citant des principes de l’UPU* en terminant ainsi: cette manie du secret «est une étrange conception de la relation-client, basée selon les meilleurs manuels de marketing, sur la confiance mutuelle (…), je dois faire confiance à une machine qui va me signifier que la réponse me parviendra d’ici peu et que Madame international@post.ch a bien pris connaissance de ma requête.
D’aucuns considéreront que je me bats contre des moulins à vent internationaux, situés dans un métavers inaccessible. C’est en forgeant qu’on devient forgeron, disait-on jadis, c’est en faisant désormais de petits pas administratifs que l’humanité fera de grands bonds…».
Là, j’ai reçu un long courrier signé d’un «spécialiste». En résumé, rien à faire, je souhaitais un remboursement de la surtaxe Prioritaire de 10.- CHF, ils m’ont proposé ô surprise, de verser 20.- frs à bien plaire.
Pendant ce temps-là, le paquet droguait toujours.
En fait, personne n’est responsable, c’est vous qui avez eu la mauvaise idée de vouloir expédier un bidule en allant le déposer au guichet.
Quel manque de modernité: commandez sur le Net et le tour est joué… Les obèses vendeurs Zalando et Amazon savent en profiter. Leurs marchandises passent la douane par conteneurs entiers, sans coup férir.
Point de soucis avec le web, inutile de se déplacer avec un machin encombrant, de l’emballer soigneusement, de peser la chose, de remplir un formulaire abscons et de savourer la gueule du préposé qui voit arriver un objet inconnu au bataillon juste avant la fermeture.
Je vous l’ai faite extra-longue, mais comme disent les vieux contes russes: l’histoire est vite racontée, mais le temps passe lentement.
Retour au bercail
Le paquet est revenu chez moi après son séjour madrilène. Pas express bien sûr: mon fils a bataillé sur internet pour obtenir le cadeau. Inutile, LA planche maudite est de retour, le délai d’attente en douane était dépassé…
A réception, j’ai dû m’acquitter de 20 francs de frais exigés par les douanes suisses. On comprend ici pourquoi le spécialiste (qui savait que j’allais devoir raquer) a proposé de me filer 20.- francs. Il espérait d’ailleurs que «vous garderez toute votre confiance dans l’entreprise».
Vicieux CO2
De guerre lasse, j’ai suivi la piste de l’ami P’tit Jean: j’ai pris l’avion pour aller apporter en personne le cadeau. Le billet coûtait 71.- frs contre 68.- le port. Bon, le bilan CO2 de la planche à découper est déplorable, mais comme personne n’est responsable, alors…
* Note pour l’édification des fidèles internautes:
L’UPU n’assure plus le service
L’UPU, c’est l’Union postale universelle, outil de coordination des facteurs du monde entier. Un gros machin qui s’occupe de tout et de rien, de l’amélioration de la qualité du service à la validation des normes de distribution en passant par l’influence du Covid 19 sur le marketing direct. J’ai cherché longuement des indications concernant les délais aux douanes. Le site est pleine de normes et de bonnes intentions, de liste ordonnées selon une logique tortueuse; il semble que certains à l’UPU ignorent l’ordre alphabétique, on trouve les pays listés en fonction d’obscurs critères de développement ou carrément selon la date de mise en ligne des documents.
C’est complet, on trouve la liste des jours fériés régionaux espagnols en 2016. Bref, si vous avez le temps de tout lire, il ne manque que l’âge du facteur. Un ramassis de calembredaines administratives utiles deux fois l’an aux postiers.
Cela ne sert en rien le quidam dont le paquet reste en rade. J’avais déniché une indication dans la bible upusienne: Temps de dédouanement: Envois passibles de droits de douane: up to 72 hours. Joie! Passagère, une guichetière chauxoise a vite douché mon enthousiasme: «Vous savez avec la pandémie, c’est pas garanti du tout». Elle ne croyait pas si bien dire…