Quand les robinets auront des dents
Pour parer à un manque d’eau qui menace, ménager lacs et cours d’eau, maintenir la facture de flotte dans des proportions acceptables, supprimons des robinets. Sinon bienvenue au puit.
Depuis les chaleurs de cet été, il est question d’économiser l’eau. Les autorités agitent le spectre de la pénurie, on parle de boucher des trous dans le Doubs, on interdit d’arroser les salades. Les plus mystiques, comme Christian Petit, patron de Romande Energie, prient que tombe la pluie afin de remplir les barrages. Il va sans doute bientôt danser.
Depuis que le formidable Adolf Ogi demandait au peuple ébahi de mettre un couvercle sur la casserole pour cuire un œuf dur, on lit, on entend, on sait qu’il faut éviter de gaspiller tant le précieux liquide que l’énergie. La notion d’anti-gaspi est encore plus vieille: elle date des années 70, première crise du pétrole.
Vœux pieux officiels
Actuellement, la Confédération, les cantons et les communes y vont de leurs meilleures recommandations. Je ne vais pas répéter ici la litanie des vœux pieux.
Les fabricants consacrent des pages entières de pub vantant les brise-jets, une combine inventée vers 1900, perfectionnée pour retenir les impuretés de l’eau entuyautée et amoindrir la pression. Las, les mirifiques campagnes de «sensibilisation» n’ont pas trouvé leur public…
On touche ici un sujet sensible: la netteté, symbole d’une Suisse «propre en ordre» où l’on clamait autrefois – avant les MacDo – pouvoir pique-niquer sur les trottoirs tant c’était ripoliné.
Virginales vertus
Accolés à la morale calviniste du travail rédempteur, nettoyage et ménage conçus comme vertus ont fait des ravages: on voit des mères proprettes empêcher leurs gamins de sauter dans des flaques «parce que c’est sale». Les mêmes gosses hyper-aseptisés sont ensuite sujet à mainte allergies et autres maladies de civilisation du savon industriel, genre mycoses à répétitions. Certes, la pollution atmosphérique y est aussi pour quelque chose, mais l’hygiénisme à outrance n’est pas innocent.
Et question flotte, c’est glouton de laver compulsivement jeans à peine tâchés et t-shirt qui sentent (il suffirait de les aérer une nuit sur un cintre dehors).
Obsession de la propreté
La manie suisse de l’hygiène a eu des répercussions industrielles et design. Design qui ne vise que rarement à utiliser moins d’eau. Il a fallu des décennies pour s’apercevoir qu’on peut récupérer l’urine des pissoirs sans actionner une chasse d’eau. Il a été plus rapide de supprimer les robinets collectifs et les buanderies partagées.
Savoir lésiner
Au chapitre économies, on remémore avec nostalgie grand-maman qui récurait son corridor avec les lavures. Précisons que si elle passait chaque jour la panosse avec l’eau de la vaisselle, c’est que le chauffage au coke faisait une poussière d’enfer.
À l’heure du lave-vaisselle, allez récupérer la flotte usagée pour la verser dans vos W-C. D’aucuns invoquent des pratiques de sobriété, des cycles fermés, la brique dans la chasse d’eau, j’en passe et des plus utiles. Pratiques qu’une majorité des gens connaît, mais n’applique jamais.
Agir sur la source
Foin de bonnes vieilles méthodes, il faut couper des sources d’eau. En commençant par supprimer tous les robinets d’eau chaude d’un appartement à l’exception d’un seul, celui de la salle d’eau. Du boulot en perspective pour les installateurs. Les vendeurs de seau se frottent les mains.
J’entends déjà les experts en tout genre clamer que «ce sont des économies négligeables». Ces as éclairés au néon ne pigent que dalle au pouvoir de la symbolique pour inscrire le changement dans les esprits.
Il en va de l’eau comme des routes: plus il y en a, plus l’usage augmente: en créant une autoroute, on enclenche un aspirateur à trafic. Un robinet d’eau chaude de plus à la salle de bain induit plus de consommation. De nombreuses salles de bain ont douche et baignoire, deux éviers semblent inéluctables dans les villas, faudrait pas devoir attendre pour se laver les chagnottes …
Et le compteur des m3 d’accélérer, vive le laisser-couler.
Bouger les habitudes
En Astérix moderne, chacun·ne craint que le ciel lui tombe sur la tête, sans bouger ses habitudes d’un iota. Il a fallu une guerre en Europe pour envisager (peut-être, si tout va mal) de réduire la consommation d’énergie.
Combien de canicules catastrophiques endurerons-nous avant d’utiliser moins d’eau? Dès que la baille deviendra rare, de petit·es futé·es mettront au point une fermeture électronique du robinet, coupant le jet à peine vous dépassez votre quota. À distance et sans vous demander.
Agissons avant que les robinets aient des dents!