Sans-papiers: vers une régularisation fantôme
Les député·es neuchâtelois veulent une procédure collective d’octroi de papiers, type «Papyrus». Or une solution collective est impossible, la loi y fait obstacle. Analyse et commentaire acidulé.
Pétris de bonne volonté, les parlementaires cantonaux ont accepté un postulat sur la «régularisation» des sans-papiers. C’était le 20 février 2024, le POP a fait voter avec succès un postulat soutenu par le groupe POP, PS, Verts, ainsi que le groupe du Centre/Vert’Libéraux. Quelques PLR se sont abstenu·es et l’UDC a voté contre.
Sur un modèle genevois
Ce texte demande au gouvernement d’étudier s’il pourrait mettre en place une procédure collective d’examen de demandes de papiers, de type «Papyrus», comme cela a eu lieu à Genève il y a plusieurs années. La RTS a repris et complété une dépêche ATS consacrée à cette décision.
Nous ne pouvons que nous féliciter d’une telle mesure, qui indique que nos idées font leur chemin, y compris dans les rangs de partis conservateurs ou sourds à la situation des personnes étrangères en Suisse, voire hostiles à leur égard. Il est également intéressant de noter que le texte du postulat et de son développement parle des conditions indignes et précaires dans lesquelles travaillent les personnes sans statut légal, et les dénoncent. C’est une bonne chose.
Apport essentiel des étrangers
Le texte souligne également tout l’apport social, économique et culturel des personnes étrangères sans statut légal dans le canton. Qu’une telle reconnaissance soit exprimée devant le Grand Conseil est un pas en avant.
Sortir de la précarité
De manière détaillée, le texte demande «l’étude de la mise en place d’un dispositif permettant un accompagnement spécifique sur une durée adéquate et selon des modalités à déterminer une fois la régularisation effectuée est également demandée, afin de donner la possibilité́ aux personnes concernées de s’autonomiser et de sortir de la précarité́», démarche nécessaire pour que les personnes étrangères, avec ou sans statut, puissent accéder à l’assistance sociale et aux aides sociales. Ces aides devraient être accessibles à touxtes, sans distinction. Saluons donc cela.
Si le POP se félicite d’une mesure de «régularisation des sans-papiers» et que la RTS parle d’une «régularisation des étrangers sans-papiers» (formulation étrange, si vous me permettez l’expression, car il n’existe pas de « Suisses sans papiers»), il est intéressant d’examiner le texte de plus près afin d’être plus précis.
Démarche collective
Au niveau international, lorsque l’on parle de la «régularisation des personnes sans papiers» – au Mexique par exemple, les régularisations sont numérotées par vagues, avec des critères qui varient selon les circonstances, ou au Maroc au début des années 2010- il s’agit de donner, collectivement, un statut légal de résidence à des personnes qui, selon la loi, n’y auraient pas droit, ou pas accès.
Qui pourrait être concernée·e?
Ce n’est pas ce dont il s’agit lors d’une opération de type «Papyrus», et ce n’est donc pas cela que le postulat demande d’examiner. En effet, le texte parle de «régulariser les personnes concernées (par exemple sur la base de l’article 30, alinéa 1, lettre b, de la Loi sur les étrangers (LEI)», lequel précise:
“Il est possible de déroger aux conditions d’admission (art. 18 à 29) dans les buts suivants: (…) b) tenir compte des cas individuels d’une extrême gravité ou d’intérêts publics majeurs;”
Cet article de loi permet donc une analyse au cas par cas de l’éventuel droit au séjour de personnes qui se trouveraient dans une situation extrêmement grave. Il ne s’agit pas là de prendre en compte de manière collective, ni massive, de la situation de dizaines ou centaines de personnes, en permettant la régularisation pérenne de leur séjour.
Pas de permis de longue durée
En effet, cet article de loi parle de déroger aux «conditions d’admission» et ne pipe pas mot du droit à obtenir un permis de séjour de longue durée, ni de pouvoir le renouveler. L’article 30 alinéa 1 lettre b de la LEI ne permet donc pas de régulariser «les sans-papiers» en général, mais donne simplement une possibilité de déroger aux conditions d’admission, de manière ni collective, ni pérenne.
Par ailleurs, applicable au niveau fédéral, cet article de la LEI devrait déjà concerner les personnes qui se trouvent sans statut légal à Neuchâtel. Il ne fait nul doute que les organisations qui soutiennent les sans-papiers y ont fait appel de nombreuses fois, sans que le SMIG (Service cantonal des migrations) n’y soit vraiment sensible. Espérons que le postulat débouchera au moins sur un changement à court ou moyen terme à ce sujet.
Extrême gravité
Le postulat cite également en exemple l’article 31 de l’Ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité́ lucrative (OASA). Celui-ci précise quels seraient les «cas individuels d’une extrême gravité» pour lesquels l’autorité pourrait octroyer une autorisation de séjour.
À nouveau rien d’un processus de régularisation collective, cet article précise les critères d’un éventuel examen au cas pas cas. Il indique que pour chaque personne concernée, il faut tenir compte, de l’intégration, des finances, de la famille, de la durée de présence en Suisse, de l’état de santé et des possibilités d’intégration dans l’État de provenance.
Critères très restrictifs
L’article 31 de l’OASA ajoute que l’autorisation de travailler ne peut être octroyée que si l’employeur formule la demande, si les conditions de rémunération sont remplies et si le logement de la personne requérante est adéquat.
Des critères très difficiles à remplir pour des personnes sans droit au séjour.
Fallacieux espoirs
La loi et l’’ordonnance citées ont servi de base à l’opération Papyrus de Genève. Or, on peut lire sur le site du Secrétariat d’État aux Migrations (SEM) consacré à cette opération que «Chaque cas est examiné en fonction de ses spécificités propres, et il ne s’agit en aucun cas d’une régularisation collective ou d’une amnistie. Contrairement à d’autres États européens (sic), la Suisse n’a jamais procédé à une régularisation collective de migrants sans-papiers ou à une quelconque amnistie et elle n’entend pas le faire aujourd’hui». Pas de régularisation collective à l’horizon, donc, dixit l’autorité fédérale sur l’opération Papyrus.
Régularisation, vraiment?
On ne peut donc que s’étonner que le POP, comme la RTS, parlent de «régularisation» des personnes sans-papiers au sujet du postulat voté le 20 février. On peut aussi supposer que copier le modèle Papyrus et son examen des dossier au cas par cas pour l’octroi d’un permis C, a aidé à obtenir le soutien d’élu·es de la droite et du centre. On peut aussi imaginer que l’échéance des élections communales dans le canton approchant, certains partis ont souhaité se donner un vernis humanitaire, au vu des nombreuses crises qui secouent la géopolitique mondiale actuelle.
Dur, dur, l’intégration
Tournons-nous une nouvelle fois du côté de Genève pour examiner les critères utilisés pour l’opération Papyrus, au sens du Secrétariat d’Etat aux Migrations (SEM):
- durée de séjour de 10 ans pour les célibataires, les couples sans enfants et les couples avec très jeunes enfants non-scolarisés
- durée de séjour de 5 ans pour les familles avec enfants scolarisés
- indépendance financière (pas d’aide sociale)
- respect de l’ordre juridique
- bonne intégration (notamment connaissance du français niveau A2 du cadre européen commun de référence pour les langues).
Preuves difficiles à fournir
Des critères pour le moins difficiles, non seulement à remplir, mais également à démontrer, pour des personnes sans statut légal. En effet, sans tampon sur le passeport ni permis de séjour, comment prouver dix ans de présence en Suisse à une autorité qui examine les dossiers au cas par cas? Comment démontrer son indépendance financière, alors que beaucoup de personnes sans statut travaillent sans contrat, et dans de mauvaises conditions de travail?
S’y prendre autrement
Si l’on souhaite soutenir les personnes sans papiers, ne vaudrait-il pas mieux considérer que c’est leur régularisation qui permettra leur intégration et leur indépendance financière et non pas le contraire? Combien de personnes sans statut dans le canton de Neuchâtel seraient susceptibles de remplir ces critères? Bien malin qui pourrait le dire.
Les pauvres font baisser les salaires?
Par ailleurs, le postulat parle de «lutter contre le travail au noir sur le territoire neuchâtelois». Espérons que cette lutte ne se fera pas au détriment des personnes sans-papiers, qui ne rempliraient alors pas les critères pour obtenir un titre de séjour.
Sinon cela deviendrait une chasse aux personnes qui travaillent de manière irrégulière – et non pas «illégale» comme l’affirme le postulat. Le postulat parle également des conditions déplorables de travail des personnes sans statut qui exerceraient «une pression à la baisse sur les salaires neuchâtelois». Cela alors que de toute évidence ce n’est pas la précarité des travailleurs et travailleuses qui fait baisser les salaires, mais le patronat et son appétit féroce pour les bénéfices.