Balade posthume avec le peintre Daniel Redard

Personnage hantant les bistrots de La Chaux-de-Fonds, maître Redard fut instituteur puis s’est consacré à son art. Hommage en toiles à la Grange Delux du 20 au 22 septembre.

Il a passé l’arme à gauche comme il a vécu, un peu en catimini, tombant en pamoison chez lui dans son salon sans jamais s’en remettre. Humble, Daniel Redard n’aimait pas se mettre en avant, parler de lui, se vanter de ses accomplissements. Curieux, appréciant les contacts, le partage, il écoutait les gens qu’il croisait sur son chemin avec une attention sincère.

Peu enclin à se livrer

Quant à ses tableaux, il en allait autrement: dès qu’il s’agissait de les montrer, il était intransigeant. Pas un galeriste n’a pu choisir les toiles exposées, seule une petite poignée d’amis proches peuvent s’enorgueillir d’avoir visité son atelier, une chasse gardée.

Détail affiche Expo Grange Delux

À son domicile, aucune peinture de sa main aux murs, il s’entourait des œuvres d’autres artistes. Il se laissait désirer, «il fallait le supplier pour qu’il daigne exposer, il ne donnait pas ses toiles à choix, ne prenait aucune commande», souligne son épouse Françoise Boulianne qui organise une exposition-hommage à la Grande Delux les 20, 21 et 22 septembre 2024.

Haut Valais

Rembobinons. Il passe ses années d’enfance à Brig, où son père, mécanicien de locomotive, avait choisi de vivre. Fervent popiste, papa Redard éduquait son fils à l’ancienne: on obéissait à ses parents! Papa l’emmenait parfois dans la cabine de loco, des escapades dont Daniel se souvenait avec délice.

Après ce passage en Haut-Valais, déménagement l’âge de 11 ans à Neuchâtel. Cela ne s’est pas passé sans heurts, les copains de classe se moquaient car il «tranchait le suisse-allemand».

École «normale» des instituteurs

Militant ordré, son père lui a par exemple interdit de s’inscrire à l’école d’art, il fallait «apprendre un métier d’abord» avant de songer à peindre. C’est ainsi qu’ayant décroché un bac dit pédagogique à l’époque, le jeune Redard s’est retrouvé à l’École normale à Neuchâtel. Son destin était tracé: il serait instituteur.

La Montagne de l’Âme, huile sur toile, 2003

Un petit royaume sur les Monts

Diplôme en poche, il souhaita aller enseigner dans un petit collège de campagne. Il fut ainsi assigné au cercle scolaire du Locle, en charge de la classe regroupant les élèves de quatrième et cinquième primaires au collège des Monts.

Grand marcheur, Redard habitait à l’époque dans le Val-de-Ruz, aux Vieux Prés. Ayant renoncé au permis de conduire, il se rendait à pied des Vieux Prés au collège des Monts en passant par la Montagne de Cernier, La Sagne, Le Crêt du Locle, une longue trotte! En semaine, s’il pleuvait, il logeait au troisième étage de l’école. Reste qu’il rentrait régulièrement au bercail, toujours à pied. «C’est ainsi qu’il ordonnait ses idées, en marchant», indique sa femme.

Instit proche et chaleureux

Yannick Zürcher, de la librairie Impressions a été un de ses élèves; il a gardé de forts bons souvenirs de l’enseignant Redard: «Son caractère m’a marqué. Il a d’ailleurs fasciné pas mal d’entre nous. Je me rappelle que la classe était située au deuxième étage du petit bâtiment. Il essayait de nous intéresser à toutes sortes de choses. J’ai gardé des liens avec lui bien au-delà de l’école».

L’été, si la météo s’y prêtait, l’enseignant qui jouissait d’une paix royale dans son collège, allongeait la récréation pour les enfants puissent jouer plus longtemps.

«Une fois pour un anniversaire, il nous a tous invités chez lui au Val-de-Ruz. Il y avait un gigantesque gâteau avec un élève caché à l’intérieur, comme dans les BD!»

Fin d’année créative

Un épisode est resté ancré dans la mémoire du jeune écolier: «À 2-3 mois de Noël, il allégeait le programme pour monter une véritable pièce de théâtre». La pièce était présentée à la salle de l’Institut des Billodes (orphelinat devenu EMS). «Redard écrivait le texte, nous faisions les décors, les costumes et les accessoires. Le spectacle était joué à plusieurs reprises; rien à voir avec Jésus, Marie, l’âne et le bœuf, ni le père Noël. C’était un gros investissement en temps».

Rénovation de la campane

Une anecdote encore: l’instituteur Redard se met un beau jour en tête de réparer la vieille cloche du collège. «Il y avait chaque semaine un élève assigné à sonner la cloche, il ou elle devait arriver avant les autres», raconte Yannick Zürcher.
Maître Redard passera ainsi treize ans aux Monts, entre 1974 et 1987.

Nombreuses amitiés

Toutes et celles et ceux ayant côtoyé l’artiste savent ses difficultés, ses moments d’errements, sa propension à biberonner exagérément par moments. Loin d’en garder rancœur, la plupart des proches interrogés soulignent son ouverture d’esprit, sa curiosité surtout, passant rapidement sur ses côtés sombres.

Simone Jikō Wolf, abbesse zen, l’a rencontré il y a belle lurette. Elle témoigne de «sa fidélité en amitié», en soulignant qu’il était très discret sur sa vie privée et son état de santé. «S’il avait l’impression ou le souvenir d’avoir choqué ou blessé quiconque, Daniel s’excusait à la première occasion auprès de l’intéressé·e», se rappelle cette amie de longue date.

Large cercle de connaissances

Dresser une liste exhaustive des gens qu’il appréciait allongerait inutilement ce texte. Citons, en étant conscient d’en omettre beaucoup, feu Boillat X, sculpteur, saxophoniste et grand enquiquineur-provocateur devant l’éternel.
À son propos, Jean Bernard Vuillème écrivait en préface dans Réflexions … interrogations? signé dudit X qu’il «y a des années et même des décennies que Boillat nous emmerde (…) avec son X qui ne veut rien dire». Un soir, fâché avec son ami le sculpteur, Daniel Redard a jeté une statue de Boillat X à la poubelle. Pris de remords le lendemain matin, il courut dès qu’il entendit passer le camion-poubelle. Las, l’œuvre était déjà compressée!
Ajoutons Beat Grossenbacher, Claude Frank, Francis Stähli, Hélène Leuba et le photographe Alain Germond.

Une constante dans ses contacts: il écoutait avec patience et intérêt ses interlocuteurs et interlocutrices. «Il possédait une faculté d’écoute exceptionnelle», rapporte Françoise Boulianne. «Et il ne s’est jamais pris au sérieux».

Apprécié des esthètes

Malgré son aversion des galeristes sélectionneurs, Daniel Redard, vendait ses œuvres avec succès. Il n’est ainsi resté aucune toile invendue après le vernissage d’une exposition à la galerie Serena.

Ne cherchant guère à se mettre en valeur, cet artiste hors cadre savait conter et captivait son audience par son savoir encyclopédique. «Surtout, il ne répétait jamais», souligne sa compagne.

Visionnaire, il voyageait dans l’imaginaire, s’inspirant tous azimuts, assurant qu’il vivait sous diverses influences, paroles, teintes, sons d’autres artistes qu’il appréciait. Admirer la peinture de Redard, c’est saisir son amour de la poésie et de l’art sous ses diverses expressions.

Bernadette Richard écrivait en 2006: «Entrer dans sa peinture c’est (…) découvrir que les codes et les innombrables carcans dans lesquels on veut enfermer la création n’ont aucune emprise sur l’imagination quand celle-ci se laisse bercer par le message hermétique des muses …».

Expo du 20 au 22 septembre au Locle

Vendredi              18h00 – 21h00

Samedi                 11h00 – 15.00

Dimanche            16h00 – 19h00

Grange Delux Café-Théâtre
Rue de France 24
2400 Le Locle

Renseignements: 032 931 56 73

Invitation à l’expo 2002, galerie Nelly l’Eplattenier, Lausanne