Écho des fresques du peintre Dessouslavy au LABO B

En gare, les adeptes du train voient des ouvriers horlogers au travail. Ils surplombent les guichets CFF. Courez Promenade 11 découvrir les esquisses et dessins du maître. Plongée.
Si on lève les yeux en pénétrant dans le hall de la gare à La Chaux-de-Fonds, on découvre trois immenses fresques, signées Georges Dessouslavy. Ces fresques ont leur pendant à la gare de Neuchâtel.
Dessoulavy, un artiste moderne
Le Dictionnaire Historique Suisse en brosse un portrait succinct: Fils de Frédéric-Louis, commerçant en gypserie. Marié à Lina Kehrer. École d’art de La Chaux-de-Fonds (1914-1916), beaux-arts de Genève (1916-1920). Peintre de figures et de natures mortes, paysagiste, auteur de décors monumentaux et lithographe, D. enseigne à l’École d’art de La Chaux-de-Fonds. Ses œuvres, influencées par la peinture postimpressionniste dans les années 1930, sont ensuite marquées par une conversion soudaine au postcubisme.

Presque oublié
Effectuant un périple par étapes pour présenter les créations nichées dans les gare, Laurent Wolf a justement relevé dans Le Temps (29.12.2014), qu’après une période faste où il a été reconnu à sa juste valeur, Georges Dessouslavy avait pour ainsi dire, passé à l’as:
«Le 21 août 1952, dans la matinée, un homme de 54 ans s’effondre sur la place de l’Hôtel-de-Ville d’Yverdon. Il succombe à une crise cardiaque. Il vient de visiter l’exposition consacrée à Antoine Bourdelle (1861-1929), l’un des artistes les plus influents du début du XXe siècle, auteur de nombreuses sculptures destinées à l’espace public.
L’homme qui vient de mourir est peintre. Il s’appelle Georges Dessoulavy (1898-1952). Il fait partie d’une génération d’excellents artistes suisses romands aujourd’hui presque oubliée. Pourtant, des milliers de voyageurs passent tous les jours devant ses grandes fresques dans le hall des gares de Neuchâtel et de La Chaux-de-Fonds.
Couleur douce et harmonie séduisante à Neuchâtel; rigueur et construction à La Chaux-de-Fonds. Des œuvres si différentes, séparées par moins de vingt ans, qu’il est difficile de se persuader qu’elles ont été réalisées par le même homme.»

Rappel: entre 1950 et 1951, il réalise ses deux projets à fresque dans la métropole horlogère. Un troisième panneau central, trait d’union entre les deux murs sera exécuté en 1952, sur le thème des forces cosmiques et des énergies vitales.
Retour au XXe siècle, interview
Pour se faire une meilleure idée du bonhomme, voici de larges extraits d’une interview réalisée par Jean-Marie Nussbaum, chroniqueur chauxois bien connu à l’époque. Pour célébrer l’inauguration des fresques, Nussbaum a rédigé une pleine page; l’entretien est titré Le peintre Georges Dessouslavy nous dit, il occupe la moitié de la page 3.
Notez que Dessouslavy avait déménagé à Coppet, sa maladie du cœur l’ayant contraint à quitter l’altitude.
Attaché viscéralement au pays
— Resterez-vous lié au Jura et à La Chaux-de-Fonds, malgré que vous ayez terminé votre grande œuvre? lui demandons-nous.

— Oh ! c’est bien simple: je suis attaché à ce pays par toutes les fibres de mon être, par ma sensibilité, ma vision, toute ma gamme et mes pensées enfin. Je sais que c’est ce pays qui est le mien, qui m’attire et que je peux et veux exprimer en peinture. Cette terre qui est d’une telle et secrète beauté, et qui a été si peu dite.
— L’exécution de ces fresques de la gare a été pour vous un énorme travail …
— …mais aussi une joie immense, car j’ai fait là des expériences nombreuses et exaltantes, qui vont forcément influencer même ma peinture de chevalet. Certes, j’ai accordé à ces fresques plusieurs années de ma vie, mais j’ai aimé ce travail, et c’est là l’essentiel pour un peintre…

Mais la gloire, s’inquiète le journaliste?
«Il faut faire ce que l’on sait que l’on doit faire, peindre ce que l’on sent, et ne pas s’occuper d’autre chose : advienne que pourra!»
Importance du bon enduit
«C’est dans la vieille chaux que l’on fait les bonnes fresques», affirme Dessouslavy. Plus loin, il précise toujours dans L’Impartial du 10 juillet 1952:
«L’élément principal de la fresque est la chaux, soit du calcaire passé au four, qui devient chaux vive, puis chaux grasse quand elle est mélangée avec de l’eau. Elle est conservée en cuves ou en terre durant des années, car plus elle est vieille, meilleure elle est. Les produits que j’ai utilisés avaient dix ans d’âge. Après quoi on prend des sables siliceux de rivière qui, entrant en contact avec la chaux, se lient à elle et fixent en même temps les couleurs posées sur l’enduit à peindre, cela pendant le temps de durcissement de la matière. Après qu’il se sera durci, fini: on n’y pourra plus toucher!»
Attention à la température!
«Les matières ne sont utilisables que quatre à cinq semaines après avoir été traitées en hiver, et deux à trois semaines en été.
Voici comment nous avons procédé: Il a fallu enlever toute trace de plâtre aux murs, car le plâtre est l’ennemi héréditaire de la chaux. On a enduit ensuite toute la surface d’un lait de ciment et de chaux hydraulique, tendu un treillis galvanisé, de nouveau un enduit chaux-ciment-sable.
Puis nous avons passé au tamis, après les avoir consciencieusement lavés, la chaux et les sables siliceux: tout dépend du granulé de l’enduit à fresque, qui doit être absolument lisse.
C’est là que le travail du maçon revêt une extrême importance: je dois à M. Giuseppe Regginato une reconnaissance immense pour la compétence et l’admirable conscience professionnelle qu’il a mises au service des fresques de la gare.»

Revenons au siècle présent.
Les prémices comme à l’atelier
Aujourd’hui, Labo B présente l’arrière-plan, la phase créative et préparatoire de cette œuvre remarquable.
L’expo présente ces dessins inédits soit 201 croquis, ébauches et études à la mine de plomb, encre de Chine et gouache accompagnés de 3 grandes esquisses des fresques de la gare de La Chaux-de-Fonds.

Jerôme Baratelli, petit-neveu du peintre, a réuni tout ce dont il a hérité de son père Carlo Baratelli. Celui-ci fut élève de Dessoulavy et contribua à la réalisation des fresque de la gare chauxoises. On murmure même qu’il aurait servi de modèle pour un des personnages.
Laissons-le introduire sa démarche:
«C’était mon grand-oncle, et je suis devenu le dépositaire de son travail artistique.
Dons aux Musées neuchâtelois

Après avoir fait don de plus d’une centaine de pièces aux musées de La Chaux-de-Fonds, du Locle et de Neuchâtel — et, prochainement, de dessins et d’archives à la bibliothèque de notre ville — j’ai souhaité présenter le fonds de l’atelier de G. Dessouslavy pour offrir une plongée dans son univers de recherches et accéder au cœur de sa création: tous ses travaux préparatoires, l’élaboration des pistes, les doutes, les repentirs, les multiples répétitions.
«Tout essayer pour enfin choisir», aimait-il dire.
Beaucoup des dessins présentés étaient en dépôt dans des galeries d’art à Zurich, Berne et Bâle; ils n’avaient plus été visibles depuis 1960. Je les ai associés à des ébauches et essais retrouvés dans ses cartables, qu’il avait conservés par réel intérêt. J’ai retiré les cadres et passe-partout afin de donner le même statut à chaque travail, et je les ai accrochés par petites séries thématiques, comme il le faisait sur les murs de son atelier.

On est alors immergé dans des ensembles tels que les paysages, les loisirs, l’horlogerie, les nus… D’où émerge une force brute de l’acte créatif, dans la rapidité d’exécution, accentuée par le contraste du noir et blanc.
On y trouve parfois des notations de couleurs ou des textes traduisant l’atmosphère à retranscrire dans les futures toiles: nous sommes donc dans le laboratoire de ce peintre, avec une approche de la création très actuelle, qui n’a pas pris une ride.»
Rien à rajouter si ce n’est: prenez rdv et montez visiter au troisième étage.
Vernissage
Samedi 5 juillet 2025
17h00 – 19h00

Exposition
Labo B
Promenade 11
Du dimanche 6 juillet au dimanche 3 août 2025
Sur rendez-vous. Tél: 079 915 83 66