Ô Saisons: Unis soient les Robert
Le Musée des Beaux-Arts de La Chaux-de-Fonds et le Musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel font honneur à Léopold et Aurèle Robert dans une magistrale rétrospective.
Il faut parfois attendre des décennies après son trépas pour être enfin prophète en son pays. Nés aux Éplatures respectivement en 1794 et en 1805, Louis Léopold Robert et son jeune frère Aurèle en savent quelque chose. Célébré de son temps pour ses scènes de genre, Léopold Robert s’était construit une clientèle aisée et friande de ces motifs exotiques, l’Italie semblant à l’époque résister aux assauts de la modernité industrielle. Léopold opère la transition entre le néo-classicisme de sa formation et le Romantisme à venir, en donnant aux témoins du peuple, pêcheuses, paysans et brigands, la noblesse et la dignité habituellement réservées aux classes supérieures.
Admiré de Dumas, Musset et Lamartine, Léopold n’en nourrit pas moins une profonde mélancolie, peut-être héréditaire. Cette affliction le poussera à mettre fin à ses jours en 1835, dans sa demeure vénitienne. On attribue en partie son geste à ses amours contrariées avec Charlotte Bonaparte dont l’expression mutine semble hanter plusieurs de ses toiles. Une fin tragique qui nimbera la réception critique et sensible des tableaux du peintre. Aurèle Robert se chargera de la préservation du patrimoine de son frère.
Unité et Distinction
Malgré un regain d’intérêt pour leurs œuvres, surtout celles de Léopold, dans les années 1980, il aura fallu attendre 2023 et les efforts conjoints des deux principaux musées du canton pour redonner à l’œuvre des deux Robert la distinction qu’elle mérite. Fruit d’un travail étalé sur près de quatre ans, l’exposition inaugurée samedi 13 mai 2023 s’étend sur les deux sites.
Les courageux conservateurs, David Lemaire à la Chaux-de-Fonds et Antonia Nessi à Neuchâtel ont dû négocier avec près d’une dizaine d’institutions, romandes, alémaniques, italiennes et françaises, y compris le Louvre qui prête deux des principales compositions de Léopold Robert pour son cycle des saisons.
La logistique du transport de ces pièces maîtresses a de quoi faire pâlir plus d’un assureur. C’est sur cette série inachevée – l’automne restera à jamais absent – que s’articule la scénographie des deux musées et qui fournit le titre de l’exposition (Léopold et Aurèle Ô Saisons).
Partant de cette origine commune, Haut et Bas se distinguent par l’approche sensible du premier et plus didactique du second, dans une volonté admirable de complémentarité sans toutefois éviter la répétition, cette dernière étant au cœur de l’œuvre des artistes frères.
Un Robert peut en cacher un autre
Dès leur formation à Paris sous la direction de Jacques-Louis David, les Robert font la paire et travailleront de concert sur des compositions communes. Léopold prend soin de promouvoir son œuvre. Aurèle deviendra son principal copiste, diffusant les compositions de son aîné grâce à la gravure dont il devient un virtuose.
Mais Aurèle n’est-il que l’ombre de son tragique parent? L’exposition ne répond pas formellement à la question mais ses vues intérieures d’églises, jouant avec brio du clair-obscur, donnent un aperçu de l’originalité du cadet. Les toiles des frères, presque toutes cadrées d’or, dialoguent avec les collections, et le visiteur sera peut-être surpris de reconnaître un Calame ou un Barraud, quand ce ne sont pas d’autres Robert, Paul-Théophile et Léo-Paul, amusant homophone, qui répondent à un lascif Vallotton.
Le contemporain n’est pas en reste et les conservateurs ont invité Sandrine Pelletier et Gina Proenza à intégrer leurs installations à l’exposition principale, preuve en est que le Romantisme n’est pas mort et qu’à défaut de respirer, Robert inspire encore.
L’agenda culturel comprend entre autres des visites commentées, des journées destinées à la jeunesses et l’Afterwork des Musées le 25 mai. Un colloque se tiendra les 9 et 10 novembre. Les amateurs de publications pourront se procurer le catalogue de l’exposition, l’un des ouvrages les plus importants consacrés au duo Robert.
En ces temps où il est aisé de prêcher le divisionnisme jusque dans l’art, saluons la ténacité et la coordination des institutions neuchâteloises dans cette entreprise de redécouverte de ces deux artistes frères, unissant ces deux villes sœurs du Haut et du Bas, ou plutôt pour reprendre une formule de Maurice Favre, de l’Envers et de l’Endroit.
Musée des Beaux-Arts de La Chaux-de-Fonds£
Rue des Musées 33
032 967 60 77
Musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel
Esplanade Léopold-Robert 1
032 717 79 20
Entrée valable dans les 2 musées:
Plein tarif 15.- CHF, réduit 8.- CHF
Du 14.05.23 au 12.11.23
Soixante événements, visites commentées et ateliers, destinés au public, sont agendés entre mai et novembre.
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Le riche catalogue, avec plusieurs index, bibliographie et biographies complètes des deux frères. Agrémenté de nombreux textes très fouillés sur les principales œuvres exposée, voilà un must pour les admirateurs des deux peintres nés aux Éplatures.
Relié, 264 pages, 171 illustrations couleur
23.5 x 32 cm, 2023, 50.- CHF
ISBN 978-3-85881-887-4
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Signalons pour rester dans le sujet, l’ouvrage La Mort en gondole que Jean-Bernard Vuillème a concocté sur l’époque vénitienne des deux frères, avant le suicide de l’aîné.
L’enquête prend place au XXIe siècle, mais les éléments des années 1830 affleurent sans cesse. Fourmillant de détails sur la famille, les origines de la passion de Léopold pour le dessin et Venise, c’est fort agréable à lire et émaillé de ces remarques aigres-douces sur la morale protestante dont l’écrivain a le secret.
«Champion de l’autobouchoyade», Léopold Robert attire le protagoniste âgé qui dit «jouer hors-jeu», et cherche à se situer «en dehors des sentiers battus». Obnubilé par l’enquête d’une jeune étudiante sur les derniers années de la vie du grand peintre, il prétend la seconder et part en vaporetto chercher la tombe du prodige sur l’île-cimetière de San Michele. Étrange quête où l’on apprend que le peintre louait un étage entier de l’énorme palazzo Pisani et qu’il souffrait de malaria.
Dans la troisième partie, Vuillème pose un diagnostic psychologique: Léopold est mort d’un chagrin d’amour et d’une inquiétude dévorante.
Amoureux de Venise et de la peinture, n’hésitez pas: ce roman écrit serré se lit d’une traite. (ld)