Portraits à l’huile d’un imprimeur typo
Peintre autodidacte, Jean-Luc Sahli présente à la Galerie du Rocher sa première exposition. Rencontre avec un personnage haut en couleurs dans tous les sens du terme.
Sous son chapeau, l’artiste gamberge, imagine, se souvient. Parti du Locle pour aller à Neuchâtel suivre un apprentissage d’imprimeur chez Attinger, il bourlingue à la manière de Blaise Cendrars qu’il cite volontiers, passe huit mois en Toscane, revient, s’établit à Winterthour tout en gardant un pied à terre à La Chaux-de-Fonds.
Cadeau de sa mère
Son métier d’imprimeur typographe évincé par l’offset, passage à vide. Il rêvait d’être photographe, vétérinaire ou graveur, mais il n’a pas réussi à passer l’examen d’entrée ni à l’école de photo de Vevey, ni à l’École d’Art de La Tchaux.
En guise de consolation sa mère a eu la riche idée de lui offrir des pinceaux, un canevas, des tubes de couleurs et de la térébenthine. Ni une, ni deux, il se met à peindre. Il n’arrêtera jamais. On peut admirer sa première création à l’expo.
Regards lumineux, mèches folles
Ainsi depuis 1977, Jean-Luc Sahli cherche à saisir sur toile l’esprit des gens qu’il portraiture. Trop modeste, il prétend ne rien connaître à la perspective.
Sa passion en peinture? Les couleurs. Ne le lancez pas sur le sujet, à moins d’être disposé à écouter un cours exprès sur le cyan, le magenta et le jaune et la colorimétrie. Car Sahli a une mémoire encyclopédique et aime à partager ses savoirs. Comme il aime aller aux champignons et se retrouver dans la nature.
Armée de sa palette de coloris qu’il maîtrise magistralement, Jean-Luc Sahli peint des portraits et que des portraits; quoique non, il y a de temps à autre un animal ou quelques objets décoratifs en arrière-fond.
Perfectionniste
Restent en mémoire surtout les yeux et les chevelures des 61 portraits présentés. À y bien regarder peut-être pas tous les regards, car certains sont curieusement vides. «Ah, mais celui-là n’est pas vraiment fini, je vais rajouter un peu de blanc», s’exclame Sahli lorsqu’on lui fait remarquer que le regard du gars manque étonnamment de luminosité niveau pupille.
Pour appréhender le perfectionnisme de Sahli, il faut l’écouter raconter comment Leonardo Da Vinci a bichonné sa Joconde pendant plus de 25 ans. «Moi, si je ne suis pas content, je rajoute, je retranche, je retouche». Et de monter un détail sur une lèvre, modifié car la modèle trouvait ça moche.
Vous l’aurez compris, Jean-Luc Sahli, un brin torturé, malmené par la vie (les changements de métiers l’ont usé, le crabe aussi) est en quête d’absolu.
Et de plaisir: il choisit ses modèles en sélectionnant des clichés noir-blanc dans les journaux, ou une couverture de disque, pour un clin d’œil à Jacques Brel par exemple.
«On aime ou on n’aime pas»
Si vous peignez des portraits, attendez-vous à perdre des amis ; l’origine de cette sentence n’est pas retraçable, mais elle a frappé Le peintre. «Certain de mes sujets sont emballés, d’autres refusent de l’exposer chez eux. Plus surprenant, une dame trouvait mon tableau excellent, mais au fil du temps, elle a changé d’avis».
Genèse d’un visage
Comment réussir un visage fidèle au modèle?«Pas de soucis, je peux toujours vous tripoter le portrait, pour arriver à un résultat satisfaisant».
On imagine sans problème Sahli sorti ses pinceaux pour un p’tit coup de finish. Ou remballer la toile et revenir dix ans plus tard l’ayant agrémentée d’un autre éclat, d’une couleur plus soignée. «Je peux passer des mois sur une teinte de cravate, un motif de blouse ou un détail de chevelure».
Le cordonnier Jacky, dont la boutique place de l’Hôtel-de-Ville est bien connue, a mis son effigie signée Jean-Luc dans son magasin. Présente parmi les œuvres exposées, cette toile exprime joliment la sympathie de l’artiste pour l’artisan. Lequel répare les godasses de l’artiste gratis depuis qu’il a été portraituré.
Copains, copines et proches
On reconnaît sans doute certain·es habitant·es des montagnes neuchâteloises. L’essentiel des portraits présentés sont pourtant des inconnus du public, ou font partie de la famille: l’oncle Biche des Brenets, des cousins, sa mère, son père, sa compagne, ses filles, sa belle-mère (et j’en oublie) ou des connaissances du peintre. Un dada particulier: ses anciennes muses, Monique et Monica.
Des photos et une surprise
La plupart des portraits ont été réalisés d’après photos, des clichés de son ami Bruno Jehle.
Au milieu de ces regards mis en lumière, une mise en abîme pas triste: un portrait de l’artiste jeune par un ami qui l’a imaginé façon Magritte, à côté d’un autoportrait accolant Sahli jeune et Sahli avec quelques heures de vol de mieux.
L’autre côté de l’objectif
Giovanni Sammali, un des animateurs des Amis de la Cave – Galerie du Rocher, souligne que cette expo présente une curieuse expérience artistique à l’envers où spectateurs et spectatrices sont regardés par les portraits: installé·es sur les deux canapés blancs trônant au milieu de la Cave du Rocher, les portraits vous dévisagent, on est scruté!
Signalons que l’exposition est soutenue par la Fondation Winterthour – La Chaux-de-Fonds et la Ville.
Cave grandiose
Situé dans une venelle pavée parallèle à la rue de la Promenade, la cave de la rue du Rocher 12 existe depuis fort longtemps. Autrefois, elle a abrité une fabrique de vermouth, tenue par un dénommé Stauffer.
Elle a été successivement atelier de mécanique, local de dégustations vineuses ou de répétition. Elle a ainsi résonné aux vibrations du duo Anklung animé par le comédien-musicien-vidéaste Thomas Steiger et son complice Georg Wiesmann.
Vestiges de folles soirées de dégustation, quelques tonneaux vides accueillent les visiteurs. Mais plus traces olfactives du vermouth d’antan.
Cave – Galerie du Rocher
Rue du Rocher 12
jusqu’au 26 mai
Mercredi-vendredi 17h-19h
Samedi-dimanche 16h-19h