Un (f)estival littéraire bienvenu
Jamais en mal d’idées, Daniel Musy lance du 19 au 21 août une formule inédite: un mini-salon du livre à usage chauxois, 8 auteurs, une dizaine d’ouvrages des éditions SUR LE HAUT.
Depuis la Plage des Six Pompes, tous les habitant·es de La Chaux-de-Fonds savent que la cour de la bibliothèque de la Ville est un lieu culturel. Sur cette lancée, Daniel Musy, éditeur-auteur, invite là les férus de lecture à découvrir les dernières parutions «locales» dans tous les sens du terme: les auteurs sont d’ici, l’imprimeur aussi et l’éditeur itou.
Un riche programme s’étale du vendredi 19 au dimanche 21. Un petit apéro accompagne les présentations; le vin est offert par les auteurs (la Ville pour le premier vernissage). Clin d’œil: le sirop de sureau par les éditions Sur le Haut.
Vendredi 19 août:
- 17.OO Le Style sapin à couteaux tirés, Jean-Bernard Vuillème
- 19.00 Souvenirs de deux frères défenseurs du patrimoine, Robert Nussbaum.
Samedi 20 août:
- 11.00 L’enfant du serpent, Sylvie Barbalat
- 13.30 Recueil des folies de l’être, Noémie Chaboudez
- 16.00 Identité et culture, Polyptique et Exils, † Edgar Tripet, présentés par Claude-Eric Hippenmeyer et Pier-Angelo Vay
- 18.30 La question de Dieu ou Dieux en question, Pierre-Yves Theurillat.
Dimanche 21 août:
- 11.00 L’illusion d’exister, Claude Alain Augsburger, présenté par Jean-Marc Leresche
- 12.00 Les cinq saisons, PascalF Kaufmann.
Sortir autant d’ouvrages en parallèle procède d’une volonté: sortir avant la «rentrée» littéraire et culturelle au sens large, précise Daniel Musy.
Parmi les ouvrages proposés ce weekend, trois ressortent du lot.
Histoire vivante du style Sapin
Pour marquer l’Année de l’Art Nouveau de 2006, la Ville avait commandé une série d’articles à Jean-Bernard Vuillème, éminent connaisseur du patrimoine régional. Ces articles ont paru à l’époque dans l’Impartial. L’auteur a entrepris moultes recherches à la Bibliothèque et lu de nombreux procès-verbaux de séances réunissant des professeurs de l’École des Beaux-Arts, P.-V. où dormaient des détails essentiels.
Puis Vuillème s’est attelé avec brio à la description de l’ambiance survoltée qui régnait au début du siècle passé entre Charles L’Eplattenier et ses détracteurs. 17 textes au total ont alors sensibilisé le public à cette période charnière et au procès fictif mis en scène pour l’occasion avec une brochette de personnalités locales.
Le style Sapin à couteaux tirés est une réédition d’un «livre particulier» souligne Vuillème. Il a fallu longuement batailler pour qu’elle paraisse, la Ville n’était guère pressée de se prononcer. Tout finit par arriver si on insiste: l’ouvrage est sorti sous forme d’une coédition avec Sur le Haut.
Il vaut la peine de s’y arrêter. Deux articles ont été refondus et l’état des lieux a été complété de nouvelles découvertes. Voilà le complément idéal à la visite guidée d’été proposée par Tourisme neuchâtelois dans les cages d’escalier, vitraux et balcons Art Nouveau.
Le prix modique de ce petit bijou (15.- CHF) reflète la politique tarifaire abordable des éditions: la somme à débourser dépend du nombre de pages de l’ouvrage (en vente en librairie, au Musée des beaux-arts et l’Office du tourisme). Si vous n’avez pas le sou, ces livres sont aussi disponibles à la Bibliothèque de la Ville.
Attester d’un scandale
Opus important L’illusions d’exister est dédié à la mémoire d’un interné contre son gré, Claude Alain Augsburger. Il a passé 28 ans d’un asile psychiatrique à l’autre, traité comme un bestiau par certains soignants dépourvus d’empathie. Récit haché d’un parcours de vie chaotique, c’est un témoignage d’un scandale qui a touché la Suisse entre 1930 et 1981, lorsqu’enfin la loi l’internement sans consentement a été modifiée.
Sans ce livre, rien ne subsisterait de Claude Alain Augsburger. Plus aucune trace, ni photos, objets ou tombe. C’est le cas de la plupart des personnes ayant subi un enfermement administratif contre leur gré. Sans les efforts de Jean-Marc Lesreche qui l’a encouragé à coucher sur le papier ses souvenirs, Augsburger serait oublié. Par chance, l’homme avait «une excellente mémoire», souligne celui qui l’a accompagné au plan spirituel.
Peu avant son décès, Ausgburger a effectué les pénibles démarches pour obtenir une indemnisation (25’000.- CHF) de la Confédération. Plus que la somme reçue,, avoir enfin été reconnu comme victime l’a rasséréné. Décédé en 2021 à l’âge de 73 ans, l’homme, docteur en économie, a été la proie de l’acharnement des bien-pensants prétendant le sauver de quelques pulsions suicidaires après un burnout.
Exils amers
Des trois livres de feu Edgar Tripet, ancien directeur du gymnase, retenons Exils, fable lucide partant des espoirs de ceux qui eurent vingt ans entre 1945 et 1955. Le progrès allait améliorer la condition humaine, d’aucuns croyant que le communisme triompherait pour le bien de toutes et tous. Las, on perçoit une lente désillusion dans ce dialogue entre un homme âgé et un journaliste indéfini.
Rapportée par un énigmatique Scribe, cette discussion de bistrot ponctuée de force bouteilles finit mal: la civilisation engloutit sous le béton les chemins bucoliques, la démocratie perd ses repères et sa fonction. Et les êtres leurs espoirs.
Amer, Tripet a livré là un constat sans appel sur les dérives du mitage paysager et de la financiarisation mondiale.
En fin d’ouvrage, on retrouve sous la plume de cet érudit des fulgurances inattendues, telle cette description au scalpel d’un évènement que le monde entier a suivi sur écran: «Les démocraties libérales ont appris la tolérance d’un Ponce Pilate se lavant les mains devant un marché à qui elles laissent décider du moment où la parole ne serait plus récupérable par lui! Mais quel est ce moment, quand les films catastrophe ont préfiguré à l’intention des Erostrate d’occasion le passage à l’acte, et que la pénétration d’un couple de gratte-ciel par une paire de Boeing offre en boucle une jouissance esthétique qui, d’être ultime, ne s’épuiserait pas dans sa représentation?».
Merci à ses deux petites filles qui ont su préserver ses écrits en retapant ses manuscrits sur ordinateur.
Un éditeur atypique
Né à La Chaux-de-Fonds «un jour glacial de février 1956», selon sa biographie , Daniel Musy a enseigné durant de longues années français, philosophie et histoire de l’art au lycée Blaise-Cendrars. Depuis 2007, il tient un blog intitulé «Mille tableaux». Il y distille son avis sur la politique tant locale que cantonale, nationale ou internationale. Il parle de ce qu’il aime: les arts, les paysages et les saveurs d’ici et d’ailleurs, sans oublier le vin.
Daniel Musy a été élu socialiste durant trois législatures au Conseil général qu’il a présidé en 2016. Personnage omniprésent dans la vie associative locale, il a le verbe prompt et la répartie saillante, ce qui ne lui a pas valu que des amis. À noter qu’il a mené sur les fonds baptismaux le chemin des 7 abeilles qui permet de faire le tour de la ville sous les sapins ou presque.
Lecture en ligne gratuite
Au lieu d’envoyer des manuscrits ou des tapuscrits qui ne récoltent en règle générale des réponses négatives ou des propositions mirifiques pour publier chez un éditeur qui ne fait rien à part encaisser des frais, trois compères, Pascal Kaufmann, Jean-Marc Leresche et Daniel Musy ont décidé en 2019 de créer une maison d’édition en ligne et gratuite.
Une fois leur tapuscrit disponible à l’écran, les auteurs ont la possibilité de faire imprimer le livre à des tarifs préférentiels en ville chez IMS sur papier FSC, garanti peu impactant. À ce propos, l’imprimeur Quentin Monney s’exclame: «un arbre coupé, un arbre planté» (vieux principe de durabilité datant de la Loi sur les forêts de 1876).
En parcourant la Charte des Éditions SUR LE HAUT, on saisit l’essence de la démarche de cette modeste maison: «Publier un texte lorsqu’on a pas la prétention d’être reconnu par le monde littéraire, c’est possible», indique le premier dépliant des éditions du Sureau, appellation éphémère du projet, des éditions parisiennes homonymes ayant promptement exigé la cession totale des droits et codes internet sur cette dénomination.
Une fois qu’un livre est imprimé, l’éditeur (Daniel Musy) assure la promotion sur Facebook et son site. Vernissage et diffusion sont affaire des auteurs. Effectuant de nombreux envois pour les éditions La Salamandre, L’ORIF empaquette et facture pour les auteurs SUR LE HAUT, prestation effectuée contre rétribution.
Rappel: 1000METRES.CH a déjà présenté les Souvenirs de deux frères défenseurs du patrimoine de Robert Nussbaum.