Cohabiter avec un galvanoplaste fou
A la place de l’épicerie «Les trois clochers», une tanière farcie de toxiques
Plus de 7 ans de procédure…
et la justice neuchâteloise hésite toujours à trancher dans le procès qui oppose les anciens et les nouveaux propriétaires de l’immeuble hyper-pollué de la rue du Doubs 51 depuis l’évacuation en urgence des locataires de cette maison en 2012.
Revenons aux sources du conflit pour avoir une idée de l’enjeu: la pollution est due à l’aveuglement d’un galvanoplaste fou qui a souillé de ses déchets tous les endroits qu’il a occupés en ville:
Aimé Joseph Schmidlin était un businessman tout terrain. Son flair l’a mené sur la piste de nouvelles technologies durant la Deuxième Guerre mondiale: arrivé en 1942 à La Chaux-de-Fonds à l’âge de 22 ans, il est actif dans les fournitures horlogères, il tâte de la galvanoplastie chez un dénommé Grenacher, rue du Nord 113. Déménagement en 1946, l’entreprise Schmidlin Galvanoplastie s’installe à la rue du Ravin 11.
Le brave homme ne se contentait pas de commercer, il inventait ou copiait des procédés, des modèles, des bracelets, même une pendulette en plexiglas (marque Rawin).
Un nouveau départ
En 1956, Aimé Schmidlin entame la deuxième partie de sa vie professionnelle. L’homme redémarre sa carrière en créant une nouvelle boîte: Gravacier. Les spécialités de cette maison? Gravage et polissage électrolytique, rodage (voir poli noir), fabrication de matériel pour la sérigraphie, sérigraphie et décalque.
Notez les quatre lieux où Schmidlin travaillait et a laissé des traces néfastes: Temple-Allemand 1, Sophie-Mairet 11, Doubs 51 et les six garages attenant à l’immeuble.
Gravacier occupait deux étages à Doubs 51, l’épicerie «Les trois clochers» partageait le sous-sol avec l’entreprise du propriétaire de l’immeuble Charles Rheinbold. Plus pour longtemps: en 1958, l’entreprise de Rheinbold est déplacée à Cornol. Aimé reprend alors les locaux vides. Moins d’un an après, Aimé achètera la maison à Rheinbold.
Enfin, il se lance le 21 août 1959 dans le commerce de produits chimiques pour la galvano, commerce dont l’exploitation cessera officiellement en mars 1999.
La vente de produit toxiques pour la galvanoplastie se déroule parallèlement à son activité d’ouvrier-entrepreneur. La demande est forte, Aimé devient grossiste; rôle payant qu’il jouera dans l’intérêt de l’industrie horlogère régionale qui notamment a besoin de produits cyanurés pour attaquer l’acier des boîtes de montre et autres composants. Pour que l’entreprise demeure au goût du jour, Aimé touchait à tout menant Gravacier sur plusieurs fronts.
Croissance à tout va
Les affaires d’Aimé ne cessent de croître. Décalqueurs, décalqueuses, ouvriers, ouvrières, jeunes manutentionnaires, dessinateurs graphistes, personnel auxiliaire, secrétaires: pendant près de 10 ans, des offres d’emploi de Gravacier sont souvent publiées dans la presse locale. Les enfants d’Aimé commenceront à travailler dans l’entreprise à partir des années 70. En 1974, Schmidlin engagera un couple de locataires de son immeuble.
Son commerce de toxiques fonctionnait de la sorte:
Les livraisons de produits chimiques étaient effectuées par train CFF (comme en atteste les étiquettes sur les bidons). Aimé s’est fournit à La Chaux-de-Fonds chez Prochimie, chez Glasson & Biedermann, à la Droguerie du Versoix , chez Hochreutinner & Robert S.A, à la droguerie Perocco, à la droguerie Walter, à la droguerie Gobat pour ne citer que les fournisseurs locaux.
Il stockait les gros bidons au sous-sol et transvasait les liquides dans des bonbonnes pour les commandes. Nickel, cuivre, chrome, or; dorage et rhodium cyanuré, trichloréthylène, perchloroéthylène ; plaquage, déplaquage, colorants, détersifs… La gamme des bains chimique que vendait Gravacier était large.
Et surtout il récupérait les produits une fois utilisés. Soi-disant pour les mettre en décharge ou les neutraliser. De fait, il les stockait dans son sous-sol dans des conditions non conforme ou les versait aux égouts.
Aimé n’écoute personne et stocke des tonnes de toxiques
Malgré plusieurs mises en demeure du Service cantonal de l’environnement dans les années 90, Aimé ne met jamais sa réserve polluante en conformité. Gravacier ferme, les produits restent et pourrissent dans leurs fûts et autres contenants jusqu’à leur découverte par Serge Grandjean le 14 septembre 2011.
Aimé était mort trois mois plus tôt, le 16 juin. Un double cancer de la gorge et de la peau aura en effet vaincu cet homme d’affaires ayant dédié sa vie à la fourniture de substances dangereuses et cancérigènes.
Vu de l’extérieur, le bonhomme pouvait paraître sympathique. Il offrait par exemple les fruits de son poirier grimpant au voisinage, toutefois il cachait bien ses manigances. Sa folie a empoisonné plusieurs habitants du lieux et condamné une maison. Les frais de remise en état sont estimés à plus de 4 millions de francs. Et personne ne sait qui va payera la décontamination, la commune sans doute. Mais tant que le procès dure, rien ne bouge.
Relevons le positif: La Confédération s’est mise entretemps à dépolluer les petits ateliers où des ouvrières posaient du radium. Encore deux générations et ce sera au tour des sous-produits cyanurés des galvanoplastes.
Des détails: Manifestation d’octobre 2017