Place du Marché: la foire d’empoigne se calme

Slalomant entre étals fixes et stands d’écoliers, les client·es sont perplexes. À l’essai, les emplacements bougent. Coup de sonde chez les commerçants, Viteos et la Ville.

Pendant les travaux de pavage et de réfection complète du sous-sol de la place, le marché avait été déplacé. Avec quelques grincements de dents, c’était provisoire, chacun avait supporté les désagréments.
Le chantier ayant bouclé dans les temps, l’espoir était que cette bonne vielle place allait revivre comme d’hab.

Inauguration sous la pluie © Aurore Sande (ville CdF)

Malgré le revêtement refait, l’usage de l’espace est devenu aléatoire, une perte de repères a suivi. Certes, du point de vue du grand public, il semble souhaitable d’avoir des animations sur cet espace heureusement libéré des quatre roues.
Ce que d’aucuns fervents supporters de la voiture devant les magasins contestent.
Tour d’horizon des avis contrastés. En effet dès décembre 2024, des tensions ont surgi, chacun ayant sa petite idée de la meilleure solution à adopter. La définition de la foire d’empoigne – lieu de luttes, de rivalités où l’on essaie par tous les moyens d’obtenir ce que l’on désire – correspond à ce qui arrive depuis à la Place du Marché.

Rivalités

D’un côté, les forains se demandaient quelle logique présiderait à l’attribution des emplacements, et comment serait gérée la réduction de l’espace à l’est de la place. La séparation opérée durant le Covid entre légumes primeurs sur la place du Marché et produits laitiers et animaux, frais, cuits ou préparés sur celle de la Carmagnole allait-elle perdurer?

Place de la Carmagnole, bientôt refaite aussi © Aurore Sande (ville CdF)

Du fait de travaux à la Carmagnole, dès ce printemps, tous les stands seront réunis sur la place pavée.

Surplus de vendeurs éphémères

La période post-inauguration a été marquée par l’excès de stands pour vente de soutien aux divers camps de ski, voyages d’études et autres aide au lancement d’entreprises gymnasiales.

Lieu pour essais marketing?

Précision: la filière économie veut que les élèves créent une entreprise. Ainsi les chaland·es se retrouvent face à des sirops, une marque de vêtements et autres sticks pour apéritifs: l’imagination entrepreneuriale est au pouvoir dans les murs du lycée. Et un des aspects de l’apprentissage consiste visiblement à tâter de la vente directe.

Chaos programmé

Durant l’Avent, le public a difficilement pigé la logique des déplacements des stands. Les habituées ne goûtent guère les chamboulements dans cette vénérable institution moyenâgeuse qu’est ce marché bihebdomadaire. Animé par des producteurs ou revendeurs, il attire une clientèle fidèle. Le choix est copieux: produits de la terre ou issus des lacs ou des mers, voire des forêts à la saison des champignons.

Usage: un marchand, une place

Un principe guide cette forme commerciale ancestrale: retrouver les stands au même endroit. Cette donnée primordiale semble échapper aux responsables des plans et des schémas d’occupation testés ces derniers mois.

Petite information manuscrite, un jour de rogne …

Bon gré, mal gré, les forains devront continuer à expliquer aux clients où trouver chaque stand au marché suivant en fonction des travaux et déplacements en cas de manifestation ou fêtes.

Un ancien méprisé

Un vénérable paysan, Michel Collomb, 49 ans derrière son stand, a été déplacé d’un bout à l’autre de la place; surprise, une bonne partie de sa clientèle a cru qu’il avait cessé de venir. Perte estimée: «Une moitié de mon chiffre d’affaire». Il songe à arrêter de se lever à 3 heures du matin pour monter de la plaine jusqu’ici.

Michel le boxeur regrette que la ville ne tienne aucun compte de l’ancienneté. Certes, il n’est pas le plus discipliné des forains, il ne lit pas avec assiduité les courriels qu’envoie la commune et décide parfois suivant la météo de ne pas venir occuper sa place. Son comportement ne posait guère problème avant l’avènement de la communication électronique.

Chaque samedi, un message du paysan

Un jour, il fut rabroué par le Service du Domaine public: «Vous n’êtes pas d’ici, obéissez!» pour avoir laissé charger des choux dans une voiture. Il l’a trouvée saumâtre: personne parmi les forains ne vient «d’ici», c’est l’essence même du marché.

La Ville encaisse plus

Outre les récriminations personelles, une constante apparaît dans les commentaires de marchands: la Ville a resserré la vis. Exemple: les taxes ont augmenté de 10 francs à 12 francs l’emplacement de 3, 5 mètres linéaires. L’augmentation est minime, mais cela fait jaser. Même topo pour les bistrots: la moindre dérogation, style présence d’un food truck, est facturée.
C’est né d’une révision partielle d’un règlement de 1992. La Ville entend aspirer dans sa caisse un montant de 250’000 francs. Merci la hausse des taxes et émoluments de janvier 2025.
Pour le marché, le règlement en vigueur date de 2011. Inadaptés à la nouvelle donne, plusieurs arrêtés de l’exécutif seront révisés promet l’administration.

L’électricité vient à manquer

Un samedi début janvier, émoi place de la Carmagnole, les fusibles de la borne électrique sautent à tout bout de champ, coupant le courant aux balances, frigos et autres machines à café, friteuses, etc. employés aux stands. Ce sont les chauffages d’appoint qui «tirent du jus» songent les passants en voyant des marchands excités passant d’un stand à l’autre pour passer la consigne d’éteindre les chaufferettes.

En 2011, vue depuis la grande roue (les forains venaient encore là) © Chris Vuille

Normes à tenir…

Or, l’absence de deux bornes de raccordement étaient à l’origine du souci. Interrogée, la secrétaire générale de Viteos, Mme Claire-Lise Clément, a expliqué à 1000METRES.CH que ces installations électriques liées à des manifestations font l’objet d’un contrôle périodique en général une fois par année, lequel est effectué par un contrôleur indépendant. En l’occurrence, un délai à fin janvier 2025 nous a été imparti pour réaliser des travaux de mise en conformité mineurs.
La modification de l’armoire électrique basse tension «afin de pouvoir reposer les deux bornes électriques dans le respect des normes», a été effectuée la semaine suivante.

… et délai délire

Personne n’a saisi pourquoi le délai a été fixé à fin janvier, en plein frimas. Évidemment, la faute à personne, la longue cascade des responsabilités étouffant de fait les intérêts des usagers finaux. Qui aurait dû songer au froid hivernal? Cela ne figure pas dans la norme en tout cas 😀. Notez que ce ne sont pas les poulets grillés qui avalent l’électricité: ils sont rôtis au gaz!

Vue de la grande roue, un jour de Braderie © Chris Vuille

Qui décide quoi?

Ce problème se retrouve au niveau de la gestion des emplacements. Quelques année en arrière, une seule personne s’occupait à la commune de gérer le marché.
Aujourd’hui, ces responsabilités sont partagées entre deux entités: le SDP (Service du Domaine public) et le SUME (Service de l’Urbanisme, des Mobilités et de l’Environnement). La communication n’est pas facilité pour les marchands représentés par le Groupement du Marché de la Tchaux (GMT).

Nous avons contacté l’homme en charge du Marché au SDP, Monsieur Grégoire Simon-Vermot.
Il a franchement répondu: «La Ville a aussi d’autres besoins que ceux des marchands représenté par le GMT. Il faut également tenir compte des commerçants autour de la Place. Ils ont aussi le droit d’utiliser l’espace public pour livrer ou chercher des marchandises. Par exemple le boucher Christen doit pouvoir accéder en tout temps à ses garages. On ne mettra ainsi pas de stands devant la vitrine du magasin bio Terrame pour laisser un passage libre.»
«C’est une volonté des spécialistes de la circulation, car déboucher sur la rue de la Balance où il y a un arrêt de bus n’est pas admissible».

Il s’agit bien de concilier des intérêts contradictoires; certaines remarques du GMT sont entendues, «mais on ne peut pas réaliser tous les vœux. Le dialogue et l’entente sont une priorité pour nous, nous tentons d’avoir une bonne intelligence avec les exploitants, mais parfois cela dépasse nos compétences».

Tâtonnements côté kiosque/WC

Bref, la place est très sollicitée. Quant au tas de neige encombrant, la démarche communale est claire: la partie est de la place devrait être «moins sollicitée à proximité du kiosque. De fait, nous sommes en phase d’essais avant de prendre la vitesse de croisière. Il faut garder une marge de manœuvre. C’est difficile à expliquer à certains intervenants qui souhaiteraient retrouver exactement la situation d’avant le Covid.»

Prendre le temps d’expérimenter

Grégoire Simon-Vermot cite l’exemple des stands «non-récurrents» des écoliers ou des partis politiques: «Dans un premier temps, nous avions décidé de les placer devant la Vinothèque, mais cela bouchait régulièrement les escaliers du marchand de vin. Sans parle de la surface des terrasses, qui fait aussi débat.»

Les plans ont été largement discuté avec le GMT et les commerçants, relève le responsable au SDP. Restent les inscriptions à long terme: «On a été un petit peu embêté, beaucoup de monde s’annonçait, nous tentons de ne pas antagoniser les uns contre les autres. Nous nous donnons le temps de faire des expériences».
Il s’agit donc de remettre à plat la situation après des années turbulentes. La commune ayant nommé un préposé à poigne pour gérer au jour le jour les question d’emplacements, certaines tensions occasionnelles perdurent néanmoins.

Soucis du parcage de proximité

N’oublions pas les défenseurs de l’accès en voiture, fort actifs en ville. De fait, le parcage à proximité immédiate n’est plus garanti. Le grand parking construit sur la place du Gaz n’a pas réussi à enthousiasmer les Chauxois·es.

Si Le Corbusier savait où il a été placé ... il ferait des bonds
Si Le Corbusier savait où il a fini … il se retournerait dans sa tombe!

L’Association de défense des commerçants chaux-de-fonniers (ADCC) entend faciliter l’accès rapide aux magasin et services, car la vie économique au Centre-ville est «en train de mourir» selon une des participantes aux rencontres de l’ADCC qui se tiennent au Café La Bohème.
Plusieurs séances ont eu lieu cet hiver pour tenter d’animer positivement les commerces locaux. Pour le groupe qui vient de se constituer, il s’agit en collaboration avec les autorités, de remettre des places de place gratuites à disposition.

En face, le CLAAC favorable à la mobilité à douce, veut faire connaître une position contraire.

Moins de gens dans les cafés

Les bistrotiers enfin remarquent une baisse de la fréquentation matinale de celles et ceux qui garaient 10 ou 15 minutes leur voiture devant leur établissement pour aller siffler un petit café en parcourant le journal ou leur portable.
En soirée la semaine, la place est presque déserte. Une majorité de cafés ferment aux alentours de 20h.

La place une fois les stands du marché partis

Dur, dur de satisfaire chacun

Mettre des priorités pour calmer la foire d’empoigne n’est guère simple. 1000METRES.CH a demandé à Nicolas Babey comment il analysait la situation actuelle: «Les tiraillement que vous constatez ne sont pas très étonnants. Les tensions entre pro et anti-voitures se retrouvent partout. L’aménagement final de la Place du Marché respecte à la lettre le processus participatif que j’ai accompagné. Une large consultation en amont de travaux a permis de concilier par exemple les demandes tant de Pro Infirmis, Pro Senectute que de la Plage des Six-Pompes».

Autrement dit «c’est un compromis intelligent» note Nicolas Babey, «on a pris acte des attentes des intervenants. Il est dans l’air du temps d’avoir des zones de circulation apaisées et notre ville a assez de places de parcs par rapport à sa grandeur». Pas de quoi s’étonner ou s’affoler.
Rappelons enfin que la volonté des autorités de la Ville de réduire la circulation routière en ville permet en outre de diminuer l’impact catastrophique de la circulation sur la santé.
Pour conclure, passons aux sons, source de discorde parfois.

Animations diversement appréciées

La musique distillé par des accordéonistes ou des musicien·nes en chair et en os énerve celles et ceux qui les subissent derrière leurs stands les samedi matin, d’autres trouvent ces sons charmants.

Tant mieux, Cœur à cœur a animé

Admettons que les haut-parleurs diffusant des tubes tels Alléluia ou Voici Noël, n’ajoutaient pas grand-chose durant l’épisode de l’Avent. Heureusement, la Radio et sa caravane Cœur à Cœur sont venus égayer un jour l’ambiance.

Finalement, les jeudredis bleus mettent du baume au cœur de fêtard·es. Cette belle initiative estivale est un plus indéniable pour le quartier. N’en déplaisent aux oreille délicates.

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Déclaration d’intérêt: le reporter a récemment installé son bureau au n° 12 de la Place du Marché et observe chaque jour avec intérêt petits et grands évènements. Il est membre solidaires du GMT. Ce qui apporte un petit rabais sur certains stands.