Doubs 51: un expert surgit, précisions
Rebondissement dans l’affaire de la maison «toxique» du galvanoplaste Schmidlin: un ingénieur en dépollution révèle que les décideurs ont été aveuglées par surconfiance.
Suite à la parution du livre de Dudu Le côté sombre du cadran, la rédaction de 1000METRES.CH a reçu le texte ci-dessous qui vient à point nommé compléter l’enquête. Suivons la piste toxique.
Une maison maudite, un empoisonnement collectif, un entrepreneur véreux et des complices parmi les autorités: ces ingrédients de polar sont tous réunis dans «Le côté sombre du cadran». Si cela avait été une fiction, un inspecteur sexy 🕵🏻♀️ venu de La Sagne aurait confondu les personnages malfaisants et permis que justice soit rendue.
Dans la réalité, ce personnage fictif fait cruellement défaut. Comblant ce manque, le travail d’enquête minutieux de Laurent Duvanel décortique 70 ans de l’histoire industrielle de la rue du Doubs 51 pour nous exposer des faits attestés.
Deux professionnels chevronnés
Dans l’histoire que vous êtes en train de lire interviennent deux personnages semblables à des lanceurs d’alerte: un géologue (Serge Grandjean) et un ingénieur environnement (bureau BG). Le premier passionné de spéléologie découvre une cave remplie de produits toxiques et réalise une série de photos quasi surréalistes.
Le second réalise l’autopsie de la maison, son diagnostic comme on dit dans les bureaux spécialisés en environnement.
Il se trouve que c’est dans ces bureaux que moi, auteur de ces lignes, ai passé une grande partie de mon activité professionnelle.
Angoissantes substances
Arsenic, chrome hexavalent, trichloréthylène font partie de la cohorte de substances que l’on croise régulièrement dans les rapports rédigés par les spécialistes en sites pollués. Ces rapports font partie de la documentation nécessaire à l’obtention du permis de construire, sésame permettant de débuter des travaux de rénovation sur une parcelle recensée au cadastre des sites pollués. Ce mécanisme législatif, générant souvent une grande frustration pour les propriétaires concernés, a été mis en place en 1998 pour déterminer la pollution des sols et des nappes phréatiques qui ont été générés par une activité industrielle. Ella vise également à réduire les risques sanitaires les futurs utilisateurs des lieux et leurs voisins.
Contamination préoccupante
Selon le principe de précaution, toutes les parcelles ayant abrité des entreprises au bénéfice d’une autorisation de commercer de «substances dangereuses doivent figurer au cadastre des sites pollués. Le géoportail neuchâtelois (CANEPO, sites pollués) reproduit ci-dessous, montre que le bâtiment du Doubs 51 y figure avec mention «la contamination de la substance bâtie est considérable et reste préoccupante».
Habitants trop exposés
Dans tous les rapports techniques que j’ai pu lire, l’histoire des personnes ayant été mises en contact avec les substances dangereuses est complètement absente du diagnostic. A contrario, le livre de Laurent Duvanel détaille ce point crucial et met en lumière plusieurs points qui ont marqué l’ingénieur que je suis.
Premièrement, les substances dangereuses sont encadrées par une règlementation visant avant tout à protéger les professionnels qui les manipulent. Les privés ne sont pas censés se retrouvés exposés à elles. Lorsqu’ils le sont, suite à une contamination de leur habitation, leur exposition dépasse rapidement celle des employés car ces personnes passent plus de temps que les 8 heures quotidiennes de travail dans le milieu contaminé.
Bébés plus touchés
C’est la dose qui fait le poison disait Paracelse. En toxicologie, une dose s’exprime en mg de poison par kilos d’individu exposé. Pour une même exposition toxique, moins l’individu est lourd, plus la dose est élevée. Cela est tragiquement démontré ici par le fait qu’un bébé à naître, exposé au travers de la respiration de sa mère, a eu plus d’effets délétères sur sa santé que l’adulte de 80 kg au bénéfice d’un permis de manipuler les produits chimiques dangereux.
Cela amène à la deuxième réflexion, la plupart des universitaires sont des spécialistes. Un chimiste par exemple sait comment produire et utiliser une substance chimique. Un ingénieur en environnement sait comment la substance chimique va se disséminer dans l’environnement.
Songer aux limites de son savoir
Mais tous deux n’ont qu’une vague idée de l’effet de ces substances sur les organismes. Cela a été vu dans un cours secondaire, lors des études, on se rappelle qu’il faut porter des équipements de protection. La dangerosité intrinsèque s’oubliés avec l’habitude de la proximité du danger.
Cette ignorance excuse-t-elle pour autant la tragédie relatée dans le livre. Aucunement! Si un spécialiste doit être confiant dans ce qu’il sait, il est au moins aussi important pour lui de savoir où s’arrête son savoir, sous peine d’être victime de l’effet Dunning-Kruger ou effet de surconfiance.
Combines entre copains?
L’histoire de la découverte de cet effet est savoureuse, mais dans le cas présent ses conséquences ont été tragiques. L’enquête présentée dans le livre établit clairement une volonté de jouer avec le système: usage de prête nom, dissimulation, on suppose de la corruption ou du moins de la combine entre copains. Cependant, il ne semble pas que le galvanoplaste et de ses acolytes aient eu une volonté délibérée d’atteinte à la personne.
En revanche, au fil de la lecture, on acquiert la certitude que tous ont minimisé les conséquences de leurs actes, très probablement par excès de confiance en leur statut et leur savoir. L’appât du gain seul ne peut être un argument dans cette histoire.
La loi court après la réalité
Dernier point, le système législatif est toujours à la traîne. Il permet d’encadrer les bons joueurs, mais court généralement après les fraudeurs déterminés. Les mailles mises en place ont des trous, j’en veux pour preuve un témoin cité à la fin du livre indiquant que les activités du galvanoplaste ont continué après la cessation de l’activité de commerce de produits chimiques. Que pouvait-il se passer ? Un indice: une base de données de la Confédération recense toutes les entreprises au bénéfice d’une autorisation de réception de déchets dits spéciaux. «Spéciaux» est ici un autre nom pour dire dangereux.
Une recherche menée sur leur tout nouveau site internet indique à la rue du Doubs 51 – 2300 La Chaux-de-Fonds:
Assainissement Galvano Schmidlin – N.: 642101108 – Statut : actif.
Autrement dit, comme expliqué dans le livre, en plus du commerce, Schmidlin avait également l’autorisation de recevoir les déchets spéciaux des entreprises horlogères et de les «assainir».
Cette autorisation est toujours active. Espérons qu’elle n’est plus utilisée. Je fais confiance au comité Pro Doubs 51 pour s’en assurer et aux Chaux-de-Fonniers pour continuer à mettre en lumière les côtés sombres de la cité horlogère.
Extrait de la base de données eGovernment de l’Office fédéral de l’environnement, alimentée par le service cantonal de l’environnement (SENE). Saisir 642101108 dans la case numéro d’identification. Puis aller en bas de page et cliquer Détails.
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Vive réaction au Grand Conseil
Une question a été posée législatif neuchâtelois par la députée popiste Marina Schneeberger lors de la dernière session de mai 2024:
L’ immeuble sis rue du Doubs 51 à La Chaux-de-Fonds est gravement pollué et son accès est interdit. Un livre-[1]enquête vient de paraître et l’affaire a fait plusieurs fois la une de la presse locale. Cet immeuble est un bien sans maître; l’État de Neuchâtel envisage-t-il de l’acquérir et de l’assainir?
Le frais émoulu conseiller d’État Frédéric Mairy a répondu le 29 mai à la représentante chaux-de-fonnière. Il a d’abord précisé que sa réponse serait plus courte que cette longue et douloureuse affaire: «Non, le canton de Neuchâtel ne va pas acheter l’immeuble», mais la collectivité participera aux frais d’assainissement.
Aucune action concrète
Ah, on est rassuré, il ne va rien se passer … De toutes manières, le canton, conjointement avec la commune de La Chaux-de-Fonds, sera tôt ou tard obligé de dépolluer, en tant que responsable de la sécurité environnementale. Bref, on a rien appris de palpable de la bouche du chef du Département de la Santé.
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Afin de fêter comme il se doit ce coup de bâton dans la ruche, vous êtes convié·es à
un cocktail spécial TOXIQUE avec des snacks plein d’additifs
le mardi 18 juin au bar l’Inox, maison de l’Aigle, à partir de 17h15.
RSVP auprès de laurent@1000metres.ch.
En présence de Luc Recordon qui a rédigé la postface et des autres collaborateurs à l’enquête, ainsi que l’éditeur Daniel Musy des Editions Sur le haut.
Photos: © S. Grandjean
Rappel Le livre est en vente au prix de 18.- CHF à la librairie La Méridienne et au Kiosque Espacité.
On peut également le télécharger gratuitement sur le site SUR LE HAUT.