La synagogue, son rabbin et l’expansion juive

Fierté de La Chaux-de-Fonds, la synagogue a été érigée en deux ans! Le rabbin Margulies rappelle l’importante contribution de la communauté juive au développement de la ville.

Michel Margulies, le rabbin actuel de La Chaux-de-Fonds vit en Suisse depuis 32 ans. Originaire de Strasbourg, il a séjourné une dizaine d’années en Israël avant de revenir en Europe. La communauté juive cherchait un rabbin; elle l’a trouvé en France. Grand voyageur, il partage son temps entre la métropole horlogère et des séjours en Terre Sainte.

Pour mémoire, le premier rabbin de la synagogue de La Chaux-de-Fonds(1896-1950) s’appelait Jules Wolf. Le parvis devant la synagogue porte son nom.

Je l’ai rencontré à la synagogue où il officie habituellement. Nous avons parlé de l’évolution de la population israélite dans notre région. Très accueillant, le rabbin actuel m’a chaleureusement reçu.
À noter qu’il est possible de poser une question au rabbin par internet, au bas de chaque page sur le site comme celle indiquant où trouver les produits casher en ville et ailleurs. Recruté en France (la quête d’un rabbin est parfois difficile), parlant couramment hébreu, il est devenu la référence en matière de Thora pour les membres de la communauté.

Bref survol historique

Sans rédiger une chronique historique exhaustive, rappelons que, souvent menacés, les Juifs ont été chassés de Judée par les Romains; s’en sont suivis 2000 ans d’exil en passant par la Babylonie et Rome, suivie de l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492 – l’époque où Christophe Colomb est parti vers l’ouest chercher les «Indes» – ils furent par la suite interdits de séjour en France jusqu’en 1789 à la Révolution française, à partir de laquelle ils seront émancipés. Autrement dit, cela leur a permis d’obtenir la citoyenneté et la pleine égalité de leurs droits comme les autres habitants.

 

 

Plaque commémorative posée à la rénovation

En outre, on peut rattacher cet antisémitisme latent au début de l’ère chrétienne, alors que les Chrétiens leur reprochent d’avoir tué le Christ.
Les Juifs sont principalement répartis en deux catégories, à savoir, les Séfarades qui viennent d’Afrique du Nord et du Proche Orient et les Ashkénazes originaires des Balkans et d’Europe.

Revenons en Suisse.

Malvenus jusqu’au XIXe siècle

En 1790, les premiers Juifs furent autorisés à résider en Argovie, accueillant les réfugiés venus de France notamment.

En 1816, uniquement quelques personnes de cette communauté, tel un dénommé Woog , qui venaient d’Alsace, purent habiter dans le quartier de la Sombaille à La Chaux-de-Fonds. Cette zone de la ville fut ainsi affublée du sobriquet: quartier de Jérusalem.

Jusqu’en 1850, les marchands ambulants hébraïques avaient une autorisation quotidienne de venir commercer dans les Montagnes Neuchâteloises en payant une taxe. «Avec couvre-feu en fin de journée», précise le rabbin. En général, les métiers réservés aux Juifs et compatibles avec une vie un peu nomade étaient le commerce, les métiers de banque (interdits par les lois musulmane et chrétienne) et l’enseignement.

Porte d’entrée de la synagogue (DR)

Industrialisation horlogère

A ce moment-là, les Juifs était privés de leur droits civils et civiques. Les paysans-horlogers voyaient d’un mauvais œil ces individus qui s’installaient ici et pensaient qu’ils allaient leur voler leur travail. Alors que c’est l’inverse qui s’est produit. Ils ont contribué à industrialiser l’horlogerie dans la région.
Leur intégration fut réussie car ils étaient investis dans la vie locale, comme les clubs sportifs par exemple. Actifs culturellement, ils ont participé entre autres, à la création de la Salle de Musique et du Club 44.

Enterrer les morts, séparément

Étant donné l’obligation cérémonielle juive de sépulture éternelle, la communauté hébraïque a dû chercher un endroit où ses fidèles puissent trouver le dernier repos.

Situé à l’ouest de la ville, aux Eplatures, qui était à l’époque une commune différente (la rue de la Fusion rappelle le rapprochement) le cimetière juif a été terminé en 1872.
Pour l’anecdote, lors de la fête d’inauguration, il pleuvait et les chrétiens de la Chapelle voisine des Eplatures ont proposé d’accueillir les invités pour s’abriter.

Rappelons que les Juifs de la région ont soutenu le capitaine Dreyfus, ce capitaine juif accusé d’espionnage en 1894 par une lettre au Ministère français de la Justice.

Un bâtiment pour se recueillir

La synagogue de style byzantin a été inauguré en 1896 et n’a nécessité que deux ans de travaux, grâce à un financement généreux. Construite en pierres helvétiques (molasse, calcaire, granit, marbre etc…), elle est désormais considérée comme un monument historique emblématique de la Ville.

Vue extérieure ©Heim

Avant cette date, la communauté se retrouvait dans une salle communale de la rue de la Serre.

À noter que les plans de la synagogue chauxoise signés par l’architecte Richard Kuder sont basés sur celle de Strasbourg, dynamitée en 1941 par les nazis. Le livre de M. Epstein qui a recensé toutes les synagogues de Suisse avec une description précise a été bénéfique pour la communauté en lui donnant plus de visibilité. Epstein montre qu’ériger des lieux de culte sert à «manifester vers l’extérieur cette identité nouvellement acquise».

Particularité linguistique

En dessous de la salle monumentale, une petite salle, au sous-sol, sert aujourd’hui de lieu de prière habituelle . Remarquons que les inscriptions figurant sur les murs du bâtiment, principalement des extraits de la Thora, sont en deux langues, hébreu et français.

Visitez la synagogue, vous trouverez la traduction

À dessein, le français a été privilégié par rapport à l’écriture hébraïque. Le rabbin explique que «cette particularité est explicable par la volonté d’intégration de la communauté à notre région francophone».

Démographie

À l’époque de la construction, la communauté comptait un millier de membres. Dans la deuxième partie du XXe siècle la communauté s’est considérablement réduite, pour différentes raison, dont, la création de l’Etat d’Israël où ont émigré certaines familles, les différentes crises économiques, l’assimilation et le départ des jeunes de la communauté israélite qui ont quitté la ville pour aller étudier ou travailler ailleurs.

Triptyque décoratif

Aujourd’hui, la communauté ne compte plus qu’une soixantaine de familles dans la région.

Ainsi petit à petit, elle a perdu de son importance.

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(Réd) 1000METRES.CH a choisi volontairement de ne pas aborder dans cet article les conflits au Moyen-Orient sans pour autant ignorer les souffrances infligées de part et d’autre.