Pour une rue de la Promenade digne de son nom!

L’heure est venue de faire revivre la rue de la Promenade. L’enjeu: une occupation mixte, l’accès par les ruelles adjacentes et une déambulation sans voitures en milieu végétalisé.

Qui se souvient d’Henri-Louis Jacot? Propriétaire foncier, il possédait de vastes terres bordant la ville avant son grand bond en avant entre 1850 et 1900. Imaginez une époque où il n’y avait pas de rue du Manège, pas de collège de la Promenade, encore moins de train vers Saignelégier (le pont a été inaugurée de 1893).

Exceptés quelques bâtiments ruraux, il y a là des champs que Jacot se met en tête de valoriser en urbanisant les surfaces surplombant la vielle ville ravagée par l’incendie de 1794. Les travaux de reconstruction avançant lentement, des poutres calcinées jonchent encore les côtés des rues, on avance dans la gadoue, aucune chaussée n’étant pavée ou asphaltée.

Zone de flânerie

Ainsi, sur la gauche de la rue du Grenier – dite alors rue de Neuchâtel, c’est là que sont parties les flammes –, Jacot rêve à partir de 1810 de belles artères propre en ordre où les bons bourgeois pourront déambuler le dimanche sans devoir se mêler au bas peuple qui grouille autour de la place du Marché. Ainsi on s’y donnera rendez-vous, on s’y montrera en habits soignés, on y flânera.

La Promenade (1840) Louis-Ami-H. Nicolet et A. Thez.© Musée d’Histoire de La Chaux-de-Fonds

Par la suite, l’armée organisera là des parades avant de monter à la place d’armes adjacente manier les fusils. De grands arbres, coupés aux alentours de 1900, dispensaient ombre et verdure.

Un règlement drastique

Afin de concrétiser son ambition, Henri-Louis Jacot établit en 1830 un plan de quartier suivant un système d’axes en croix de Lorraine. Poursuivant une vision idéale, fasciné par les beaux immeubles parisiens, ce maniaque assortit le plan d’un catalogue de règles hyper-détaillées indiquant entre autres la hauteur des trottoirs, la dimension exacte des pierres taillées des angles de chaque immeuble (deux pieds). Tout est prévu: la manière d’élaguer les arbres et quelles essences planter. Il fonde une association qu’il préside bien entendu. Les futurs propriétaires doivent y adhérer et s’engager à respecter ses «règles concernant la rue de la Promenade et du Repos».
Structuré en plusieurs chapitres, ce document peut être consulté à la Bibliothèque de la Ville.

Écuries et lessiveries

Proposant un plan fonctionnel, Jacot vise le style coquet des grands boulevards. Il y a une bonne distance entre les immeubles, d’aucuns disent que c’est la rue la plus large de la ville (c’était avant la naissance du Pod). En outre, depuis l’incendie, il s’agissait d’être prudent, la couverture des toits devait être en tuiles.
En outre, l’hygiène est mise en avant. Pragmatique, Jacot installe des lessiveries à proximité des habitations. Les ruelles de desserte parallèles à l’artère centrale abritent des jardins flanqués d’écuries et munis de fontaines.

Bas de la rue ©Loïc Zufferey (filière architecture du paysage hes, Hepia GE)

Jacot a trouvé des acheteurs qui ont accepté de suivre ses directives. Ainsi s’est construite cette rue d’apparat fort admirée à l’époque .

Pionnier peu apprécié

Réalisé à partir de 1840, son plan est le précurseur du plan Junod mieux connu qui impose des rues perpendiculaires en direction ouest. Jacot partait lui vers le sud. Rappelons que la rue de la Promenade était plate avec des escaliers la reliant à la rue du Grenier. L’ensemble devait se prolonger en direction Bois du Couvent; la tranchée du chemin de fer vers Neuchâtel n’existait pas encore.

La terrible saignée de 1939

Pour se plier au diktat des moteurs à explosion triomphants, une saignée est creusée en 1939. Il s’agissait que le trafic rejoigne le bas de la ville en délestant la rue de l’Hôtel-de-Ville, améliorant l’accès à la localité depuis Neuchâtel. La commune met des chômeurs au travail. Ils édifient les murs de soutènement que l’on connaît aujourd’hui. Et on équipe les perrons ainsi créés de barrières, histoire que les passant·es ne tombent pas sur les voitures.

En bas de la saignée réalisée, le plan pro-voitures des autorités prévoyait de faire sauter le goulet au carrefour des rues Léopold Robert et du Grenier. Il s’agissait de démolir la Pinte neuchâteloise, la ferme devenue ensuite boulangerie et un immeuble voisin . Cela aurait créé une place et supprimé le virage en épingle que les bus TransN peinent encore à négocier.
Las, la société des carabiniers a défendu la Pinte qui lui servait de stamm et le propriétaire de l’immeuble voué à disparaître s’est battu bec et ongles pour faire capoter la vision de la commune qui entendait créer un axe parallèle de pénétration jusqu’à la rue du Stand.

Enfin des arbres ©Clément Matton (filière architecture du paysage hes, Hepia GE)

Idée urbanistique malheureuse et jamais complétée, cette saignée n’a pas servi à grand-chose: les bouchons que l’on tentait d’éviter sont toujours présents, la rue est à sens unique et ne canalise que le trafic local et les transports publics.

Idée-force: montrer le possible

Pour revaloriser cette rue, un de ses habitants, Jérôme Baratelli, a contacté l’HEPIA (Haute École du paysage, d’ingénierie et d’architecture) de Genève.
Son idée? Constatant que la rue est pratiquement morte et désertée, Baratelli souhaite en effet développer et confronter plusieurs points de vue concernant cette artère, en mettant l’accent sur la végétalisation. «Une manière de montrer le possible», précise l’artiste qui vient d’ouvrir dans les combles du n° 11 une galerie, le Labo B.

Il y présente jusqu’au dimanche 14 juillet les travaux d’examen réalisés cette année. Téléphonez pour agender une visite.

Des paliers enherbés ©Clément Matton (filière architecture du paysage hes, Hepia GE)

Contacté, son ancien collègue Laurent Essig, chauxois d’origine et professeur à l’HEPIA, a saisi l’occasion au bond. Il a proposé à ses étudiant·es un travail d’examen consacré à cette rue et ses alentours .

Pas question de nostalgie: «On ne remet pas en question ce qui a été fait, on cherche à établir un nouveau dialogue pour trouver des solutions vivantes», argumente Baratelli avec sa vivacité coutumière. Autrement dit, il aspire à ce que la rue mérite son nom et que l’on mette en avant le génie d’Henri-Louis Jacot, urbaniste avant l’heure.

À venir: des arbres et des bancs

À Genève, 24 étudiants se sont ainsi mis au travail au début du semestre d’hiver. Ielles ont commencé par visiter l’endroit en automne, puis y sont revenu un fois fin janvier pour s’en imprégner une fois en plein hiver. En tout, les futur·es architectes-paysagistes ont passé quelque 80 heures à plancher sur leurs concepts, fournissant plans, programme, choix des types de végétaux, planifiant des circulations, des places, des gradins et même de petits étangs où ruissellerait l’eau des toits. Des images en 3D complètent les présentations.

Bas de la rue ©Clément Matton (filière architecture du paysage hes, Hepia GE)

Le résultat est saisissant: quatorze projets regroupés en sept propositions, baptisées Promenade buissonnière, Promenade plantée, Promenade bleue, Rue Jardinée, Rue Rieuse, le Parc urbain ou Le Belvédère éveillent la curiosité, suscitant scepticisme ou enthousiasme.

Personnellement, le reporter n’est guère fan d’acier corten qui figure en bonne place dans un des travaux par ailleurs très imaginatif.

Un passage surélevé rétablissant la circulation piétonne ©Sophie Halpern (filière architecture du paysage hes, Hepia GE)

Le choix des arbres envisagés retient l’attention: la plupart des travaux privilégient des essences qui supportent la chaleur, ou apportent de l’ombre voire des possibilités de se dissimuler pour la petite faune urbaine et les enfants qui adorent jouer à cache-cache.

Reboucher la saignée?

Relier les deux côtés de la rue coupée il y a 85 ans, mettre des gradins pour retrouver son horizontalité, ou descendre en dégradé par paliers? Toutes ces suggestions mettent les neurones en ébullition.

Une terrasse ombragée ©Sophie Halpern (filière architecture du paysage hes, Hepia GE)

Plusieurs type de revêtements sont suggérés: des petits boulets de pierre d’où surgissent des îlots de verdure, des paliers engazonnés, etc. Dans la plupart des travaux, figurent des placettes pour installer terrasses ou bassins, bancs ou dénivelés en gradin destinés aux spectateurs de spectacles de rue. On aperçoit sur un travail des plans d’eau type zone alluviale, qui ne sont pas remplis toute l’année. Bientôt des grenouilles pour agrémenter la promenade?

En ressortant du Labo B, on se prend à espérer que cette rue grise, terne et vide d’animation revive un jour.

Revisiter la circulation des TP

Et le bus dites-vous? Bien entendu, les véhicules de TransN devraient se trouver un nouveau parcours. Une des idées émises est de faire passer la ligne desservant la Piscine-Patinoire par la rue Fritz Courvoisier puis monter la rue de l’Etoile pour retomber sur son trajet habituel vers la prison. Cela permettrait de desservir toute la rue du Crêt et du Manège.

Bas de la rue avec gradins ©Jonhathan Jimenez (filière architecture du paysage hes, Hepia GE)

Et la neige? Les fraiseuses ne passent guère gradins ou paliers. Outre le fait que marcher dans le peu de neige à venir fait plaisir et offre aux gamins de quoi construire de pettis fortins, la voirie possède encore des pelles pour remédier aux congères toujours possibles.

Un effort commun de planification devrait permettre de lever les obstacles que l’on discerne souvent avant de percevoir les avantages d’une rue piétonne de race et de classe à proximité d’un grand collège et d’une garderie tous deux très fréquentés. Pourvu que les riverains bougent et que ces idées alimentent le débat à venir.

Rêvons comme l’a fait Henri-Louis Jacot!

Labo B, visite sur rendez-vous jusqu’au 14.7.2024.

Contact: 079 915 83 66