Une passionnée du binage et des plantons
Malgré les frimas, Monika Freitag jardine depuis 40 ans à La Chaux-de-Fonds avec ardeur. Soigné à grand renfort de purin et d’amour, son jardin respire la bonne humeur.
Elles sont deux en train d’égrener une belle récolte de raisinets à l’ombre d’un arbre. Monika Freitag a suggéré à sa nouvelle voisine ukrainienne de venir lui donner un coup de main. La gamine est venue accompagnée de sa maman et de son petit frère. La jatte de baies rouges se vide durant l’entretien, la casserole pour la confiture sera bientôt pleine.
On peut croiser cette jardinière hors pair dans le quartier de Bellevue, où elle et son mari ont trouvé la maison de leur rêve il y a plus de quatre décennies. Un arbre et un terrain où elle plante avec bonheur fleurs et légumes.
Du Jura souabe au neuchâtelois
Venue à Lausanne pour apprendre le français, cette Allemande du Jura souabe à l’accent quasi chauxois a commencé comme fille de buffet à la Taverne du château d’Ouchy. Un jour, une copine lui explique qu’à La Tchaux, il y a du boulot. Elle se retrouve au restaurant de l’Aéroport, où elle rencontre Pierre, son futur mari, un pilote amateur.
Montée dans nos montagnes, elle ne les a plus quittées: «Je me sens bien ici, dans les sapins comme où je suis née».
On peut même affirmer qu’elle s’est magnifiquement intégrée ici. Elle a œuvré longtemps à l’atelier de marionnettes La Turlutaine à La Chaux-de-Fonds, aux côtés de Catherine de Torrenté, Isis Babando et Jenny Jucker.
Bricoleuse
Des années durant, Monika Freitag a en outre tenu la boutique La Bricole au début de la rue de la Charrière. Auparavant, elle avait suivi une école de commerce et travaillé dans divers bureaux.
Revenons à son jardin.
«Il est en quelque sorte le reflet de mon ambivalence. Côté serre, les plantations suivent un plan méticuleux, planifié, optimisé et échelonné. C’est mon côté structuré qui transparaît ici.
En revanche sur la gauche en regardant depuis la maison, la profusion et l’invasion mime une mini- jungle».
Ainsi son domaine est une métaphore de sa personnalité, mêlant chaos et ordre: un équilibre harmonieux entre deux mondes distincts et pourtant associés par la terre qui les porte.
Elle utilise de l’eau de citerne, don du ciel sans chlore. Elle pratique la rotation de culture, histoire ne de pas fatiguer le sol avec une plante unique au même endroit. Elle veille aussi à placer des plantes complémentaires qui se protègent mutuellement.
Chasse aux limaces
Y a-t-il une différence entre planter des fleurs et des légumes? «Non pour moi, c’est du pareil au même, il n’y a pas vraiment de différence. De toutes manières, les limaces attaquent partout, on les entend rigoler», explique-t-elle avec un grand sourire. «Ces limaces qui reviennent toujours, je les coupe en deux, c’est un moyen comme un autre pour s’en débarrasser».
Pour fumer son terrain, elle préparer du purin d’orties et utilise en parallèle du compost. Elle ne recourt à aucune protection chimique.
D’où lui vient cet amour du jardinage? «À la maison, mes parents avaient un jardin. Puis à la petit école, nous plantions des radis, des haricots. J’ai directement croché».
Complicité avec sa fille
Mère d’une fille, Anne ( 55 ans) et d’un garçon, Marc (52 ans), elle coordonne les plantations printanières avec son aînée. Celle-ci est zoologue et en sait un rayon sur les insectes. Établie à Lausanne, elle revient régulièrement à La Chaux-de-Fonds où elle joue dans une société mixte d’accordéon. «Actuellement, ils préparent un gala pour leurs 10 ans, alors ces temps elle passe ici chaque semaine et dort chez moi».
Au sortir de l’hiver, elles décident ensemble des sortes de tomates, de fleurs ou de salades qu’elles vont planter. Elles achètent les graines chez Pro Specie rara ou Biosem, puis se répartissent les plantons à faire pousser . Ensuite, elles échangent leurs jeunes plants les plus réussis. Ou les vendent par courriel . «Je fais plus de 200 plantons de tomates chaque printemps», annonce Monika Freitag.
«Je lui ai transmis le virus»
«On échange nos expériences, notre savoir. Par exemple, je viens de lire qu’il ne faut plus donner d’engrais aux tomates à partir du mois d’août». Elles embrassent la même passion.
«Comme moi, elle n’avait pas de jardin là où elle louait, elle a fini par acheter. Au début, quand j’étais locataire, j’avais installé quelques carreaux de légumes dans le jardin des espérantistes dans le quartier des Postiers. Ils n’en n’avaient rien à cirer du jardinage».
Monika ne suit pas spécialement de cours de jardinage, c’est plutôt l’affaire de sa fille Anne. «Je lis des trucs sur internet, mais rarement, je suis plutôt livres».
Une réussite particulière
Monika Freitag est fière de ses roses trémières dont elle recueille fidèlement les grains lorsque les fruits éclatent. Son jardin n’est par tiré au cordeau: certains coins sont plus sauvages que d’autres, elle n’intervient pas toujours de façon approfondie. J’aperçois une longue tige pourpre sans ramification et demande naïvement de quelle fleur il s’agit. Monika rit gentiment et m’instruit. «C’est de l’arroche, ça se cuisine comme les épinards et ça se ressème facilement, il y en a dans plusieurs coins de mon jardin».
Il commence à pleuviner, la jatte de raisinets est vide, l’heureuse jardinière rentre.
Photos en mai 2023: sophiestieger.ch