La mue de Ton sur Ton: cap à l’ouest
Une pieuvre à douze bras vivant à La Chaux-de-Fonds va nicher à l’Usine électrique. Ton sur Ton, école, catalyseur, fondation et creuset d’inclusion s’étend. Par ici la visite!
Dorénavant, vers le bout de la rue Numa-Droz, au numéro 174, ça bougera: on entendra les sons jazzy ou harmonieux d’apprenti·es musicien·nes, des circasien·nes s’entraîneront, aux côtés de yogi locaux s’exerçant à la relaxation musculaire et mentale. L’arrivée de Ton sur Ton comme nouveau locataire de la Brasserie L’Avenir, revivifie la partie administrative de la vieille usine électrique qui embaume le houblon depuis cinq ans.
On trouvait là sur quatre étages l’administration et certains ateliers des Services industriels (Viteos aujourd’hui).
Culture et inclusion
Lieu de formation, creuset d’idées et de créations, cette école a été fondée en 2001. Il s’agissait de créer un centre de formation artistique régional pour former des étudiants jusqu’au niveau préprofessionnel. Ayant évolué, Ton sur Ton ambitionne maintenant d’être un pôle de compétences en Culture Inclusive et Digitale.
Grand bond en avant
Grâce au soutien de l’Office fédéral de la culture, Ton sur Ton a pu rebondir après le creux de la vague Covid. La Confédération avait lancé un appel à projet des transformation des activités culturelles au sens large, basé sur l’ordonnance Covid-19 sur la culture. Le but de la manœuvre est de tirer des leçons pour la politique culturelle nationale selon des critères de durabilité, d’efficacité, de capacité à relever des défis.
Projet prioritaire
Rappelons qu’entre 2020 et 2022, les écoles comme Ton sur Ton ont souffert des mesure de fermeture mises en place à la hâte (selon l’interview récent de Daniel Koch, ex-monsieur Covid). Elles furent suivies de diverses formes de confinement.
À l’époque, l’OFC a lancé l’idée de booster la culture par des projets de métamorphose à long terme. Début novembre 2023, la section Culture et société de l’OFC annonce que, parmi 1500 dossiers engrangés, Ton sur Ton est sélectionné qu’ils font partie des 20 projets prioritaires. Une super reconnaissance!
Cette métamorphose vers une culture plus inclusive et sans frontière a commencé avant cette annonce. Elle aura duré quatre ans et coûté près d’un million de francs. Le canton et la Berne fédérale ont fourni un tiers de la somme, la Ville de La Chaux-de-Fonds, les fonds propres de la fondation Ton sur Ton et une campagne de financement participatif qui débutera le 21 juin prochain apporteront le solde restant.
Passons à l’homme-moteur cette école, une institution ou presque.
Précoce et tenace
Quand Christophe Studer a-t-il commencé la musique? En aparté, son père Raymond, bricoleur très impliqué sur le chantier de rénovation, indique à 1000METRES.CH que fiston avait commencé le piano à sept ans au Collège musical. Ayant fait d’impressionnants progrès, il est alors question de l’inscrire au Conservatoire. «Mais il n’avait pas envie de faire trop de solfège», explique papa. Christophe s’entiche alors de jazz et se présente à l’examen de l’école de jazz du Conservatoire à Montreux.
Un loser?
Persuadé d‘avoir raté les épreuves du matin, le jeune homme, qui préparait parallèlement son bac à La Tchaux, se refuse à continuer. Là son père l’engueule un bon coup pour qu’il aille tout de même tenter sa chance pour la suite de l’examen. Il en ressort dépité, «ça a foiré, c’est sûr» clamait-il. Le lendemain, sa classe part en voyage de bac à Barcelone. Inatteignable. Son vieux lui apprendra au retour d’Espagne qu’il est accepté!
On connaît la suite, celui sonorisa les égouts de la Mère commune lors de la première mouture en 2008 de Le Locle capitale mondiale de la St-Valentin dirige maintenant une école qui lui doit beaucoup.
Bailleur: L’Avenir
En collaboration avec Movetia (contraction de Move et Helvetia, on arrête pas les trouvailles qui claquent dans les institutions paraétatique 😊) l’agence nationale en charge de la promotion des échanges et de la mobilité, Ton sur Ton organise des stages dans d’autres écoles pour ses élèves, des échanges avec ses troupes, bref étend ses tentacules hors de la ville.
À signaler: la Brasserie L’Avenir, qui a racheté tout le bâtiment à la commune, loue les quatre étages à Ton sur Ton. Le bail est signé pour cinq ans, renouvelable. Le directeur de L’Avenir, Pascal Schindelholz nous glisse que l’arrivée de Ton sur Ton «est un rayon de soleil, cela nous réjouit et nous permettra de mieux faire connaître nos ventes à quais pour les particuliers». Jouons le jeu pour les fans: c’est du mercredi au vendredi de 15h00 – 18h00 et samedi de 10h00 – 14h00.
Le coup de la panne
Bien sûr, une rénovation dans un bâtiment inauguré en 1908 ne va pas sans quelques couacs. Ainsi, Christophe Studer s’est un jour mis en tête de couper les câbles du vieux central téléphonique analogique Ascotel des années 90. Il souhaitait juste garder le châssis et les modules d’époque. Mal lui en a pris. Il a coupé la ligne téléphonique de la brasserie: sur le gros faisceau de câbles, un seul était encore en service. Swisscom a dû venir à la rescousse.
Retournons aux futurs usagers.
Au service des invisibles
De nos jours encore, les personne en situation de handicap sont invisibles, ignorées voire méprisée. C’est pourtant en train de changer, témoin le succès inattendu à Cannes du film «Un p’tit truc en plus», qui a fait la Une de Paris Match.
Si Match note que «le grand mécanisme de l’inclusion n’est pas encore huilé», Christophe Studer a opportunément précisé que «l’inclusion n’est pas une finalité, c’est un chemin».
Booster la conscience collective
Par de petits gestes, l’acceptation vécue des différences et des besoins particuliers, il s’agit de faire émerger une nouvelle forme de conscience collective.
Cela se traduit dans des cours et des spectacles placés sous le signe de l’inclusion qui se répètent chaque semaine.
Cela aboutit parfois à de petits miracles tel celui d’une élève du CERAS qui, lors d’un spectacle de Ton sur Ton, s’est levée de sa chaise roulante pour faire quelques pas. Elle, ses parents, ses accompagnant·es et ami·es, les spectateurs présent·es et Christophe Studer n’oublieront jamais cet instant: ses physiothérapeutes avaient déclaré que cela n’allait jamais être possible, question équilibre.
Avec le service de la Jeunesse
Venue découvrir les lieux, Cristèle Segura, cheffe de service de la Jeunesse depuis mars 2022, explique sa présence à l’inauguration: «Cela m’intéresse tout particulièrement. Nous collaborons avec Ton sur Ton, surtout au niveau des enfants, on prête du matériel lors d’interventions en extérieur. C’est chouette, cela redynamise le bâtiment».
Une trentaine d’officiel·les et quelques journalistes ont ainsi parcouru les quatre étage que l’école occupe déjà en partie. Les travaux sont à bout touchant, tout n’est pas achevé; témoin l’isolation en cours des combles où la salle de yoga et d’acrobatie trouvera sa place définitive, 150 m2 dans un imposant cadre boisé.
Innover pour tous
On croise Michael Wenger, de Forum Inclusion, qui supervise l’inclusivité des lieux et des cours. Engagé à mi-temps le bonhomme est malvoyant et sait faire partager sa particularité en faisant chausser des lunettes qui brouillent la vue à tous les visiteurs et visiteuses. L’une d’elle s’exclame: «C’est comme quand je perds me lentilles, je suis perdue».
Au-delà de cette mise en situation, Michael Wenger conseille et oriente les institutions culturelles et sociales en matière d’inclusion, organise des solutions, de l’accompagnement de la gare à un lieu d’exposition par exemple ou un suivi de projet inclusif, des expertises.
Forum Inclusion entend aussi favoriser les rencontres et les échanges de bonnes pratiques avec son réseau de personnes à besoins particuliers.
Sans oublier la coordination avec les activités de Cirque social, et HandiCirque, cette dernière étant organisée avec Procap. Comme le cours de danse inclusive «qui fait un tabac» selon Magali Jaquet, coach à Ton sur Ton et formée en cirque social parle réseau CARAVAN.
Foisonnement et développement
Impossible de présenter ici toutes les facettes des activités qui se dérouleront sous peu à l’Usine électrique. Citons dans le désordre: l’accompagnement en gestion culturelle, les productions (Opsion Sirk, La Mezclita, le Big Band et la Noche flamenca), le Catalyseur de projets soutenu par la Loterie Romande.
Pour la bonne bouche, comme si Ton sur Ton manquait de boulot: la mise en place de la Fête de la Danse et de la Musique! Médiateur? Sans surprise c’est l’essentiel Christophe Studer qui coiffe cette casquette 🧢.
Département Bien-être
Parmi les cinq départements de l’école, celui du Bien-être retient l’attention. Qu’est-ce qui a poussé Ton sur Ton à offrir des cours de yoga ou de méditation? Il fait sens que les artistes pratiquant les Arts Vivants sachent se relaxer, utiliser des postures assouplissant leurs articulations, etc. Sarah Geiser-Lemoine tient ce rôle depuis un an.
Mère d’une jeune ado, cette thérapeute en médecine chinoise travaille à temps partiel pour Ton sur Ton. Elle attend avec impatience ses nouveaux locaux et se promet d’y répandre son aura de calme.
Complémentarité et réussite
Entre le local administratif du rez, les espaces plus spécialisés du 3e et du 4e, une surprise au détour d’un couloir: Burning Sound en train d’installer là son nouveau studio d’enregistrement, un labo de création interdisciplinaire. «Un partenariat avec notre école», explique le directeur Christophe Studer.
Il souligne en outre que cette mue «s’est engagée dans la douleur, il fallait réfléchir à comment s’en sortir après la pandémie».
Le résultat est à la hauteur des efforts consentis. C’est rempli de trouvailles, de collaborateurs et collaboratrices enthousiastes engagés depuis la mise en chantier de ce vaste programme de renouvellement.
Le bâtiment investi est à la hauteur des ambitions: colossales.
Seul (petit) bémol inclusif; l’ascenseur n’est guère aux normes, une chaise roulante n’y entre pas. Peut-être qu’Adrien Weber, propriétaire, fera construire à l’extérieur un monte-charge bien dimensionné? Ce serait magnifique!
Déclaration d’intérêt: c’est le président de Procap Suisse qui rêve.