Xylothèque de pointe pour les épicéas du cru

Les forêts du Jura fournissent du bois de résonance de qualité. Pour le mettre en valeur, une collection de planchettes séchées a été créée à Cernier. Des luthiers s’y intéressent.

Pour valoriser érables ondés * et épicéas sans nœuds, les propriétaires et les forestiers de futaies des hauteurs jurassiennes ont monté une xylothèque, soit un endroit où sont conservés et exposés des bois de nos régions. Trois cantons, Vaud, Neuchâtel et Berne, ont collaboré afin de mettre en place cette xylothèque, sous label Forêtxcellence.

Situé à Cernier, dans les combles d’Evologia, elle a été inaugurée début octobre 2024. On croisait là vestes matelassées des gens de la forêt et cravates des autorités et des grands propriétaires de forêts. Il faut de tout pour faire une xylothèque.

Des sons qui font briller les yeux

Ce 3 octobre, le quatuor à corde Solem a charmé les participant·es par ses prestations brillantes et entraînantes, dont le Lever de Soleil de Haydn, opus 76.

Formée des deux violonistes Denitsa Kazakova et Olivier Piguet, Céline Portat à l’alto et Pascal Desarzens au violoncelle, ces intermèdes s’imposaient dans ce cadre dédié à la résonance.

Stock de bois précieux

Sous xylothèque, les dictionnaires usuels indiquent «lieu où est conservée et consultée une collection organisée de bois». Autrement dit, un lieu d’exposition et de vente de bois déjà façonné pour fabriquer guitares, luths, violons ou violoncelles.

Ça ressemble à quoi? Imaginez un dépôt de planchettes et de quartiers de bois de résonance soigneusement sciés, prêts à être découpés par les artisans.

Public-cible

Une xylothèque vise plusieurs audiences. Au-delà des fabricants d’instrument à corde, à vent, bref tout ce qui résonne sur du bois. Pensez au cor des Alpes et autres métronomes ou aux boîtes à musique mécaniques, des musicien·nes devraient passer là pour saisir l’essence des sons. Les scieurs tel Hachem installé aux Ponts-de-Martel seront aussi attirés par cette collection.

En outre, des scientifiques sont aussi intéressés à disposer de spécimens de différents arbres abattus à diverses époques pour leurs études dendrochronologiques (étude de la croissance des arbres au cours du temps en observant les cernes des résineux en particulier).

Bien entendu, curieux et curieuses peuvent aussi aller découvrir cet univers particulier.

Un guitarier atypique

Pour présenter les qualités hors du commun, qui de mieux qu’un luthier comme on n’en fait plus: Jeanmichel Capt, fan de la Telecaster, mère des guitares électriques, qu’il n’a pas hésité à revisiter.

Chaleureux, enthousiaste, ce grand bonhomme (aux deux sens du terme) tour à tour bûcheron, scieur, luthier et musicien, sait parler du bois et de la forêt. Et de résonance bien entendu.

«J’ai saisi que la qualité sonore n’est utile que si elle est associée à une intention de communication. Il n’y a pas de musique s’il n’y a pas une histoire racontée par ce moyen», note-t-il dans un ouvrage Racines, qu’il s’est empressé de m’offrir.

L’appel de l’épicéa de résonance

Récit d’un parcours de vie, cet ouvrage ouvre des perspectives sur la manière de choisir et de «cueillir» les arbres. Élève d’un ancien du Risoux, Lorenzo Pellegrini, mage des bois, Capt explique «attendre un appel» lorsqu’il cherche un arbre qui ne vrille pas, un épicéa qui a poussé tout droit, dans la pénombre en cherchant uniquement la lumière verticalement: «J’attends cette sensation d’évidence que procure la découverte de l’arbre qui accepte de me donner son bois».

Revenons dans les bois.

Riche patrimoine boisé

En matière de futaies, les richesses de nos forêts sont multiples: bois de construction, d’ébénisterie, de chauffe (en jargon moderne bois-énergie). Moins courant le bois de résonance représente une niche économique. En effet, les épicéas utilisables pour confectionner des instruments sont fort rares: entre 1 et 3 arbres sur 10’000 possèdent les qualités requises.

Critères précis

Pour être débité en planchettes, un épicéa doit avoir un diamètre minimum de 50 cm, soit plus de 50 ans d’âge et ne pas avoir de nœuds sur une longueur d’environ cinq mètres. Ainsi dit cela semble assez commun. Notez que la qualité bois de résonance est aussi déterminée parla finesse de ses veines; si elles sont très fines, c’est dû à une croissance extrêmement lente de l’arbre produisant des cernes très serrés.

Pourtant, même en parcourant les nombreux hectares qui hébergent de vieux arbres au Risoux (certain·es préfèrent écrire Risoud), monument forestier de la Vallée de Joux, ou dans une moindre mesure, dans la forêt du Cotard près de la Brévine, les forestiers les plus aguerris n’en trouvent pas tous les jours. En effet, les futs adéquats ne sont pas légion, comme signalé.

Rareté

En Suisse, selon l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL), il n’y a d’ailleurs pas une foule d’endroits où ce type de bois pousse et peut être exploité.

L’exploitation est en soi un art: tout dépend des phases de la lune au moment de la coupe, de l’humidité à l’endroit où croît l’arbre et d’autres facteurs que seuls les experts maîtrisent.

Pour que ce savoir-faire perdure, les diverses xylothèques entendent valoriser le bois de résonance.

Une épicerie pour luthiers

D’autres collections semblables existent dans les Grisons ainsi qu’à Rougemont, une collaboration entre les forestiers du Pays d’En haut avec Brienz (BE) village de l’Oberland qui, outre une spécialité de sculpture de petits ours en bois, abrite une école de lutherie.
Une xylothèque plus généraliste est hébergée au Jardin botanique de Genève.

Pour présenter leur xylothèque les scieurs et propriétaires du pays d’En Haut mettent l’accent sur l’aspect lutherie. En quatre minutes, découvrez l’usage des chablons pour déterminer le bon endroit dans le bois où creuser une table de violon.

Pour mettre un nom sur les différentes partie d’un violon, voyez le site Paganino.

Du bois sur pied au violon

La xylothèque neuchâteloise entend garantir une traçabilité de la coupe au séchage. Cela devrait parler aux facteurs d’instrument.

Nous avons demandé à Claude Lebet, fameux artisan luthier chauxois revenu de Rome, s’il courrait les xylothèques: «Ah, pas vraiment, moi je travaille encore à l’ancienne., j’ai un scieur, je connais des bûcherons. Et maintenant j’ai des réserves de bois pour 3 générations. Comme je fais passablement de copie d’instruments anciens trop chers à trimballer (les assurances sont très gourmandes avec des violons de grande valeur), il me faut disposer d’un vaste choix, c’est une sécurité. Afin que le plumage ressemble au ramage de l’original.»
Cela n’empêche pas Claude Lebet de comprendre tout l’intérêt que présente cette nouvelle xylothèque. Cela valorise le bois et par conséquent aussi la lutherie.

Le choix du bois se joue principalement sur les coups de cœur des luthiers. Lebet avoue avoir eu quelques déboires avec des futs achetés sur pied. «Il y a maintenant des gens qui analysent les arbres scientifiquement, alors que c’est un métier empirique, où il faut beaucoup d’expérience. J’ai ainsi acquis une fois un bel arbre du Cotard, mais il était plein de nœuds cachés».

Au-delà de l’anecdote, ce grand luthier note avec une pointe de fatalisme qu’étant donné que «les forêts sont malades, montrer leur richesse et tâcher de les conserver durablement est une bonne idée.».Pourtant, à en croire Christian Lüthi, garde-forestier du secteur La Brévine, cette magnifique forêt du Cotard (ou Cottard, les deux graphies existent) qui couvre plusieurs centaines d’hectares, est une ressource à mettre en valeur. «Nous ne choisissons pas seuls les arbres, la présence du spécialiste Stéphane Brawand est essentielle pour faire une évaluation fiable.»

Savoir-faire séculaire

Nous avons demandé au luthier Fabrice Girardin s’il utilisait les services de xylothèques. Personnellement, il n’y a pas encore eu recours. «Certes, je considère qu’il existe du bon bois dans la région; pour juger de l’intérêt de la xylothèque, il faudra aller voir sur place». Quant à acheter directement du bois sur pied, Girardin estime que c’est trop risqué. «Présenter des planches est un métier, je ne pense pas être en mesure de choisir un bon arbre dans une forêt».

Comme les juristes, à chaque luthier son avis. Quant au spécialiste Stéphane Brawand, responsable de la xylothèque, il voit l’avenir plein d’opportunités et relève que le bois de résonance est maintenant utilisé à bien d’autres usages, dabs l’horlogerie ou pour des tables de relaxation par exemple.

N.B. L’horaires de visite pour le public n’est pas encore fixé, il faut prendre contact au 032 730 39 42

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À signaler dans ce contexte, l’association suisse de lutherie qui lutte, entre autres, en faveur de la sauvegarde des bois en voie d’extinction. Particularité: son site répertorie des violons volés.

De l’autre côté de la frontière, sa grande sœur ALADFI réunit aussi quelques luthiers romands. Ce groupement œuvre notamment à la formation continue des luthiers et archetiers.

Finalement, au niveau mondial, l’Entente internationale des luthiers et archetiers EILA regroupe des maitres-luthiers de haut vol, experts restaurateurs d’instruments. Spécialisés en matière d’entretien de l’instrument ou de l’archet, de réparations courantes, du réglage de la sonorité et des travaux de haute restauration, ils travaillent minutieusement sur les plus prestigieuses pièces du patrimoine instrumental.

Le Chauxois Fabrice Girardin fait actuellement partie de l’EILA. Auparavant, il avait présidé l’association suisse. En sa qualité de restaurateur d’instruments, c’est une référence internationale. Sa réputation fait rayonner La Chaux-de-Fonds loin à la ronde.

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• ondulation des fibres présentant des bandes ondulées chatoyantes plus ou moins régulières, alternativement mates et brillantes; il s’agit d’une anomalie, ce qui en fait la rareté. Cet érable sycomore ondé rare est recherché par les luthiers pour sa combinaison de qualités acoustiques et esthétiques.