Gérald Bringolf, pianiste chrétien à crampons

Le bonhomme aime le jazz et le football. S’il ne shoote plus, il pianote avec vigueur. Tête-à-tête chez lui après un concert à St-Pierre pour les 150 ans des catholiques chrétiens.
Il a beaucoup tapé dans le ballon, mais encore plus martyrisé des touches de clavier tout au long de sa prolifique carrière de musicien de jazz, de variété et … de toutes sortes de styles musicaux en fait.

Personnage vif et d’abord facile, Gérald Bringolf est en premier lieu un pédagogue: il adore expliquer, montrer, et l’âge venant, se souvenir. Malgré quelques ennuis de santé (un cancer maitrisé grâce à l’immunothérapie) Gérald Bringolf est encore plein d’entrain bien qu’il monte un peu plus lentement qu’auparavant les escaliers menant à sa maison de Pionville (surnom des rangées de villas du quartier de la Recorne, imaginées par l’architecte Georges Haefeli au début des année 70).
Diantre, depuis la rue du Chapeau Râblé, il y a plus de 37 marches avant d’arriver au sous-sol de la villa construite sur trois étages, sans ascenseur, ne rêvons pas.
Faux départ horloger
Du haut de ses 86 ans («je suis né juste à l’Anschluss», sourit-il), il se porte bien. Portant un regard critique sur le passé, il détaille son parcours professionnel: après quatre ans d’école d’horlogerie, il glisse sans insister «j’ai bossé dans l’industrie horlogère». Lassé des cadrans et pignons, il passe son bac en cours d’emploi en 1964, puis suit l’école normale pour devenir enseignant.
L’horlogerie ne semble donc guère avoir marqué son existence. Par contre, si vous le lancez sur les nombreux groupes au sein desquels il a assuré la partie pianistique, sortez la chaise-longue et laissez-vous guider, 60 ans de scène vont défiler.

Gérald évoque d’emblée une tournée en Bretagne avec le duo nommé les Quidams qu’il formait avec Henry von Kaenel dès 1963. Ils ont tourné durant plus de 20 ans!
Lucy Weil, sa prof de piano
Sans transition, il cite sa prof de piano, Mademoiselle Lucy Weil. Elle l’a formé depuis ses 10 ans. Pourtant il a commencé plus tôt, pendant la guerre avec l’épouse d’un ami de son père, pianiste formée chez une célébrité d’antan, Marguerite Long à Paris.

Puis à 14 ans, il s’entiche de jazz, c’est LA musique qui cartonne dans les années 50. «J’écoutais des 78 tours, en reprenant les airs à l’oreille». Il précise: «On reprenait les grilles 😯, on les recopiait si on les trouvait, évidemment, cela s’écrit sans portées ces suites d’accord».
Nous y reviendrons.
Jazz (un) peu catholique
À l’occasion d’une matinée musicale à la paroisse St-Pierre, dans la petite salle de l’église catholique chrétienne, on trouve un pianiste grisonnant – le héros principal de ce portrait – qui se masse les poignets et un long trompettiste qui place son embouchure, Olivier Theurillat.

Compagnon de route de Bringolf depuis 2013, ce trompettiste poursuit une carrière internationale. Vous pouvez ainsi entendre quelques morceaux où Gérald plaque des accords sur Spotify ou Apple Music, joli couronnement d’une belle épopée jazzistique.

La présidente du Conseil de la paroisse catholique-chrétienne, Marie-France Perregaux, a introduit les deux artistes en précisant que souvent, cette salle hébergeait des prestations de musiciens «amateurs, plus ou moins éclairés, or cette fois-ci, nous avons affaire à deux pros d’envergure».

Entracte historico-religieux
Quittons la musique quelques instants pour une parenthèse consacrée aux 150 ans de l’église catholique-chrétienne. «C’est le lieu de culte catholique chrétien le plus ancien en Suisse, construit à partir 1843, dès que le gouvernement neuchâtelois a reconnu à nos prêtres le droit de prêcher dans le canton», indique le curé.

Très aimable, le curé Nassouh Toutoungi m’a éclairé en quelques mots sur l’organisation de cette petite (mais costaude!) église qui a quitté au cours du XIXe siècle son grand frère catholique romain suite à de longs différends doctrinaux: «Nous ne reconnaissons ni l’autorité du Pape, ni son infaillibilité. Le mariage des prêtres est autorisé. De plus, les femmes peuvent devenir prêtres, diacres ou même évêque. Le remariage est admis. Nous sommes organisé en synode comme l’église anglicane.
En bref, on est un peu moins «coincé» que nos frères romains.». Résumé: si la liturgie ressemble à celle des catholiques romains, les organes décisionnels s’apparentent plutôt à ceux de l’église protestante.
L’unique paroisse cantonale est constituée de deux églises, St-Pierre, sise rue de la Chapelle 7 en ville, l’autre, Saint-Jean-Baptiste à Neuchâtel, rue Emer-de-Vattel, sur les hauts du chef-lieu. «Elle compte environ 650 membres», ajoute le curé, dont notre pianiste.
Nassouh Toutoungi, curé ténor
Comme Gérald a proposé d’animer en musique cet anniversaire, il a bien dû s’y coller en personne lors du concert mentionné, fort applaudi par un public conquis. Notons que le prêtre, lui, aime chanter, il est ténor. Ainsi, il a dû également animer un des apéros musicaux de ce 150e anniversaire.
Retour à la musique.
Sans swing ni yéyé, du théâtre
«J’ai vécu à une époque où le jazz évoluait. Loin du swing, avant de passer au binaire du rock ou du yéyé, j’ai commencé à développer une autre connaissance, celle du chant, en travaillant avec des amateurs au Théâtre St-Louis sous la direction de Jean Huguenin. Revues, spectacles divers, Gérald est partout: au piano, à la technique, il se rend petit à petit indispensable. «Ce qui était difficile c’était de suivre en accompagnant les chœurs qui souvent prennent de la vitesse ou ralentissent», se remémore le musicien.

De g.à dr.: Gérald Bringolf, Philippe Schönenberg (ꝉ), Eric Morier, Pierre Ducommun (ꝉ), Jean-Michel Kohler (ꝉ), leader et arrangeur du groupe et Michel Boder (ꝉ).
lors des 100 ans de la Théâtrale, au Temple-Allemand le 11 novembre 2004. Caché, le batteur Denis Vonlanthen
«Dans cette salle, se produisaient de nombreux artistes. Ainsi, j’ai accompagné Le Poinçonneur des Lilas, célèbre chanson de Gainsbourg. Le spectacle a tenu l’affiche un mois entier.»
Un p’tit tour au théâtre ABC
Par la suite, Bringolf succédera à Huguenin à la direction du théâtre ABC, version rue de la Serre. Il tiendra le fort une dizaine d’années jusqu’à l’arrivée de Cédric Pipoz ⴕ. Bringolf a notamment négocié la première subvention avec les autorités communales. Ila aussi instauré une collaboration fructueuse avec le TPR de Charles Joris.
Un souvenir marquant: le succès de la soirée de Nouvel-An de 1974-75 coordonnée par le TPR, la Guilde du film et l’ABC: organisée au Pavillon des Sports sur le thème du Cirque. Comédiens du TPR et pros du cirque Nock ont ravi les 600 convives. En plus, ce soir-là, il y a eu un éleveur de lions!
Premières armes solo dans la mode
Petit à petit, le jazz devenant moins prisé, Bringolf accompagne des … défilés de mode. À l’hôtel Moreau, il a ainsi fait dodeliner les modèles devant les bourgeoises de la Haute.
De même, à la foire-exposition MODHAC (la foire-expo au slogan bien jurassien J’y vais, j’y gagne disparue corps et bien sous les coups de boutoir de la vente en ligne), il a pianoté sur des présentations de broderies de St-Gall. Idem au grand magasin Le Printemps: «Je jouais des marches, j’inventais des thèmes, bref j’improvisais souvent».
Une famille de Schaffhouse
Car Bringolf compose aussi: il est l’auteur du Chant des Bringolf (inoubliable pour celleux qui étaient en septembre 2006 aux 700 ans de la famille originaire d’Hallau SH).
Il a aussi joué à la radio romande, dans les émissions de Raymond Colbert ou plus tard, chez Patrick Ferla. «J’ai gardé de très bons souvenirs de l’ambiance au studio d’enregistrement de La Sallaz. Bien entendu, j’ai eu (un peu) la trouille lorsque c’était du direct».

Mise en scène de Véronique
Il a aussi tâté de l’opérette, comme en témoignent ces lignes dans l’Impartial du 31 mai 2008, signées Denise de Ceuninck (elle a y tenu la critique musicale 50 ans durant): Et «Véronique», l’opérette d’André Messager? C’était une aventure régionale, jouée dix fois au tournant des années 1985-1986 au théâtre de la Ville. Les rêves de Pierre-Henri Ducommun, de l’OCC, de Marie-Lise de Montmollin, de la classe professionnelle de chant du Conservatoire, de la classe de ballet d’Hélène Meunier enfin se réalisaient. On comptait une soixantaine d’exécutants, Marthe Matile et Gérald Bringolf ordonnaient la mise en scène, Jean-Paul Perregaux créait les décors, Ginette Guinand cousait les costumes…Véronique a fait battre autant de cœurs que Carmen.
Morte et enterrée, l’opérette? Allons donc!
«Et pendant ce temps, il bossait à 100% comme instituteur!». rappelle son épouse Marie-Claire.
Détour aux vestiaires du FCC
Féru football depuis l’époque glorieuse de Willy Kernen et du FC la Chaux-de-Fonds champion suisse, le jeune Bringolf a foulé le gazon de la Charrière, aux juniors du FCC. Il finira par les entraîner principalement les équipes C et B inter. Il mentionne avec émotion l’introduction d’une nouveauté qui a marqué le foot junior helvétique: une formation spécifique et unifiée avec de matchs à 5 joueurs.
Et Gérald a bien entendu joué à plusieurs repas de soutien au FCC à la Maison du Peuple.
Même au cinéma muet
Omniprésent, le bonhomme a aussi interprété des partitions de films muets dans le cadre de la Guilde du Film, un ciné-club qui drainait les foules au Cinéma Corso, une formule gagnante imaginé par Jean Frey . Un cinéphile dont les anciens bacheliers et bachelières se souviennent il animait le Ciné-club du Gymnase et rédigeait les fiches qui permettaient d’en savoir plus sur le réalisateur et les acteurs.
En parallèle: du jazz toujours
Talonné par ses premières amours, Gérald continue à hanter les arrière-salles de bistrots «où il y avait un piano précise-t-il» pour diverses jam-sessions. Dans les années 70, il joue dans le Middle Jazz Quintet + One avec Charles Huguenin, basse, Jean-Michel Kohler, sax ténor, par Yvan Prince, trompette et bugle (qui a remplacé le trompettiste Eric Morier), Phil Schoenenberger, guitare et Denis Vonlanthen, batterie. Ces musiciens composaient la formation de 2008, elle a varié au cours du temps, comme souvent dans le jazz.
«J’ai aussi joué avec Vincent Kohler à la batterie, un collègue».
Leur stamm d’alors: la cave de l’ancien hôpital, dit Petit Collège, en dessous du terrain de basket de Numa-Droz.
Cela nous amène à la réalisation phare de notre caméléon pianiste: la Chorale Numa-Droz. Ce chœur existe encore.

Succès d’une chorale d’élèves
Fondée en 1982 par l’infatigable Bringolf, cet ensemble regroupait les élèves du collège homonyme. Un concert mémorable s’est déroulé à la Salle de Musique en 1983.
Accompagnée par trois de leurs profs (Michel Straumann à la batterie, Roger Monot à la contrebasse et le directeur-animateur-pianiste que vous commencez à connaître), la chorale chanta L’Orange de Gilbert Bécaud (pour un extrait sonore, cliquez en bas à gauche de la photo).
Vaste archive à sauvegarder
Retournons dans son salon où trône un joli piano. Partitions, CD, 33 tours, photos, Bringolf a gardé beaucoup de matière. Il raccroche sur son partenariat avec Olivier Anthony Theurillat: «Cela fait quatorze années que nous jouons ensemble, d’abord en quartet puis désormais en duo». Il m’offre le dernier CD du quartet Theurillat qui se termine sur I remember Maurice André. Prise de son au Lycéum Club par Jean-Daniel Stämpfli. Theurillat remercie dans la pochette ses mentors Roland Hug ⴕ et surtout Wynton Marsalis pour son indéfectible soutien.

Quant à moi, je me souviendrais longtemps de ce boute-en-train du piano, retentissant chrétien à crampons. ⚽




