Jazz, jazz et encore jazz signé Philippe Cattin

Les Murs du Son ont 26 ans. Qui se cache derrière cette paroi sonore? Écoutons le programmateur Philippe Cattin, Chauxois pur jus qui porte haut la tradition jazzistique locale.
Le cap a été franchi sans faire péter de vitres. Ni soulever un tsunami d’applaudissements, pourtant mérités, pour plus d’un quart-siècle d’activités sonores nombreuses et diversifiées. 1000 METRES.CH a demandé au moteur – entendez le programmateur Philippe Cattin – de ce club jazzistique combien de soirées il a supervisé de A jusqu’à Z: «Si on remonte au tout début, on arrive à un total dépassant les 300 concerts et bien un millier de musiciens». Même si Philippe Cattin n’a pas fait de statistiques précises, le bilan est étincelant.
Flashback à la fin du siècle dernier.

Quatre lascars aimant le jazz
Portée par un quartet d’amateurs de jazz, Bill Holden, Philippe Cattin, Christian Haag et Reto Juon l’association fut baptisée sans hésiter les Murs du Son. Ils apprécient le jazz sous toutes ses formes – sans New Orléans pour haut-parleurs d’ascenseur. Ils ont décidé de pérenniser les soirées jazz lancées par Reto Juon, le tenancier du Café de Paris.
Selon les 4 compères, cette animation musicale méritait mieux que le fond du café; les Murs du Son ont alors envahis la cave attenante.
Parti du Petit Paris
Né en 1999, l’association les Murs du Son entendait relancer une vieille tradition neuchâteloise: faire venir des formations connues dans les montagnes et au bord du lac, tout en faisant la promotion des musicien·nes locales.

Club dans une cave voutée
Un rapide coup d’œil sur le passé des Murs du Son montre qu’après la mythique cave voutée du Petit Paris – dans laquelle des concerts de jazz ont résonné jusqu’en 2023 – l’association est devenue itinérante, passant de la Grange DeLux du Locle à la salle de Ton sur Ton (rue du Progrès 48) avec des arrêts au théâtre à l’italienne (rebaptisé Heure bleue) investit deux fois par année depuis une vingtaine d’années.

De la sorte, le terreau biné par le mélomane Cattin a permis à de nombreux groupes, duo, trio etc. de venir charmer les oreilles des fidèles chauxois qui répondent à chaque fois présents.
Sans apriori de styles
«Bon, l’objectif est bien entendu d’élargir le public de faire venir des gens qui ne connaissent pas le jazz», souligne Cattin, «Car le jazz fait encore un peu peur, certains s’obstinent à penser que c’est musique de sauvages, dissonante». En effet, une méfiance entoure ces sons; ils seraient réservées à un club fermé de gens qui seuls comprennent cette musique.
«Alors je lutte contre les apriori stylistiques; le jazz, ça fait pas mal, on ne va pas chez le dentiste, soyez curieux!»

Car le jazz est divers, passionnant, très vivant et Philippe Cattin cherche par tous les moyens d’attirer un public plus large. En étant le plus éclectique possible, en programmant ce qui pourrait plaire aux gens alors qu’ils ne s’en doutent pas … «Pour les copains, je mets des coches sur le programme de la saison, en expliquant ce qui va les botter chez X ou Y».
Public à renouveler
Quel tranche d’âge fréquente les Murs du Son? «En majorité, ce sont des gens entre 50 et 70 ans. Je constate une évolution vers les trentenaires; certains viennent avec des ados, je suis confiant, c’est l’avenir».
Cette année, le programme faire la part belle aux femmes, une politique volontariste? «Pas du tout, c’est vraiment en fonction des possibilités, on n’applique pas de quotas aux Murs du Son, le hasard des offres disponibles et des calendriers dicte le choix».

Contact entre grands et petits
Des concerts permettent de mettre sur pied des master class auxquelles les élèves du cru participent. Ainsi, le 22 mars, le batteur Clive Deamer du groupe british Get the Blessing, un ancien de Portishead, rencontrera des jeunes talents le lendemain du concert à la Grange Delux. Une opportunité mise en place avec la complicité de Mallika Hermand du Conservatoire neuchâtelois.
Scène vivante émergente
Question formation, la Ville n’est pas en reste avec l’école de Ton sur Ton, des profs privés ainsi que la filière college Pre-Jazz au Conservatoire. «Cela s’est vivifié ces dernières années. Les écoles jazz suisses forment de nombreux musicien·nes,». Et Philippr Cattin de citer de grands groupes et instrumentistes qui cartonnent en Europe, telle Louise Knobil, jeune étoile montante qu’il a fait venir ici pour 1000jazz. Cette dernière est issue de l’HEMU à Lausanne, un creuset offrant un solide enseignement.

«On y apprend à gérer les à-côtés musicaux, maîtriser son image médiatique, le style de présentation sur scène».
Murs du Son 2.0
Depuis que ses comparses des débuts se sont tournés vers d’autres horizons en 2011, Cattin était seul à bord ou presque. Au bout d’un moment, la motivation a tendance à diminuer. Pour relancer la machine, Cattin s’est alors mis à déléguer. Puis a germé l’idée de nommer un comité, de formaliser en quelque sorte le fonctionnement de l’association.

Nous avons demandé à la présidente Marlyse Gehret comment se déroule pratiquement son boulot d’appui au programmateur.
Présidente-caissière
Assise à la caisse avant un concert, la présidente note en rigolant: «J’ai progressé; au début des Murs chez Reto je faisais l’extra au bar maintenant je suis la PDG. Puis elle détaille toute la noblesse de sa fonction: «Je fais le suivi des demandes financières, les remerciements, et quelques tâches de secrétariat. En fait le comité seconde Philippe qui a toutes les connaissances. Auparavant, il abattait seul un boulot incroyable, recherches de fonds, contacts, présence, accueil.»

L’art de dénicher des pépites
«Ce qui est époustouflant, c’est qu’il a un nez, un flair pour les talents à découvrir. Il a fait venir le trompettiste Ibrahim Maalouf bien avant son explosion sur les scènes mondiales».
Oui, Philippe Cattin déniche des pépites cachées, simplement il ne le clame pas sur les toits, c’est pas son genre.
«Les musiciens qui passent ici sont contents», poursuit Marlyse Gehret, «ils le font savoir à leur entourage. Comme dans le jazz, ils jouent en général dans plusieurs formations, les Murs du Son ont acquis une réputation. Ainsi, grâce à Philippe, le bouche-à-oreille fonctionne parfaitement.»

Bénévole à 100% depuis toujours, Cattin touche depuis peu un petit défraiement pour ses innombrables dépenses de recherches et il ne siège plus formellement au comité pour être déchargé des contrariétés administratives de base.
De l’Astoria à Roland Hug
La tradition jazz dans le canton remonte loin, disions-nous. Outre la mythique brasserie de l’Astoria (fermée en 1947, sise rue de la Serre 14, on y trouve maintenant le dentiste des écoles), il y a eu un engouement certain pour cette musique après 1945. En passant, citons pour mémoire une gloire locale des années 1950, le trompettiste Roland Hug, emblématique de l’engouement des mélomanes d’ici pour le jazz.

Dans la rubrique nostalgie, écoutez la présentation d’un concert de Satchmo au Théâtre en 1952, invité par la Hotclub chauxois. Puis le soufflé est retombé à l’arrivée du rock et des yéyé.
Revenons aux sons actuels.
L’homme à tout faire
Indispensable rouage des Murs du Son, Philippe Cattin est un passionné. Il est partout: aux contrats, à l’organisation technique, à l’accueil des artistes, à la sono, au courant de toutes les tournées de groupes qui passent en Suisse. Il en profite pour organiser un concert à La Chaux-de-Fonds. Un concert mémorable?
«Je ne regarde pas en arrière pour faire un bilan», dit-il songeur. «Aujourd’hui ce qui m’intéresse, c’est la saison d’après, travailler sa cohérence, son attrait».

Graphiste indépendant, ce soixantenaire ne pratique aucun instrument, il goûte les sons et s’en délecte. Rencontré au café du Coin, son stamm, il raconte qu’il a réussi faire venir «des pointures grâce à la qualité de notre accueil». On sait en effet, recevoir dans les montagnes neuchâteloises.
Créer l’ambiance: un savoir-faire
Ici, sans chichis inutiles, Cattin parvient à mettre à l’aise les musiciens, des stars reconnues aux débutants. «Il y a des fleurs de saisons sur les tables, on invite à manger dans de bons restaurants, pas de fast-food mal réchauffés ou de pizzas à moitié froides».

À la salle de Ton sur Ton, l’ambiance club invite au partage devant un drink au bar du fond de la salle. Idem à la Grange Delux. Au théâtre, le café de l’Union et le foyer du Théâtre sont tout aussi accueillants après les spectacles.
«Tout cela donne une touche différente, un caractère qui marque celles et ceux que nous avons invité un soir à venir ici sous les feux de la rampe».
Joli matos de sonorisation
Signalons un autre aspect attrayant pour les pros de la scène: petit à petit, avec des sous de la Loterie Romande notamment, un matériel technique de race et de classe a été acquis: table de mixage, 22 micros en tout genre et une batterie Gretsch complète sans oublier amplis et retours et depuis peu , même une contrebasse! «On peut ainsi se déplacer selon les formations invitées d’une salle à l’autre, même si l’endroit est peu ou pas équipée pour la musique électrifiée», explique le programmateur fier de son backline.

Les Murs du Sons sont ouverts aux collaborations diverses et joyeuses: soit un lieu accueille et les Murs organisent. C’est la formule choisie les 3/4 du temps. Variante, un co-production est mise en place par les deux entités, la salle et l’association jazzistique se partagent les frais de cachet, de technique, d’accueil et de promo. Exemple: le prochain concert du grand ensemble de Sarah Chaksad le vendredi 9 mai à l’Heure Bleue en collaboration avec le TPR.
À consulter sans modération
En cliquant ici, vous pourrez apprécier la bienfacture du site des Murs du Son. Il présente pour chaque concert ou presque, un court extrait vidéo de l’artiste ou du groupe assorti d’une bio bien torchée et d’un lien sur l’artiste ou ses œuvres. Bref, complet et instructif, grâce aux textes rédigés avec brio par Nicolas Heiniger, un complice journaliste qui travaille à l’ombre des Murs.
Autodidacte de l’organisation
Depuis quand Philippe Cattin écoute du jazz? «Je suis tombé dedans au bistrot, au Petit Paris; j’y suis resté scotché. Le jazz est convivial, cela me correspond».
D’où lui vient son énergie rarement démentie? «Je carbure au plaisir. Celui qu’un spectateur me tape dans le dos après un set, en déclarant on a passé une super soirée, de découvrir des musiques venues de loin. Comme nous faisons venir pas mal de groupes étrangers, il est important à mes yeux de leur laisser un aussi bon souvenir que celui qu’ils nous laissent en retour.»

Le nerf des sons
Les Murs du Son tournent sur une budget annuel d’environ 65’000 francs, assurée en partie par les villes des montagnes neuchâteloises, le canton l’incontournable Loterie Romande, le groupe Insulae ainsi que la Fondation Suisa. La moitié de la somme est investie en cachets pour les groupes invités et les 50% restant couvrent les frais de location d’instruments et de matériel technique, les salaires des techniciens son et lumière, les coûts d’hébergement et de transport.
«Ça suffit juste pour nous maintenir, heureusement qu’il y a de nombreux bénévoles que nous accueillons à bras ouverts, on est jamais assez pour bien faire», conclut Philippe Cattin.
Par ici les billets
Examinons encore les prix pratiqués. Outre une carte de soutien (sous forme d’abo annuel à 250.- CHF individuel ou 390.- CHF couple) récemment créée, le tarif dépend de l’endroit où le concert a lieu. Une formule intermédiaire revient à acquérir une carte 4 concerts à 80.- francs. Écrire à info@mursduson.ch.
Ça bouge donc dans le monde du jazz chauxois, tant mieux.
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Les Murs du Son
Place du Marché 6
2300 La Chaux-de-Fonds
079 431 29 83
Réservations en général sur mursduson.ch, sauf mention contraire.
Sur Facebook, les Murs distillent des infos fraîches peu avant les concerts.
Les photos ont été prises durant le soundcheck de Nicole Johänntgen, avant le concert Labyrinth II du 24 janvier 2025.
