Le Bauer crayonneur se nourrit de dessins

Mi-punk, mi-sportif, à demi italien, à moitié allemand, Suisse et Franc Comtois, le dessinateur de presse français Bauer est difficile à cerner. Trait limpide, rigoureux, lucide, sans pitié!
Comment me suis-je retrouvé attablé dans un bistrot face à ce vif-argent au regard perpétuellement curieux?
Un matin au Café du Marché, Céline, une des patronnes, m’interpelle:
«Tu connais Bauer?» Pas du tout.
«Ah, j’te file ses coordonnées, tu devrais l’appeler, il vient bientôt exposer ici. Va regarder, je suis sûre que tu as déjà vu de ses dessins».
Son expo sera vernie le 1er mai au Café du Marché à 18h30, ne la manquez pas. Il y aura des croquis de voyages, des vues d’ici, de près, du lointain.
Du café, je contacte l’oiseau. On convient d’un rendez-vous.
Projeté aux Six Pompes
À la table voisine, un ami journaliste du cru a entendu. Il me signale que la dame en face de lui, connaît bien Bauer, ils sont amis.
Les attaches de Bauer avec la ville viennent d’une rencontre à Besançon, lors du Colloque National des Arts de la Rue où l’artiste croque en direct les interventions de chacun. Rencontre avec Manu Moser, directeur de la Plage, qui l’invite à venir croquer l‘édition 2018.
Il dessine à une vitesse supersonique, c’est fabuleux.
Ainsi ses portraits de funambules et de bénévoles ont été projetés sur grand écran durant le festival chauxois.
Un lien était né entre le Bisontin et La Tchaux. Il n’a jamais été rompu.
Sans cesse, crayonner!
Bauer dessine comme il respire.
«Le dessin, ça me nourrit, je crayonne chaque jour, en voyage, dans les bistrots, à la plage ou à la montagne, dans les avions ou les tgv ». Sauf quand il est en parapente, là, c’est plus difficile. Sous l’aile porteuse, il engrange sûrement des idées, enregistre des paysages et se remplit la tête d’images.
Prolifique, d’un dynamisme hénaurme comme disait Flaubert – j’ai eu l’impression qu’il ne s’arrête jamais de courir le Bauer.
Rien d’un contemplatif – cet homme est issu d’une famille de «pique-bois». Entre aïeuls tonneliers, menuisiers et père ébéniste. Ne répondant pas aux sirènes de la varlope, Bauer a embrassé plusieurs carrières professionnelles avant de se lancer à corps perdu dans le dessin. J’imagine que le crayon est en bois.
De jeux vidéo en tatouages
Après ses études de dessin technique à Lyon, Bauer travaille en agences de communication comme créatif, puis roughman et en direction artistique.
En parallèle, féru de jeux vidéo dès l’enfance, il se met à importer des consoles du Japon. Las, la boîte de pub capote, il chôme quelques semaines. Puis se retrouve vendeur de jeux vidéo à la FNAC.
Ce qui devait durer trois mois se transforme en qautre années.
Arrêt sur image, on est en 1998, Bauer réfléchit: le milliardaire François Pinault vient de racheter la FNAC, Bauer arrête tout. Il ne veut pas faire la police de Pinault en virant des gens syndiqués ou en baissant des salaires.
Au moment où il se retrouve propulsé vers une formation de direction Fnac, Bauer se ressaisit donc, retrouvant le chemin de ses crayons.
Il devient alors tatoueur à Pigalle, puis dans le quartier Bastille.
Courant ascendant vers la presse
Après avoir créé des cartes postales, il illustre de petites brochures sur la sécurité en parapente, une de ses passions sportives. Touche à tout, il est aussi moniteur de ski, cycliste, randonneur et a longtemps pratiqué les arts martiaux – une bête, je vous dis – il se rend donc à des festivals où des ailes bariolées tournoient dans les ascendants.
À la coupe Icare, dans les Alpes Françaises, où l’on décolle du Pré qui tue (ça ne s’invente pas), Bauer tient un stand où il vend ses cartes postales et distribue les brochures de prévention qu’il a concoctées.
Hasard ou signe d’Éole, dieu du vent, il rencontre deux femmes qui l’invitent à venir, deux mois plus tard en été 1999, au Festival du Vent à Calvi en Corse.
Des monuments à Calvi
mettent …
Fauché, sentant pourtant qu’une partie de son avenir peut se jouer là-bas, un ami ayant quelques fonds lui avance les sous pour le vol et l’hébergement, il le remboursera largement par la suite, vous comprendrez pourquoi.
Sur l’île à la tête de Maure, Bauer est un peu paumé dans ce grand Festival. Déambulant, il croise les deux personnes rencontrées à la coupe Icare.
Présentations avec Tignous, ⴕ un des grands du dessin de presse, pilier de Charlie Hebdo. Tignous lui présente un autre monument du dessin de presse, Roger Blachon, ⴕ illustrateur du quotidien L’Équipe. Et membre des Humoristes Associés.
… Bauer sur orbite
Après quelques verres, le courant passe entre les trois dessineux et le reste de la rédaction du journal du festival (une dizaine de dessinateurs de Charlie Hebdo, Marianne, L’Huma), le Professeur Rollin et sa plume inimitable de sérieux.
À la fin de cet incroyable festival en Corse, le Festiventu, Bauer est vivement encouragé à se consacrer au dessin de presse.
Or le bougre se plaint: «Mais j’connais personne».
Tignous regarde Blachon et rigole: «T’es con! Et nous?»
Les deux anciens lui mettent puissamment le pied au pédalier. Voilà le Bauer trimant 20h/24. Il dessinera successivement et en parallèle – un as, je vous dit! – pour l’Humanité et Marianne, pour Zurban, journal culturel parisien, pour l’Actu (un journal pour ados), pour Siné Hebdo, quelques fois pour Charlie Hebdo, Amnesty International, la FIDH, pour des magazines de parapente, des journaux syndicaux…
Et depuis 21 ans pour Le Progrès de Lyon grand titre de la presse quotidienne régionale.
Un détour par Paris (13 ans tout de même), pour se faire un nom dans le dessin de presse parmi les gros titres français, suite logique de l’éclosion de son talent à Calvi .
Le fric et la gloire? BOF
«En tout, j’ai collaboré jusqu’avec 17 journaux simultanément. J’ai pas pris le melon pour autant. J’ai bien gagné ma vie, j’ai pu rembourser mon copain-sponsor», s’exclame Bauer rigolard.
Le credo du punk
Sa ligne politique? Impitoyable: gauche, gauche, très gauche, ne jamais dévier, être aux côtés des petits, des humbles, refuser de servir le grand capital. Comme il n’a pas la grosse tête, ni souhaité devenir plus célèbre que les plus célèbres dessinateurs de presse, il voyage beaucoup et travaille à distance. «J’aurais pu beaucoup épargner, j’ai opté de privilégier la vie plutôt que la gloire.»
«Je soutiens et pige pour beaucoup d’actions, d’associations, sans être encarté nulle part».
Attaché aux droits humains, il épaule ainsi la FIDH. Il a dessiné pour des EMS – tous les sujets à dessiner l’intéressent, des problèmes musculosquelettiques aux nano-technologies en passant par la sexualité des seniors
Il a œuvré également pour le Musée Victor Hugo, natif de Besançon.
«Je suis un dessinateur de presse figurant au musée de son vivant, quel exploit », souligne le Bisontin.
Un bon Européen
Avec Esther, sa compagne Majorquine, accompagnés de leur chien de berger ils voyagent souvent en camion aménagé en camping-car – «dedans, tout est en bois, minimaliste, cocooning, roots et pratique». Ils sillonnent l’Europe.

«Partout où il y a du réseau, je peux bosser», affirme-t-il.
Revenons à La Chaux-de-Fonds, où Bauer passe la Pâques.
Un boa invisible
Rendez-vous avait été pris au Café du Coin. «Je porterai un boa… et un jeans 501», a fait savoir l’artiste.
Je ne vois pas le boa en arrivant, mais le bonhomme est là.
- Ah, oui le boa; il est dans mon sac.
- Alors tu as des enfants?
- Oui, trois, enfin c’est pas ça qui intéresse les gens, non?
- Oh, juste une entrée en matière. Tu as fait l’armée?
- C’est quoi ce questionnaire?
- Histoire de faire connaissance, je pose toujours les mêmes questions en début d’interview. Ton âge?
- Bon, allons’y: j’ai 56 ans; j’ai fait l’armée dans la Marine pendant la Guerre du Golfe. D’abord, je pensais objecter, mais là, c’était chaud pendant le conflit. Je me suis donc installé à la Capitale et accompli un an pour la Patrie. Curieusement et heureusement, je me suis formé là-bas à l’informatique Xpress, Photoshop, Illustrator, en tant que graphiste aux bureaux du SIRPA (Service d’information et de relations publiques des armées) à Paris.
Galop technologique
À bâtons rompus, une complicité s’établit, on cause évolution des techniques dans la presse écrite. «Ah ouais, au début, un coursier venait chercher les planches en couleur. Après on a vécu le passage du fax au modem 56k; on attendait des plombes que la connexion s’établisse, bip-boip-bip. Je me suis aussi déplacé avec un gros scanner à plat sous le bras pas mal de temps», se remémore Bauer. Agitant son portable, il précise: «Voilà mon scan maintenant!»

«Aujourd’hui, je ne mets plus de couleurs à l’aquarelle, ils impriment les journaux tellement mal, on ne voit plus les différences de densité, je photoshope».
Au rythme quotidien de la presse
Travaillant parmi d’autres pour Le Progrès, entre les téléphones de la rédaction et les courriels, Bauer distingue l’actu froide, du matin vers 11h jusqu’en fin d’aprèm de l’actu chaude, de 18h environ au bouclage.
Il reçoit la liste des sujets annoncés aux deux briefings journaliers et se met à dessiner, en sachant qu’il s’agit d’un journal des familles, donc pas de cul ou trop de sang. «On s’adapte à la ligne éditoriale, c’est sûr».
Écarter les doublons
Couteau suisse du dessin, Bauer le Franc-Comtois observe les dessins d’autrui, se tient au courant, regarde les collègues «qui ne sont pas des concurrents», histoire d’éviter les redondances. «Tignous disait que si on était deux à créer le même dessin sur le même thème, ce n’était certainement pas un bon dessin», rappelle son ami.
On évoque alors la vielle école, les grands Cabu, Wolinski, Reiser, «un précurseur avec sa conscience écolo-politique».
«Ils m’ont marqué, chacun à sa manière», glisse Bauer, un brin sentimental.
Un rab d’activités
J’allais oublier les contributions de Bauer aux tournées du Cirque Plume «un cirque contemporain sans animaux», célèbre dans le monde entier, son rôle dans l’organisation du Festival TaParole à Montreuil, «qui entend réunir les enfants de Léo Ferré, les paroliers et parolières actuel∙les». L’aventure Taparole durera 20ans!
Ne cherchez pas le site Bauer: il a arrêté d’alimenter ce genre de support après avoir été piraté plusieurs fois (les dessins engagés ne font pas plaisir à tout le monde!) . On le trouve sur Insta pour le moment, Méta, et dans des bouquins itou.
Parcours en zig-zag
Pourquoi est-il revenu à Besançon, Bauer?
«Je souhaitais élever mes enfants en campagne; maintenant qu’ils ont grandi, on oriente notre vie vers des climats plus chaleureux, et de vivre en Andalousie».

Et puisqu’il n’existe pas une manière de dessiner mais des manières de dessiner ; une autre exposition “Chromosome X”, beaucoup plus intimiste, aborde le thème du sexe. Une centaine de planches couleur et une trentaine de textes sulfureux entre érotisme et pornographie.
L’expo a déjà voyagé de Paris à L’île du Levant, dans des lieux propices et adaptés à un public averti. Ce travail de quatre années cherche de nouveaux murs et un éditeur pour en faire un beau livre. Avis aux maisons d’éditions suisses!
Expo Très en Traits
Au Café du Marché, La Chaux-de-Fonds
du 1.5.2025 au 28 juin, vernissage jeudi Premier Mai 18h30
***
Puis Restaurant de la Chaux d’Abel
du 1.7. au 30.8, vernissage samedi 5 juillet 18h
