Confession d’une dessoucheuse

Il existe force engins bruyants aidant les paysagistes à tenir en respect la nature urbaine. Une rogneuse de souches bûchant à La Chaux-de-Fonds s’est confiée à 1000METRES.CH.

«J’ai cinq ans, toutes mes 8 dents, je suis née au Danemark et pèse 210 kg. On m’a baptisée FSI B22. Ce matin, je travaille dans un jardin en ville à 1032 mètres d’altitude, pour rogner trois souches d’érable. Ces arbres poussent très vite et ont tendance à faire bomber les murs.
Vous croyez que j’ai des états d’âme lorsque je m’attaque à une souche? Pas du tout. D’abord l’arbre est abattu presque mort, je me charge ensuite juste de l’empêcher de faire des rejets en bousillant ses grosses racines.
De plus, je sauve un mur et j’économise ainsi au propriétaire d’énormes frais de remise en état!

A propos d’argent, chère machine, pouvez-vous me dire combien vous coûtez à l’achat?

«Bah, difficile à dire, j’ai plein de sœurs, ça dépend de la puissance voulue, de la vitesse d’exécution, du mode de traction: certaines ont des chenilles, quatre roues, bibi que deux. Moi, FSI B22, je vaux grosso modo 8500.- francs, sans les accessoires. Si ça vous semble cher, vous trouvez plein de miens cousins d’occasion, sur internet. Y’a aussi des sites qui louent des machines semblables à ma pomme. Et même d’énormes dessoucheuses a passé 50’000.- francs montées sur de monstres tracteurs agricoles.»

Autonomie limitée

«J’ai un p’tit défaut: malgré mes deux roues motrices, je n’aime pas me déplacer toute seule, car je me traîne à une vitesse d’escargot. Je préfère donc être mise sur une remorque, comme ça j’roule carrosse comme une princesse.
Mon vice le plus laid, dû à ma fonction inventée par les dieux de l’ingénierie, m’apparente aux rats: j’adore ronger les souches, ça m’excite énormément! Plus le bois est dur, du chêne par exemple, plus ça prend du temps à rogner, plus je prends mon pied.»

L’aveu

«Bon, j’avoue être membre de la famille bruyante des moteurs à explosion. Étant un monocylindre de 14 cv, c’est encore plus assourdissant. Donc les gars qui me manœuvrent ont des “pamires“, autrement dit, ils portent des protections auditives. Ils sont également équipées de casques, visières et gants pour éviter les éclats de bois lancés à grande vitesse. Faut dire que ma roue dentée tourne à toute berzingue.»

«Je suis équipée d’un moteur Kohler made in USA. Comme ce fabricant est partenaire de Manchester United, je suis fière de faire partie de cette grande famille de moteur à essence qui soutient le foot.»

Remords

«Sinon, franchement, tout au fond de mon châssis, j’ai parfois mauvaise conscience: je passe beaucoup de temps au repos, au dépôt avec les autres machines de foresterie.
Bon, c’est sympa, on se charrie en racontant nos pannes les plus inattendues et nos soucis avec les bouts de calcaire jurassien pris dans certaines souches de gros sapins. Voilà, le fait est que je ne fous rien, souvent.»

Élaguer plus, rogner moins

Bien entendu, les propriétaires ou les gérances ne demandent rien aux arbres dont je grignote voracement la souche. J’imagine qu’ils pourraient élaguer plus souvent les arbres des jardins pour éviter de me faire déplacer. Lorsqu’on ébranche, les racines poussent moins vite paraît-il. Or, il me semble que niveau prévention, dans le domaine de la foresterie urbaine, n’est guère pratiquée. Ouais, disons que, égoïstement, ça me sort du hangar, j’vais pas me plaindre.»

Madame B22, merci pour votre franche confession. Vous devriez aller faire changer une dent qui m’a semblée, au repos, un brin ébréchée.

Timide

«Ah, merci, oui c’est normal, faut se refaire une beauté, même le carbure de tungstène, c’est pas éternel.»

Notez que tant l’entreprise forestière que les habitants de l’immeuble concerné n’ont pas souhaité être cités.

B22 conclut: «Mais faut les comprendre, moi aussi je suis timide, comme dit mon patron: moins on parle de moi, mieux j’me porte».