Du “clou” pour mes convictions

Témoignage en hommage aux années de prison infligées aux réfractaires à tuer. Le Château de Neuchâtel a «abrité» quatre mois un scribe de 1000METRES.CH. Réminiscences.
Quand je remonte dans mes souvenirs de l’époque de mes 20 ans, l’évocation de mon séjour en prison me revient. Que m’était-il arrivé?
Il se fait qu’en 1992, j’ai intégré l’armée sans enthousiasme, sachant qu’après l’école de recrues, j’allais m’engager dans une procédure de refus de servir. Suite aux quatre mois de service à la patrie, j’ai décidé d’envoyer un courrier à l’administration militaire fédérale pour justifier mes motivations et souligner mes convictions pacifiques.

La réponse a été une convocation auprès d’un juge, qui a abouti à la nomination d’un avocat commis d’office spécialiste de la question. Vint ensuite l’audience qui a eu lieu au tribunal d’Yverdon. Le procès s’est déroulé face à neuf juges officiers militaires à la prestance imposante.
Insulté au Tribunal militaire
Côté parties civiles, moi-même, un étudiant en droit et ma mère qui avaient tenu à assister au naufrage potentiel de l’accusé qui vraisemblablement n’avait aucune chance de clémence.
De plus j’avais dû essuyer une insulte grossière de la part du président du tribunal proférant que «seules les mauviettes se présentent avec leur maman». Finalement j’ai écopé de 6 mois d’incarcération en tant que réfractaire plutôt qu’objecteur. Quitte à risquer une peine plus lourde, j’assume encore aujourd’hui mon choix.

Tuer le temps derrière les barreaux
Grâce à un ami qui m’a proposé un job dans un atelier de mécanique, j’ai obtenu un semi-enfermement, ou semi-liberté. Cela consiste à sortir pour travailler 40 heures par semaine et tuer le reste du temps derrière les barreaux.
Un cow-boy comme directeur
Au premier jour de prison, je suis tombé sur une sorte de cow-boy faisant office de directeur de l’établissement. Spontanément il m’a octroyé une cellule avec vue. J’ai appris que le voisin d’à-côté purgeait une peine moitié moindre que la mienne pour deal de stupéfiants…

Des visites qui font du bien
À ma grande surprise un objecteur de conscience se trouvait là aussi, bien que les habitudes carcérales séparent normalement les détenus condamnés pour refus de servir. Ce gars faisait un peu jaser parce qu’on lui accordait une rentrée à la prison plus tardive, pour raison de cours du soir.
À sa sortie (courte peine, un mois), il m’a laissé des livres et des magazines. Une fois dehors il a continué à m’apporter de la lecture. Ses visites me faisaient du bien; il n’est pas facile de se lier avec la clientèle emprisonnée.
Une glauque routine
Les jours se succédaient de plus en plus difficilement, rentrer à la prison le soir me fichait le bourdon. Une routine glauque s’installait entre travail et privation de liberté. La lecture trompait l’ennui, par contre si je souhaitais m’évader en regardant la TV il fallait délier la bourse; le loyer et la nourriture se trouvaient être payants aussi.

Noël à l’ombre
Les visites étaient autorisées. Mon cousin, un aumônier, l’Armée du Salut et ma mère se sont succédés pendant les fêtes de Noël. J’étais celui qui a purgé la plus longue peine. Mes compagnons d’infortune subissaient des détentions pour vol de montres, escroquerie à l’assurance, trafic de drogue et ivresse au volant. Dans ma tête, j’affirmais des idées de paix et je me sentais dans une dynamique différente des détenus de mon étage. Cela a créé un décalage entre nous.
Jouer et discuter
Le quotidien se passait entre promenades, jeux de cartes et discussions avec les gardiens. Enfin le dernier jour arriva plus tôt que prévu, vu une remise de peine d’un tiers pour bonne conduite.
Poulet de Nouvel An insipide
Le matin du 31 décembre, il me tardait de sortir mais la hiérarchie m’a proposé de profiter encore du repas de fête de midi. J’ai ressenti un ultime abus de pouvoir en mangeant un poulet-frites standard et insipide sans aucun relief.
Le soir pour fêter ma libération et la St-Sylvestre, je me suis rendu à la Pyramide située à l’entrée du Locle. Cette boîte de nuit tendance du moment a été remplacée depuis par un discounter allemand. J’ai retrouvé par hasard là-bas un copain que j’avais perdu de vue. Il venait de terminé l’académie de police de Colombier et moi j’avais recouvré mon statut d’homme libre.
On a rigolé et passé une superbe soirée.