ENTROPIE: la ville-matière

Vu en avant-première à 2300 Plan 9, le premier moyen-métrage de Vaclav Smerak offre un regard neuf sur la cité horlogère. Son réalisateur nous dévoile la genèse d’un film atypique.
Né le 25 mai 1989 à Prague, Vaclav Smerak a grandi à Berne et étudié au gymnase de Bienne. Après avoir considéré un temps des études universitaires à Fribourg, il s’est rendu à Lausanne où il a vécu et travaillé pendant dix ans en tant qu’ingénieur du son. Arrivé à La Chaux-de-Fonds en 2020, il est tombé amoureux de l’esprit tout particulier de ses habitants.
Outre son travail dans le domaine du spectacle, il a co-fondé la Brasserie de la Meute.
C’est autour d’une rafraîchissante pinte que nous l’avons rencontré pour parler de son premier long-métrage, Entropie, dont il signe aussi la musique.
D’où t’est venue cette passion pour le cinéma?
J’aime le cinéma depuis l’enfance. Tout môme, je faisais mes premiers court-métrages au caméscope. J’ai aussi été attiré très tôt par la musique. Je fais des compositions électroniques depuis bientôt vingt ans. Lorsque j’habitais encore à Fribourg, je faisais partie d’un collectif de DJ. Je m’étais même produit à Fri-Son. Beaucoup de mes relations sont des créatifs.
Je suis ami avec des membres des hyperartistes, pour qui j’ai travaillé en tant que preneur de son. Ma copine travaille comme costumière pour le cinéma.
«Au final, seules les images de la ville sont restées»
Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire un film?
Le déclic s’est fait après mon visionnage de Les Glaneurs et la Glaneuse d’Agnès Varda. J’ai aimé la liberté formelle du film, son utilisation d’une caméra en basse qualité, le sentiment que la réalisatrice s’était beaucoup amusée sans perdre de vue le sérieux de son sujet. Ça m’avait beaucoup plu.
J’avais prévu d’inclure des interviews de citoyens, à la manière de l’émission Strip Tease, mais ça s’est vite révélé être compliqué. C’était difficile d’obtenir quelque chose de spontané. Au final, seules les images de la ville elle-même sont restées.
On peut y voir une influence de Koyaaniskatsi aussi, non?
Tout-à-fait, j’adore ce film! Je l’avais vu sur grand écran au festival Antigel de Genève, il y a dix ans.
«C’est venu de manière assez intuitive»
Combien de temps a duré la production?
Environ un an. Sur les 600 plans tournés, je n’en ai gardé que 150 au montage final. J’avais déjà établi un chapitrage et l’ordre des pistes son. Le reste est venu de manière assez intuitive, sans trop rationaliser.
Qu’est-ce qui a motivé le choix du noir et blanc?
J’ai un faible pour les films tournés en noir et blanc. D’un point de vue pratique, c’était plus facile pour gérer la colorimétrie, et ça permettait aussi d’effacer les différences entre les saisons, pour gagner en uniformité.
«Je vois mon film comme une lettre d’amour à la ville»
Pourquoi La Chaux-de-Fonds comme sujet?
Même si je vois aussi le film comme une lettre d’amour à la ville, la raison principale est pragmatique. Faire un film coûte cher. En choisissant la ville comme sujet principal, je n’avais qu’à prendre ma caméra et parcourir la ville, à pied, en bus ou en voiture. Il y a tout de même un propos sous-jacent. J’essaie à travers le film de parler d’écologie notamment.
C’est ce qui a motivé le choix du titre.
La ville est-elle un bon élève dans ce domaine?
Je ne sais pas, je ne cherche pas à donner un avis aussi tranché. Sur ce sujet, ça reste un effort collectif et global. Après, les spectateurs sont libres d’interpréter le film à leur manière.
En visionnant le film, on sent le spectre de la tempête du 23 juillet 2023. La catastrophe a-t-elle influencé ton processus créatif?
Je tournais depuis trois mois environ avant la tempête. Je me suis rendu compte que si je gardais les interviews comme c’était prévu au début, les gens ne parleraient que de ça. Cela a contribué à ce que je ne me concentre que sur les images de la ville. On peut voir un avant et un après la tornade dans le film, et ça rejoint mon propos sur l’écologie.
Une catastrophe naturelle pareille, dans cette région du monde, risque de devenir de plus en plus fréquente à cause du bouleversement climatique.
Arrive un moment où tu altères numériquement l’image. Comment se sont imposés ces effets?
Ce sont des effets très simples d’inversement et de multiplication de l’image. Même si je préfère rester au plus près de la réalité, et de laisser les images parler d’elle-même, j’aime aussi les séquences plus «psychédéliques».
Entropie a été projeté le premier soir du festival Plan 9. Comment as-tu vécu cette première projection publique?
J’ai été très satisfait, surtout que ce n’est pas le genre de film qu’on voit d’habitude dans ce festival. J’avais un peu d’appréhension mais le public s’est montré réceptif et j’ai reçu beaucoup de retours positifs au cours de la soirée.
Quel avenir souhaiterais-tu donner à ton film?
Mon problème est que j’adore créer, mais que j’ai de la peine à promouvoir mon travail. Je ne suis pas actif sur les réseaux sociaux. Je ne peux rien confirmer mais j’ai commencé des démarches pour une nouvelle projection en ville.
Quant à la distribution, la question reste en suspens. A moins qu’un distributeur tombe amoureux du film et décide de le passer dans des festivals, je ne me fais pas trop d’illusions (rires).
As-tu envie de continuer la réalisation?
J’ai récemment réalisé un spot publicitaire pour La Meute, disponible sur leur site. J’ai acheté une nouvelle caméra, celle utilisée sur Entropie m’ayant causé quelques soucis techniques. J’ai aussi envie de tourner en couleur cette fois. J’aimerais continuer dans une veine documentaire. Je ne suis pas attiré par l’écriture d’un scénario classique. Je préfère filmer ce qui m’entoure et «écrire» au montage. Je serais aussi intéressé à faire plus de collaborations entre amis, tourner ou composer des musiques pour leurs projets.
Un dernier mot pour nos internautes?
Je pense déjà en avoir trop dit (rires)! Au public de se faire une opinion.
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Toutes les photos noir-blanc sont des extraits du film.