La cycliste-batteuse et battante qui pète le feu

Ouvrir grand les oreilles, respirer à fond et prendre une baffe sonore. Percussionniste, Béatrice Graf passe à Beau-Site avec sa complice Florence Chitacumbi. Impro sous BANG.
Vous avez déjà entendu ces deux musiciennes, ensemble ou séparément? Vous en gardez sans doute un souvenir ébloui. Elle savent faire vibrer ce qui relie, le chant et le rythme.
Complices occasionnelles au bout du Léman, elles jouent chacune dans diverses formations.
Revue de la tyrannie
Les 15 et 16 mai à Beau-Site, elles interprètent des autrices afro-descendantes sur une dramaturgie de Safi Martin Yé. Il sera question des divers modes de domination, de l’homme sur la femme, du capitaliste sur le colonisé.
Florence Chitacumbi, Chauxoise émigrée, et Béatrice Graf, des alentours de Nyon, présentent Résonances dans le cadre de BANG. Il s’agit de la deuxième mouture de ce cycle printanier, dix jours à La Chaux-de-Fonds de spectacles engagés pour faire exploser les carcans. Et oublier les trumperies.

BANG, l’onomatopée correspond tip-top à Béatrice Graf, fille de paysanne – elle a tenu la ferme avec sa mère jusqu’à l’âge de 22 ans, une époque pas simple – passée aux baguettes et tambours.
Perpétuelle voyageuse
Rencontrée par hasard dans un train, je la crois d’abord voyageuse d’affaire: elle sort un texte de son sac, triture son téléphone, note quelques mots sur un bloc, me regarde l’observer, retourne à ses oignons. Son business m’a l’air particulier. Ses bagages aussi.
J’ai déjà vu cette tête, il y a longtemps. À Genève? Bingo, elle confirme. Béatrice Graf c’est La batteuse du bout du Léman, une fidèle de l’AMR, lauréate du Prix suisse de la musique en 2019 et conceptrice du One Women Band.
À propos de ce prix, elle a expliqué au journal La Côte «J’ai reçu un coup de téléphone d’un 058, je me suis dit: «zut, encore de la pub.» Eh bien, non!».
C’était l’Office fédéral de la culture (OFC) qui l’invitait à la remise des prix suisses de musique. Elle a de la chance Béatrice Graf, mais elle l’a provoquée.

Combats contre les puissants
Béatrice Graf a la langue bien pendue: dès que nous avons entamé la conversation entre Olten et Bienne, elle m’a raconté de nombreuses histoire dont voici la meilleure: le référendum remporté contre la Cité de la musique, «bébé» d’un avocat proche des milieux immobiliers. En effet, la dame fait de la politique aussi, entre deux roulements de caisse claire.
Elle a ainsi réussi, en lançant un référendum à sauver en pleine ville de Genève, une parcelle prévue pour héberger cette Cité de la Musique mégalomaniaque soutenue par x, une fondation qui ne dit pas son nom. En plein Covid, elle a rameuté tout ce que la cité de Calvin compte comme défenseuses et défenseurs de la nature. Et paf, gagné la votation d’un poil.
En outre, elle est aussi représentante des artistes depuis 2018 au sein du Conseil Consultatif de la Culture à Genève.

Elle a en outre trouvé le temps de faire deux gosses, désormais adultes.
Tempérament de déménageuse
Michel Maserey notait Le Temps que «Béatrice Graf joue librement partout où elle se trouve et se déplace avec son instrument aussi naturellement qu’une guitariste avec sa six-cordes.» C’est juste un peu plus lourd et encombrant. C’est qu’elle a de l’endurance la Graf!
En ayant eu marre de répéter dans des caves, elle s’est inventé une batterie-valise d’extérieur histoire de s’exercer en nature.
En tirant ses cymbales
Ou vadrouiller/partir en tournées. Car la batteuse a la bougeotte, son programme entre avril et juin 2025 le prouve: le 02.04. Luxembourg, le 03.04. Jena, le 12.04. Berne, 03.05. Sion, 15.05/16.05. La Chaux-de-Fonds, 17.05. Zug, 01.06. Mannheim et le 07.06. Vevey.

Le tout en transbahutant son matériel. Bon, pas vraiment une batterie complète. Parfois un ami musicien lui prête une grosse caisse sur place ou tous ses instruments. Béatrice Graf fait avec. Entre deux gigs, elle enregistre, n’hésitant pas à envoyer en l’air ses impulsions rythmées.
Tonitruance atypique
«Tout le monde devrait entendre jouer Béatrice Graf au moins 3 fois dans sa vie», notait un fan alémanique, Tabea Andres dans le Berner Kultur Agenda.
Il n’exagère guère: elle frappe tant et si bien objets, meubles, peaux, en fait tout ce qui résonne qu’un seul concert ne suffit guère à faire le tour de son univers percussif. Un extrait de sa chaîne @BeatriceGrafdrums vous persuadera ainsi qu’un tabouret peut remplacer avantageusement une guimbarde. Donnez-lui une vis, elle la fera sonner.
Le style Graf? Truculent
Armée de ses fûts et de ses cymbales (je vous passe le reste de son attirail résonant), elle produit des sons qui ressemblent à du jazz, pourtant pas vraiment. Du punk bio? Pas seulement. Un rock qui tache? Parfois aussi.
En fait, elle bat la (dé)mesure sans trêve, comme elle respire.
Elle aime sortir des sentiers battus, de la musique sage. Avec son âme de leader, elle sait toutefois se faire plus discrète suivant les projets auxquels elle participe. Car bien qu’elle joue souvent en solo, elle affectionne les jam-sessions, les improvisations en duo ou trio ou, ou, ou. Ainsi, les formations où elle joue évoluent sans cesse.
Agitprop moderne en Tunisie
Début février, on a pu la voir à l’ABC en duo avec une autre complice de longue date, Martina Berther. Le groupe baptisé Ester Poly, tourne partout en Europe depuis une douzaine d’années.
Martina aux bidules électroniques, voix et basse électrique, Béatrice à la voix et à la batterie/ percussions. Elles explorent les sonorités, font des concerts-performances, dans les lieux les plus improbables.
Aventurières, elles ont même poussé jusqu’en Afrique du Nord, animant un stage dans un centre alternatif de Tunis. Une aventure rocambolesque contée par la TV romanche.
Active et vaillante pédaleuse
Petite reine du mouvement, Béatrice Graf milite en faveur de voies cyclables partout, plus larges et mieux équipées. Témoin sa participation sonore et vélocipédique au Cycloton, sorte d’anti-Tour de Romandie 2024, festival itinérant et écolo ponctué des soirées musicales où les amplis sont alimentés à la force des mollets.
Énervée par les grosses cylindrées 4×4, elle a produit un clip au rythme haletant La complainte du cycliste. Pour se donner du courage en traversant le pont du Mont-Blanc.

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