Roni, un requérant d’asile

L’inscription mystère
Roni, prénom d’emprunt, a grandi dans un village kurde entouré par les montagnes. L’une des particularités de ce village était une phrase mystérieuse, gravée à flanc de montagne et visible au loin. Cette phrase a toujours éveillé sa curiosité. Alors qu’il était encore enfant, il demanda un jour à son grand-père ce que cette inscription signifiait. Mais son grand-père, pensif, lui répondit qu’il ne le savait pas.
L’intrigue restait vivante dans l’esprit de Roni, et il continua de chercher des réponses. Quelques temps plus tard, il interrogea sa tante à ce sujet, mais elle éluda la question : “Demande à ton oncle.” Enfin, son oncle lui répondit : “Tu sauras ce que cela veut dire lorsque tu apprendras à lire.”
Ne voulant pas attendre d’apprendre à lire, son impatience le poussa à demander à un enfant plus âgé du village : “Cette phrase dans la montagne, qu’est-ce que ça veut dire ?” L’autre enfant, surpris par la question, commença à déchiffrer : “Ça veut dire : ‘Il est heureux, celui qui dit : Je suis Turc.'”
Les deux enfants, perplexes devant cette phrase, se demandèrent avec curiosité : “Mais tu n’es pas Turc, et moi non plus, non ?”

Un village engagé
Dans ce village, où tout le monde est kurde, Roni a grandi dans une famille fortement intégrée. Son grand-père connaissaient tous les dialectes kurdes. Tout en s’opposant au radicalisme islamique, ils étaient de fervents défenseurs de l’autodétermination kurde, attachés à la culture et à l’unité de leur peuple.
Dès son enfance, Roni a été témoin des tensions entre son identité kurde et les injonctions turques omniprésentes dans sa vie quotidienne. À l’école, il était obligé de parler turc, une langue interdite et incomprise à la maison.
Son village a participé à des mouvements de résistance, et les répercussions de cette lutte se faisaient sentir au quotidien. Les villageois devaient se présenter chaque jour au poste de police, sous une surveillance constante, notamment par drones. La peur de l’arrestation ou de la séquestration, sans espoir de retour, planait toujours.

Les trois explosions
Le parcours de Roni a été marqué par trois explosions qui ont bouleversé sa vie. La première bombe a explosé dans son village, où il a aidé les blessés. La deuxième bombe a explosé à quelques mètres de lui à Istanbul, où il étudiait d’abord la gestion hospitalière avant que ses études ne soient interrompues par une attaque armée à son encontre. Il s’est ensuite tourné vers la philosophie. La troisième bombe, est l’étincelle qui le poussa à fuir. Pendant une visite dans son village durant la pause universitaire, en regardant dans les yeux de son petit cousin, il a reconnu les traits de son grand-père, et c’est à ce moment-là qu’il a décidé de partir. Il savait que fuir était sa seule option.

Vers un nouveau départ en suspens
Aujourd’hui, Roni découvre La Chaux-de-Fonds avec émerveillement. Il apprécie cette ville, qui fonctionne comme un village, et n’en revient pas de la gentillesse des habitants du canton de Neuchâtel. Il l’a répété plusieurs fois. Lors d’un contrôle de papier, un policier lui a même dit “merci”, ce qui l’a profondément surpris. Un jour, dans un restaurant, un Kurde l’a reconnu et lui a fait remarquer que c’était sa première fois ici.
Son esprit, autrefois accablé par des conflits identitaires constants et les dangers qui l’entouraient, commence enfin à se détendre. Dans cet espace mental libéré, il reprend son travail sur sa thèse, qui porte sur l’influence de l’ordinateur sur nos schémas de pensée.
Malgré la rétrogradation de son permis F en permis N, Roni, en attendant sa prochaine audition, profite de ce moment de répit. On lui croise les doigts.
