Vanessa Caffin: parfois la mémoire s’oublie

Passant à La Chaux-de-Fonds, la romancière-éditrice Vanessa Caffin a dédicacé son dernier livre et animé une session d’écriture à l’Atelier 56. Tête à tête sur son métier de rencontres.
1000METRES.CH: Vous êtes pour la première fois dans la métropole horlogère, comment cela se déroule?
Vanessa Caffin: Oh, pour l’instant, pas grand-chose, je suis là pour deux jours, je viens tout juste d’arriver 😊. Je pense visiter le Musée d’horlogerie. Pourtant la Suisse ne m’est pas étrangère, j’adore le pays, je passe souvent à Genève où j’ai des ami∙es.
«J’ignorais que je savais écrire»
Quel a été votre parcours scolaire?
J’ai fait mes classes à Paris. Issue d’une famille de scientifiques, je m’intéressais aux sciences. J’étais ainsi une matheuse à l’école. Je résolvais des intégrales les yeux fermés. J’ignorais que je savais écrire.
Vous allez animer un atelier d’écriture. Écrire, ça s’apprend à l’école pourtant. Qu’apportez-vous de plus?
L’atelier est centré sur le travail des émotions. Il est utile de savoir les mécanismes de ce sentiment, savoir comment la transmettre, à quel rythme, avec quel langage.
On travaille spécifiquement le style, la ponctuation, la dramaturgie, les choix de narration. Pour se donner les moyens de trouver le cœur chez les lectrices et lecteurs. Et cela ne s’apprend pas à l’école !
À propos de votre roman Rossmore Avenue (qui se déroule au pays du Great Again, à Los Angeles plus précisément) un critique notait que votre force est «d’écrire juste». Comment réagissez-vous à cette remarque?
C’est essentiel à mes yeux. Écrire juste, c’est refléter la sincérité des personnages. Écrire juste, c’est croquer une société, une famille, un microcosme et que cela ramène à nous une vérité qui nous correspond.
Provoquant des émotions puissantes, un livre se doit d’être juste. Sinon c’est un roman raté, où l’on n’adhère pas pleinement à la sincérité du récit et des situations.

Vous avez une carrière au service du dribble; vous avez chroniqué des matchs et joué la communicante en chef à la Ligue de Football Professionnel. Comment passer de la comm du ballon rond, jeu en trois dimensions au monde noir-blanc du roman en deux dimensions?
J’ai été journaliste sportive de presse écrite parce que je suis étourdie. J’avais peur de me tromper en relatant des affaires sociétales complexes. Alors qu’en sport, je me suis dit qu’il y avait peu d’enjeu majeur; en cas d’erreur, il n’y a pas mort d’homme.
Je rêvais d’être écrivaine, mais je n’osais pas me lancer. Pourtant, à 30 ans, j’ai choisi de sortir de mon confort du football, j’ai commencé à écrire un roman, «J’aime pas l’amour ou trop peut-être».
Je me suis promis de changer de vie à condition de trouver un éditeur pour ce texte. Et je l’ai trouvé! En la personne d’Anne Carrière qui m’a soutenue et publiée. Je me suis donc lancée.
Mais à l’époque, je ne savais pas que c’était si dur de construire une carrière de romancière.
«C’est un métier de rencontre»
Vous voyagez beaucoup, plutôt pour vous ou en tournée de promotion surtout?
J’écris mieux quand je suis ailleurs. Les histoires ont le droit d’exister en dehors de l’endroit où j’habite. Cela me permet de lier connaissance avec des gens.
Car c’est un métier de rencontres. C’est magique de partager les histoires qu’on invente.
Votre dernier roman a un titre long comme un jour sans pain: Les heures de la nuit ne rattrapent jamais celles du jour. Je ne l’ai pas encore lu, ça sonne assez vécu, s’agit-il d’un récit de trou noir?
En fait, c’est une phrase tirée du livre. Il s’appelait autrement (Maman). L’éditrice a trouvé mieux. Tant mieux, ce titre cache la vérité du roman. En effet, un titre, ça prend, c’est là pour nous animer à acquérir un bouquin.
Pourquoi avez-vous créé une maison d’édition Livres agités, dédiée aux primo-romancières, indépendante, solidaire et engagée?
C’est une maison humaniste avant tout, pour faire entendre de nouvelles voix de femmes, parce que dans l’édition, les hommes représentent encore près des deux-tiers des sorties chaque année.
Marier l’audace et le contenu
Nous cherchons à mettre en valeur des romancières audacieuses, très libres, tant dans le propos que dans la forme. Livres agités entend ainsi participer à dénicher de nouveaux talents.
Aujourd’hui, nous avons besoin de nouveaux récits, d’autres formes de narration, ça nous rend plus sensibles et plus riches.
Vous lisez beaucoup j’imagine?
Oui, je suis une grande lectrice. Dans l’édition, on reçoit de plus en plus de manuscrits. Près de 500 par an chez nous. J’en lis sans cesse!
La mémoire et ses failles un tracassin, un fardeau permanent pour LA Caffin? Alors que vous n’avez pas encore 50 ans, vous avez peur de la perdre en vieillissant?
Je n’aucune mémoire! Je prends des notes en permanence dans un carnet Moleskine.
Mes grands-parents ont eu des pertes de mémoire, s’inventant de nouvelles vies. Cela m’a troublée, et puis, c’est un élément de suspense merveilleux dans un polar. On joue avec le temps.
Perdre la mémoire, c’est s’oublier, c’est disparaître. On est fait de souvenirs.
Merci honorable romancière, je n’oublierai pas cet entretien!

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Comment Vanessa Caffin a-t-elle atterri à La Tchaux, dans l’impressionnant Atelier 56 d’Emmanuelle Pipoz-Brossard? Situé rue Numa-Droz 56, c’est une ancienne fabrique d’horlogerie, perchée au soleil en haut de l’immeuble.
Improbable approche
à Nouvel An
«On s’est rencontrée par hasard, à Nouvel An, chez Castel à Paris, dans le 6e arrondissement», entame Emmanuelle.
Vanessa enchaîne: «Entourées de nanas coiffées d’abat-jours, nous n’avions ni Emmanuelle, ni moi jamais mis les pieds dans ce club. Il suffisait d’être accompagnée de deux membres pour y entrer ce soir-là.»
«Depuis cette nuit délirante, on est restée copines!», conclut l’hôtesse chauxoise.
