Le FabLab vu par un des fondateurs

Une association a créé Serre 68 un lieu où passionné·es échangent, se forment et fabriquent. Rencontre avec Richard Saunier, bénévole du FabLab de La Chaux-de-Fonds.

À l’extrémité ouest de la Maison du Peuple, une nouvelle enseigne attire le regard. Contraction de Laboratoire de fabrication, FabLab est un concept étasunien présent dans le monde entier. Né au Massachusetts Institute of Technology (MIT), il s’agissait au départ de favoriser le prototypage par un grand nombre de gens. En mettant à disposition des outils numériques performants pour les utilisateurs. Numérique mais pas que, on le verra.

On compte en Suisse romande quasi un FabLab par ville. L’idée est de partager et échanger ses connaissances ou ses savoir-faire sur un logiciel, une machine laser par exemple, de s’initier à une technique peu connue ou de mieux la maîtriser. Bricoleuses et formatrices s’y croisent, sous l’œil aguerri des bénévoles de l’assos, qui vient de fêter ses quatre ans d’existence. Étudiant·es, professionnel·les, expert·es, chacun peut y trouver de quoi titiller sa créativité.

Imprimante 3D hyper-précise (20 microns)

Démocratiser la technique

1000METRES.CH a rencontré Richard Saunier, une des chevilles ouvrières du FabLab. Il est aussi membre du comité.
Quelle a été l’évolution du FabLab depuis sa fondation, les attentes se sont-elles matérialisées? Passant d’emblée au tutoiement, Richard indique qu’il n’y avait pas d’attente hyper-précises: «On voulait voir ce que cela donnait de mettre à disposition de tout public des moyens de fabrication et des outils et de voir ce qu’il en ressortait».

Découpe laser précise

 

Terreau fertile

Un public mixte utilise cet endroit particulier, entre high tech et convivialité. Un panel très large, de 7 à 77 ans, des particuliers voire des entrepreneurs indépendants. «Une partie de ce public est fidèle, d’autres ne sont là que pour un projet. Bon, pour nous c’est OK, c’est pas la passion de tout le monde. Et c’est aussi le côté chouette de la chose, y’a toujours des nouvelles têtes qui viennent, avec des nouveaux projets, des choses inattendues», précise Richard.

L’ambition est d’être le plus ouvert possible afin que un maximum de personnes puissent venir bénéficier des savoir et des outils présents.

Étant que les membres du noyau dur du FabLab sont tout·es bénévoles, les horaires d’ouvertures sont pour l’instant irréguliers . Richard explique que la plupart d’entre eux, ont un job, une activité à côté. Ainsi avec les gens qui ont un boulot, disons «standard», c’est en fin de journée qu’iels sont disponibles. «On a l’impression que si on était en mesure d’ouvrir plus de plages horaires en assurant la régularité– que nous n’arrivons pas forcément à garantir – là, cela pourrait encore mieux fonctionner. Si par exemple, il y a des gens souhaitant venir tous les mardi soir, si on ouvre qu’une fois sur deux ou trois, cela casse leur rythme».
Pour l’instant le FabLab est ouvert en moyenne entre 10 et 12 heures par semaine.

Machine laser très sollicitée

Expérience faite, usagères et usagers s’intéressent surtout à la machine laser, les impressions 3D étant moins sollicitées. Richard analyse: «Les laser, c’est le truc qui stimule les gens. C’est pour ça qu’on en a deux, on a vu rapidement qu’il y avait une frustration à ne pas trouver la machine libre, c’était toujours complétement réservé. On a commencé avec le grand modèle, puis on a installé la seconde en parallèle. Nous avions un reliquat de financement de la Loterie Romande pour les machines, on pouvait s’en payer une de plus. Parmi les machines numériques, c’est la plus accessible et fun à utiliser».

Découpeuse laser au repos

Évidemment, une machine 2D demande moins de compétences à la base. Il suffit de disposer d’un fichier Illustrator en 2D, on y arrive même en dessinant un tracé à la main sur une tablette.
Le routinier Saunier estime une imprimante 3D est en principe assez facile à prendre en main, le credo FabLab étant l’autonomie face à la bécane: «Soit tu fais toi-même un fichier 3D, soit tu en récupères un. Avec cette solution, pas beaucoup de marge de manœuvre, parce tu reproduis un truc téléchargé». Ensuite, le fait que l’on n’obtient pas un résultat aussi rapidement freine certaines velléités.
En effet, une impression 3D est généralement lancée en fin de journée et on voit le résultat le lendemain. Clairement c’est un brin fastidieux.

Imprimante 3D en mode Egypte

Séchoir solaire

Le FabLab recèle des trésors d’imagination mis en action. Meilleur exemple récent, un séchoir solaire, conçu par Mélanie. Elle a fabriqué le premier exemplaire en récupérant le plus possible de matos à La Circulaire. Tout ce qui est en bois (enfin 95%, signale Richard, toujours précis), vient de là, la partie de tôle métallique aussi.

Séchoir solaire en bois recyclé

Cet appareil est conçu pour sécher des fruits et des légumes. Une fois le projet concrétisé, le bouche à oreille a carburé. Maintenant Mélanie doit en fabriquer un pour Ismaël qui vend au marché pour la Ferme des Chardonnerets de Thielle.

En termes de collaboration, c’est un chouette début. La démarche consiste à sensibiliser à l’utilisation des matières premières. Avoir un objet fini fonctionnel et un peu technique, fabriqué avec des matériaux de récupération d’un autre acteur local de la durabilité, c’est cohérent.

Produits locaux secs

Richard est fier de cette réalisation: «Voilà une vitrine, pas seulement pour le FabLab, mais également pour le fait de fabriquer des objets utiles par soi-même en tout indépendance».

Combien de membres l’association compte-t-elle? Il y a actuellement une cinquantaine de membres. Huit personnes siègent au comité.

Priorité au bois

L’idée d’acquérir de nouvelles machines n’est pas directement à l’ordre du jour. Une question de place en fait. Le site du Fablab indique que la surface utile atteint presque 200m2. Cela peut sembler spacieux au premier abord, mais si vous avez une dizaine de gens affairé·es aux machines-outils et un cours de formation en parallèle, cela devient un peu étouffant.

La priorité est aujourd’hui de développer l’atelier bois, pour mieux mettre en avant le côté «fait main». Pour le bénévole Sunier, c’est évident: «Nous n’avons pas envie d’avoir une étiquette technologie, technologie. On préfère l’étiquette “faire par soi-même”, collaborer avec d’autres gens et documenter les accomplissements».

Gros sous

Côté financement, la Loterie Romande a donné un généreux coup de pouce au début «ce qu’il nous fallait pour démarrer. Ce montant réparti sur deux ans, a permis d’acheter les machines». Les recettes sont en outre assurées par celles et ceux qui viennent créer ici. Chacun·e paye un forfait horaire pour accéder aux machines numériques. L’ensemble des autres outils sont accessibles à prix libre.

Une table d’un seul tenant

À propos de machines, on aperçoit trônant dans la pièce, une grosse installation. Une grande CNC bois capable de sortir des pièces assez impressionnantes. Elle mesure 1,6 m par 2,5 m. Sur cette machine-outil, il est possible de terminer une table à manger pour six personnes. En une seule fois, avec les pieds, le plateau, tout clé en main pour ainsi dire.

Plus loin, une machine à découper le vinyle, n’a pas l’air beaucoup utilisée. Richard indique que cela prend gentiment de l’importance. Pourquoi? «Récemment, il y a eu une formation pour des prof d’activités manuelles. Ça a provoqué un premier frémissement».

Si le FabLab disposait d’un magasin sur place où acheter directement toutes sortes de vinyles de couleur, du plexi, etc., cela contribuerait-il à démocratiser cette découpeuse? Le manque de matière peut représenter un frein à la créativité. Car il est compliqué de commander un plexi, un bois. Ça ne se trouve pas chez Jumbo vite fait.

Un télécabine FabLab par Robin

Richard a une réponse partielle à ce dilemme: «On a mis en place une base de produits prédécoupés à la taille des machines, qu’on vend plus ou moins à prix coûtant. On essaye en outre de créer des partenariats pour avoir des chutes. On récupère des bouts de plexi par exemple, voire des plaques plus importantes considérées comme rebut par certaines industries. On tente de recycler au maximum.
On a ainsi mis en place un partenariat avec HG Commerciale qui nous offre des prix préférentiels sur la matière. On est en train de regarder avec Jura Néon aussi, ceux qui ont construit notre enseigne. Ils ont pas mal de chutes de plastique, style du plexi coloré.»

Enfin une enseigne après 4 ans

Comme le FabLab est accolé à la maison du Peuple, il y a souvent confusion: des gens entrent au FabLab en croyant être à la Maison du Peuple et vice-versa.

Le comité a alors imaginé qu’une enseigne stratégiquement placée sur l’immeuble distinguerait l’endroit, cela officialiserait un peu le FabLab: dans la croyance populaire. Vieille comme le commerce, l’enseigne marque une raison sociale et permet aux curieux de se situer. «Certes, elle n’est à 100% solaire, mais là … on a fait une exception.
C’est aussi une manière de mettre en avant le savoir-faire de certaines entreprises, parce que c’est un métier spécifique avec des compétences spécifiques. Sans oublier le côté légal, on ne pose pas n’importe quelle enseigne n’importe où. Et là, ça va tenir pendant des années!»

Musique d’avenir

À quoi rêve le FabLab? Avoir quelqu’un·e qui assure une permanence, qui ait du temps et soit fou de technique, tout en étant motivé·e pour accueillir les gens?

«Oui et non. Ça sonne peut-être un peu geignard, mais le rêve c’est de ne pas avoir à courir derrière chaque franc, pour qu’en fin de compte, cela serve à payer le loyer.
Dégager du temps pour des projets et prendre du recul pour souffler. C’est le problème de toutes les associations, rien de nouveau sous le soleil. Genre, il faudrait avoir un peu de lest à lâcher».

Malgré la ressource temps limitée, le FabLab chauxois développe son réseau: trois personnes du comité sont allé récemment à une réunion dans le Vercors.
Richard souligne que «les FabLab en France c’est pas du tout pareil». Il y a en effet une reconnaissance de l’Etat central. Alors qu’ici, ces structures souvent considérées comme des activités pour aimables bricoleurs du dimanche, en France c’est reconnu d’utilité publique. Les industriels font appel à eux pour fabriquer des prototypes et y lancent d’autres projets en collaboration et sans préjugés. Ils font en quelque sorte partie du tissu économique. Richard ajoute: «En Suisse, soit tu es une industrie “sérieuse” ou tu tiens un atelier de bricolage. Nous, on est dans une zone grise entre les deux».

Dernier détail: il y a des gens de l’industrie qui viennent rue de la Serre 68 se former. Puis ils repartent et s’achètent leur machine pour leur atelier. «C’est très cool aussi, mais on a un peu l’impression … d’être des commerciaux!» conclut avec un clin d’œil notre guide

Info pratiques

Tout savoir sur les horaires et réservations. Le site indique les tarifs, les abonnements ainsi que les formations proposées.
Le FabLab cherche des outils et toutes sortes d’accessoires, du masque à soudure à l’arc au frigo en passant par des hauts parleurs.

Comme dans une taupinière, il y a plusieurs entrées au FabLab. Le schéma de fonctionnement emprunté à Onl’fait.ch, le FabLab genevois, indique les cheminements ouverts.

Quelle est la bonne démarche?

Enquête: Emeline Fichot

 

Quand le FabLab joue à la NASA, ça décolle à l’air comprimé:

Prototype de fusée interplanétaire
5, 4, 3, 2 , 1 pompez!