Le bitcoin t’attend au coin du bar

Les écrans fleurissent partout, le dernier-né trône sur une borne à cryptomonnaies. À la Dolce Vita, place de la Gare, ça remplace le Loto Express.

Les accros aux Bitcoins, Ethereum et autres monnaies virtuelles ne sont plus forcé·es d’acheter ou vendre ces valeurs spéculatives sur tablette ou téléphone. Il suffit d’aller au bistrot où le monde extraordinaire de la valse fluctuante des valeurs spéculatives attend celles et ceux qui se laissent leurrer.

Bienvenue dans le monde chaotique des “coins”

Le café-restaurant Dolce Vita a choisi de fermer sa monumentale porte d’angle pour y placer une machine à vendre du rêve aux apprentis Picsou. Outre des Bicoins et des Ethereums, sa borne vend ou échange des Litecoin, des Néos (chinois), des Stellas, des Iotas, des Polkadots, des Dodge «coins» (pièces virtuelles avec lesquelles on ne joue pas à pile ou face).

Ce café n’est pas le seul à avoir succombé aux sirènes des crypto-valeurs. La société tibc.ch a placé un peu partout en Suisse de telles bornes attrape-nigauds.

Tibc.ch ratisse large. De Gossau à Genève, en passant par Agno au Tessin et Schaffhouse, 25 bornes tendent les bras aux gros billets ou à votre carte de crédit, dans des stations-services, des bars, des billards. À 2, 4 ou 12 francs de frais par transaction, l’affaire sera juteuse si suffisamment de guignols se mettent à boursicoter au coin du bar.
Mise de base:  50.- CHF. Pour des jetons valant entre 1000 et 20’000 francs suivant les cours. Donc chacun·e peut acquérir une portion, disons plutôt une lamelle de bitcoin. Les heureux propriétaires de milliers de ces “coins” à valeur éphémère, peuvent donc commander une boisson, se planter devant le truc et jongler avec leur biens.

Spéculer debout

A la Dolce Vita, ce n’est guère confortable: si la serveuse est avenante, l’espresso acceptable, pour gérer votre chance, vous resterez debout à sonder l’écran et ses graphiques.

Exposition politique?

On peut donc acheter et vendre. Attention, la commission prélevée est assez pharamineuse suivant la monnaie choisie, l’écran livre sans discontinuer les indications en ligne au cours actuel.

Pour dépenser plus de 1000 CHF, la machine demande une authentification par n° de téléphone mobile. Dès que vous acceptez les conditions générales, la borne crache un billet à deux codes QR. Vous aurez ainsi autant de goussets virtuels que «coins» achetés. Avant de d’obtenir ce ticket de caisse, il faut toutefois indiquer si vous êtes une personne politiquement exposée ou pas. D’avisé·es juristes biberonné·es au droit américain ont passé par là …

Montrer patte blanche sur Tibc.ch

Tibc.ch est une Sàrl domiciliée à Brügg (BE) vers Bienne, gérée par MM Clément et Claude Brügger. D’après les renseignements publics de la FOSC, ce dernier est actif dans l’immobilier, l’informatique et le refinancement de dettes. But de Tibc.ch: «Prestations de service en lien avec des méthodes de payements alternatifs». La société existe depuis 2020.

A La Chaux-de-Fonds, la borne a été installée il y 3 mois environ.

Pourquoi ces monnaies?

Historiquement, l’affaire est confuse: en 2008, en pleine crise financière née aux USA, un gars inconnu lance une monnaie indépendante des banques centrales, histoire de court-circuiter le système bancaire centralisé. Une vision quasi anarchiste de la monnaie, des serveurs répartis partout contrôlant l’existence des jetons et de leurs transferts. En (très) gros, c’est le rôle dévolu à la technologie blockchain, qui garantirait l’intégrité des données mieux que d’autres systèmes sécurisés que les hackers aiment à pirater.

L’Eldorado bientôt

A en croire Cyrus Fazel, directeur d’une plateforme suisse de crypto-transactions Swissborg.com interviewé à la Radio romande, l’avenir est radieux, il suffit d’attendre que le monde financier se décentralise et que l’on «crée des produits qui changent la donne économique et sociale».

Voilà, voilà, prenez votre mal en patience si votre portefeuille oscille sauvagement durant l’intervalle. L’essentiel, selon ce chantre de la nouveauté, étant d’adhérer à la «philosophie des cryptomonnaies». Avec aplomb, le même savant homme explique qu’il y a des hauts et des bas, c’est normal, c’est variable «comme les saisons». L’espoir est là, d’ailleurs, le Nasdaq, la plus grand Bourse américaine des valeurs high tech, est en train de plancher sur l’émission de ses propres jetons.

Un symbole qui surgit souvent

Si vous n’êtes toujours pas attiré·es, c’est vraiment que vous manquez de confiance! Alors que le choix est immense. Selon plusieurs sites spécialisés, quelques 2000 monnaies virtuelles circulent sur le Net. Beaucoup de gens ont cru gagner gros, certains sont devenus riches, une majorité attend encore l’Eldorado. Quant à l’utilité profonde de la monnaie garantie par blockchain, il s’agirait d’éviter l’inflation. Tant qu’il y avait des taux négatifs sur les devises refuge tel le franc suisse, le jeu en valait la chandelle.

Illusion en expansion

Comme au Far-West du temps des colt rapides et des sheriffs pourris, l’arnaque rôde. Pas toujours repérables pour les débutants, mais fort prisées, les magouilles abondent: fausses bourses d’échange, promesses bidons à la pyramide de Ponzi et autres combines véreuses testées dans la vraie vie tous les jours ont leurs pendants virtuels. Vendre des terrains sur la lune marche encore.

Avaler du courant

Les médias ont souvent mis en avant l’appétit féroce des cryptomonnaies en énergie. Pour «miner» des Bitcoins ou créer des Éthers, il s’agit d’installer une machinerie puissante tournant 24h/24H qui chauffe beaucoup. Il faut dès lors refroidir le monstre au moyen de ventilos goulus.
Sur ce plan-là, une petite révolution a eu lieu, annonce le New York Times (17.9.2022). Certains technofans (ayant misé sur l’Ether, le fondement des Ethereum, on ne va pas entrer ici dans les détails) ont sabré le champagne lors d’une séance Zoom festive: ils célébraient un tournant de programmation dans la blockchain (proof of stake au lieu de proof of work) lors de la vérification des Ethereums. Au niveau électricité, chapeau: 99,95% d’économie, cela revient à tirer la prise du Portugal entier! Il restera certes des fermes de serveurs pour «miner» des Bitcoins, mais c’est un début de verdissement.

Le mineur et la pizza

Place à un petit conte 3.0: un allumé de la première heure acquiert de quoi miner des bitcoins, gros ordinateurs à énorme capacité de calculs, onduleur pour alimenter coûte que coûte la bête, il démarre et sort des codes qui valent … pas énorme à l’époque où il s’est lancé. Il se rend vite compte qu’il ne peut pas acquérir grand-chose de concret avec ses pépètes mode blockchain.
Comme tout informaticien rivé à son écran, il s’est un soir commandé une pizza avec ses premiers bitcoins «minés maison»: à proximité de son logis, seul un site tenu par un pizzaiolo geek acceptait cette monnaie.
Prix de la galette tomate-mozzarella: 6 bitcoins, livraison comprise. Le gars avait faim, il a raqué. Au taux actuel de 20’000 francs pour un bitcoin, le bonhomme n’ose y repenser. 120’000 CHF la pizza!

Méfiez-vous

Sans perdre autant, il est fort simple de se retrouver plumé par sa propre étourderie: la borne à crypto-valeurs vous délivre un papelard munis de 2 codes QR qui vous sert à identifier votre portemonnaie. L’indication figure en grosses lettres: ne perdez pas ce sésame, il ne sera pas remplacé. Le truc est imprimé thermiquement sur du papier de mauvaise qualité, vous avez intérêt à photographier ce code vite fait.

Investissez qu’ils disaient.

Trois portemonnaies vides pour trois monnaies différentes