La révolution pornographique libertaire

Ardent·x·s
Long métrage de Patrick Muroni
Cinéma ABC

« Qu’est-ce que ça veut dire d’être pornographe en Suisse quand on est une
femme ou une personne queer et qu’on a la vingtaine ? »

Dans ce docu-fiction (premier long-métrage de Patrick Muroni) on suit les réalisatrices : Nora, Mélanie, Mahalia, Olivia, Julie dans leurs loisirs et leurs tournages. Et cela se déploie sur plusieurs saisons, années, lieux. Le spectateur cherche un peu son guide. Mais peu importe en somme qui l’on suit, car le collectif est au centre du fonctionnement de OIL, au cœur de leur gouvernance. Le collectif c’est l’espace de liberté et de sécurité qui leur permet toutes les audaces visuelles et expérimentales.
Ielles sont belles et beaux par leur attitude frondeuse et décomplexée. L’esthétique des réalisations est léchée (et les chattes aussi). Les angles délaissés par le porno traditionnel (de papa) sont explorés par une position sensuelle qui caresse les surfaces (peaux, textures, matières denses et liquides) et, dans des tréfonds, par plusieurs caméras qui examinent avec minutie et bienveillance les regards, les orifices, les matières.
Ce nouveau porno n’est pas nouveau, pas vraiment. Depuis les années 2000, il y a eu Erika Lust, Ovidie, Olympe de G qui ont exploré une nouvelle manière de filmer la sexualité et le désir des femmes. Ce qui est novateur ici, c’est le terreau des protagonistes et leur engagement égalitaire. Issues du coin, de ces cantons qu’on pense coincés du slip, elles ont fait sauter l’élastique de la bien-pensance. La créativité et l’action libertaires occupent le pré carré de la domination masculine. C’est une révolution culturelle, gaie (ça se marre beaucoup dans le collectif) et engagée moralement. Car dès sa création OIL est posé sur des valeurs fondamentales.
Leur charte mentionne l’éthique : il s’agit de défendre les valeurs de respect de l’intégrité de chaque être humain, la discussion reste ouverte et le consentement de touxtes les participant·e·s sur le tournage est essentiel. Enfin, il est primordial de rémunérer les personnes impliquées, même si souvent les réalisatrices ne parviennent pas à dégager un revenu pour elles-mêmes. Réalisatrice-teur porno comme hobby, touxtes ont des activités rémunératrices annexes. Mélanie travaille dans une fromagerie et dans ses mots le lait fermenté se fait aguicheur. Toutes les matières sont belles, tous les corps sont beaux.

J’ai particulièrement apprécié une scène performative (un plateau de théâtre scénographié, des lights disposés en cercle, un public discret qui se faufile) où la lumière est partout sauf dans l’angle aigu de l’acte pornographique lui-même. Acte ganté de noir que revêt un personnage aux peintures tribales. Mains dégoulinantes d’une encore plus noire encore mélasse luisante, aussi inquiétante qu’hypnotisante. Sous les spots brillent les perles de sueur, le moirage du tissu, l’éclat d’un œil en extase.

Patrick Muroni avoue : il a débuté son documentaire en suivant la réalisatrice Nora, mais au fil des mois c’est Mélanie qui devient la protagoniste principale. Faut dire qu’elle s’exprime avec aisance (sur le plateau d’Infrarouge le 14 octobre 2020), simplicité et efficacité. Ce premier long-métrage a été réalisé tantôt avec une seule caméra jusqu’à une équipe de tournage complète. Patrick Muroni a fait le choix de re-jouer certaines scènes, dialogues ou moments de joie partagée. Ces parties sont scénarisées et l’image léchée est parfois sacrément bien réussie. Mais cette fausse naturalité crée un authentique surjeu qui plombe la sincérité des propos.

J’dis ça, j’dis rien. Je vous invite tout de même à courir voir ce film et – si l’émotion vous en dit – découvrir les productions de OIL.

Daniela Droguett Fernandez