Des arbres en papier, des racines d’encre.

« Il y a trois-quatre ans que ce projet grandit en moi. Assez précisément depuis que la sécheresse dans le Jura est devenue notoire, qui menace les grands sapins, aux racines peu profondes. Jusque-là, pour moi, le manque d’eau n’était pas un problème d’ici. Si on m’avait demandé de décrire la nature suisse en un seul adjectif, j’aurais dit : vert. Ces sapins des prés jurassiens, j’ai grandi parmi eux, ils représentaient pour moi une vie immuable, presque éternelle. » Jeanne Walz dans le texte de présentation.

Dans une pénombre douchée d’indigo nocturne et de pâles aubes, se détache en ombres légères une forêt d’épicéas en lévitation. Leurs cimes grimpent vers la voûte de la nef et la base de leur tronc s’estompe avant de frôler le plancher.
Légers et flottants, les arbres pendrillonnés sont dressés à grands traits d’un noir corbeau.
Dans le théâtre familier du Temple Allemand, résonnent des cris indistincts d’animaux invisibles, des grattements, frottements, bruissements. Un ruissellement, une averse.
Des captations en plein air pour le vent, pour la pluie ; mais des contrefaçons de nature pour le reste.
Imitations qui ne prétendent pas à créer de confusion. Après tout, l’approximation invite davantage à l’imaginaire et il est invité à s’épanouir ici.
Jeanne Walz a souhaité reconstruire une forêt dans un espace clos. Une contrefaçon de la nature « pour le jour où elle n’existera plus ». Des fac-similés d’arbres, des voix humaines qui se substituent aux bruits de la forêt. Je dis : « la thématique est le réchauffement climatique », Jeanne Walz me répond : « ce n’est pas une thématique, mais une réalité actuelle ». On en convient : l’humain pollinisant à la main les fleurs c’est ce qu’on fait déjà.

Technique : papier de recyclage, plume et encre de chine. Mise en lumière et en sons spatialisés.

Le motif monochrome évoque la peinture à l’encre (sumi-e) ; le trait, la calligraphie japonaise.
Il s’agit bien de gestes tracés sur de longs lés de papier. Traces imprécises dus au choix du pinceau : des plumes de corneille. En effet, lorsque Jeanne Walz a commencé à étudier des formes picturales dans la forêt, le sol en était jonché. Les moyens ont chu de l’arbre et ils retournent à l’arbre. C’est presque biblique. (Invitation à la méditation).

Présentes sur les deux faces, les surfaces peintes laissent tantôt surgir leur pair sur le verso, tantôt imposent leur noirceur luisante selon l’angle des lumières, tout là-haut, telles des étoiles à portée de main.

Si elle peint « depuis l’imaginaire » (et pas directement dans la forêt, avec des papiers de 5 mètres de haut ce serait bien périlleux), elle se fie également à ses croquis, ses études avec attention et « amour et regard du réel ».
Se détache dans l’espace sonore une rocailleuse saturation. Le grondement du vent dans le micro est une réminiscence des biens réelles et furieuses rafales qui ont terrassé la ville il y a un mois. Mais s’ils ondulent doucement, ces arbres-ci ne ploient pas, ne rompent pas. Ils demeurent immuables. Leur balancement et leur immortalité (une image est figée) est étonnamment rassurant. J’oserai même ce rapprochement :
l’exposition est porteuse de résilience (même si je ne suis pas certaine que cela s’exprime ainsi).
C’est apaisant de poser son regard dans cette grotte tempérée et tamisée. C’est rassurant d’entendre des rafales climatiques immatérielles. C’est reposant de voir une forêt dense et intègre.

DESARBRES
Installation au Temple Allemand, du 31 août au 10 septembre 2023
idée/dessins : Jeanne Waltz
spatialisation sonore : Tiago Matos
lumière : Gaël Chapuis
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