En échos aux sons de NÂR

Les premiers pas dans l’inconnu. Explorer la consistance du sol comme la contenance de l’air. Il s’agit d’habituer ses pieds à tester l’équilibre du corps face aux textures accidentées du terrain. Il s’agit d’humer les effluves invisibles d’un air soufflant ici à vitesse non mesurable. Respirer. Prendre son temps. Palper. Avancer. Reculer. Tâtonner. Ouvrir les yeux. Les refermer. Une image s’imprime… fugace… puissante… volatile… involontaire… Un soleil sombre aux contours cuivrés… en ouvrant les yeux, l’image a disparue… si on les ferme, elle revient… oscillante… trouble… d’une beauté aveuglante… Un soleil sombre aux contours cuivrés… Son impermanente apparence… inversion relative de la perception…

Peut-être que l’on finit par s’habituer… peut-être que l’on accepte ce doute planant sur la réalité de l’expérience qui nous secoue… on commence à percevoir des vibrations… temporalités oubliés, réminiscence amniotiques de rythmiques prénatales… l’image est une créature. Elle bouge.  Elle occupe un volume dans l’espace. Elle est vivante. La créature est un corps. Le corps crie. Les vibrations deviennent musique… Ouvrir les yeux… l’image disparaît… Fermer les yeux… la créature apparait…

Le son se glisse dans le mouvement. Parfois on croit reconnaître des mots… peut-être Ginsberg ?… mais les langues se mélangent, des membres jaillissent, se replient… des corps s’enchevêtrent. On doute. Vision momentanément dédoublée ? Perception stroboscopique des apparences ? Sensation muybridgienne du réel ? Alors que tout s’amplifie, le plexus est traversé par un flux énergétique constant, des paysages rêvés et véritables, fantasmés ou visités s’entrechoquent derrière nos paupières fermées ou contre nos cornées humides… comment savoir?

Fusion télépathique de corps puissants
et majestueux dans l’humidité
brûlante d’un éther inconnu…

Le soleil sombre était deux étoiles filantes. Ses contours cuivrés ont muté en éclats d’argents. Flammes organiques incarnées par des danses ensorcelées. Poussière corporelle d’une musique ensorcelante… Comme si l’existence de l’une comblait les possibilités non réalisées de l’autre… La danse et la musique, l’air et le sol, le feu et l’eau, les éléments, les corps, les astres, les matières, les idées, les rêves, les souvenirs et les envies, les végétaux et les minéraux, tout ce qui a été nommé ou pourrait un jour l’être, tout ce qui a été pensé, vécu, écouté et oublié… Fusion télépathique de corps puissants et majestueux dans l’humidité brûlante d’un éther inconnu… Une beauté inquiétante devient un malaise bienveillant… tout se dissout… tout se disloque…

Au-delà des paysages oubliés… Les sarabandes cosmiques défient la matière… Enfermant les mystères du monde dans leurs sédiments secrets…

On ferme les yeux …

l’image s’estompe …

On les ouvre …

des corps sans ombres – à midi – sous un soleil sombre …

Janvier 2020

Textes en mutation

«Selon de vieilles légendes mexicaines, Quetzacoatl aurait usurpé les fourmis – alors reines du maïs et de la nature – en se faisant passer pour l’une d’elles. Puis il leur déroba le grain originel pour le donner aux humains. Le Serpent à Plumes s’est ensuite lassé de l’humanité. Cette dernière a dès lors fait à peu près n’importe quoi avec le maïs et pas mal de choses, mais joue de la jolie musique.
«Pop Corn» est une compilation de textes qui aimeraient devenir de la musique. On y trouve à peu près toutes les mutations possibles du maïs.»

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DEJAN GACOND (1984) écrit, vit et travaille à La Chaux-de-Fonds.

Il partage ses mots dans des installations immersives, dans des livres, mais aussi sur scène, à travers des projets musicaux et théâtraux. Depuis une quinzaine d’années, il cocréé avec l’artiste new-yorkais Kit Brown les installations A Kaleidoscope of nothingness.