Ouuuuh Ouuuuh

Bon je suis venu ici pour choper un peu de weed, pas pour écrire! Pour fuir, pas pour me conformer ! A moins que la fuite que j’envisage ne soit la conformation que j’honnis, drôle de méprise à laquelle je préfère ne pas penser au risque de devoir reconsidérer encore l’existence qui m’incombe selon un nouvel angle. Je suis venu ici pour choper de la weed! Une cité qui représentait il y a encore quelques années cette Suisse idéalisée, ouverte d’esprit et tolérante; ce faux mythe que les ignobles tenants des aboutissants tentent de faire perdurer.
Bref une ville qui pratiquait une tolérance courtoise envers la drogue douce, une ville où les centres alternatifs et les squats cohabitaient volontiers avec les milieux hip-hop, où les langues se mélangent, où l’on fait avec plaisir une balade au bord du lac, y fumer un joint en regardant des jeunes hippies s’adonner au jonglage, d’autres s’amusent, lisent, discutent, méditent, bronzent, une famille installant couverture et nourriture afin de faire un pic-nic … La vie quoi, se déroulant, se consumant paisiblement. Mais là, ici, maintenant, faut faire gaffe ! Comme un présage lugubre, comme une remontée acide, les affiches nauséeuses de ce parti politique répandant des idéaux maussades sont placardées avec une insistance honteuse, avec l’arrogance de la richesse qui soutient aveuglement ce ramassis putride. Putain encore une bagnole de flic, encore une publicité pour une agence de sécurité privée …

Encore une matinée moite

où dans les travers de mes hésitations

Se disjoignent et se conjoignent les envies cloisonnées et les nécessités moroses.

Privatisation du domaine sécuritaire considéré comme une paranoïa générale, une psychose collective que l’on tente d’imposer, les uniformes pullulent et la concurrence économique s’est installée entre les agences diverses. Je hais les sécu! Mon dernier scandale remonte à trois semaines en arrière, une soirée où l’ingestion d’alcool s’était transformée en un élan destructeur momentané, comme trop souvent. Un état déjà trop avancé, l’absinthe était un choix de consommation inapproprié, un déclencheur laissant échapper les frustrations trop longtemps macérées au sein de ce corps que j’essaye d’amener à ses propres limites. Une oscillation errante entre les groupes d’amis et de connaissances, sans jamais rentrer dans une conversation, le regard alerte mais ne parvenant à rien saisir, vision floue … encore une absinthe, un pote qui officiait au bar me servait gracieusement des doubles doses en signe de reconnaissance d’amitié … la pratique du langage semée d’embûches, les idées qui se mélangent, les mots eux-mêmes semblaient avoir la consistance pâteuse de ma bouche … et la musique qui pourfend le corps de part et d’autre… cette masse dansante de corps enchevêtrés. Qu’en faire et comment s’y situer?

Un systématique cloisonnement de
l’extravagante procession d’une jeunesse perdue,
une provocation permanente de l’uniforme,
le pouvoir rappelant son existence
à quatre heures du matin

Et pourquoi ces foutus agents de sécurité qui écarte la foule à leur passage, se faisant des signes avec des lampes de poche afin de se diriger mutuellement vers les fumeurs potentiels. Appréhender les fauteurs de troubles, pratiquer une fouille assidue à l’entrée du club et surveiller consciencieusement le déroulement de la soirée. Un systématique cloisonnement de l’extravagante procession d’une jeunesse perdue, une provocation permanente de l’uniforme, le pouvoir rappelant son existence à quatre heures du matin. Alors que le dj passe Assassins de la  police … et que la foule crie docilement ouuuh ouuuh en levant un bras. La liberté est comme un cri mort-né dans une gorge serrée, la revendication est sous le regard omniscient des agents de sécurité.

Sous l’effet cumulé de la menace, de l’alcool et de la frustration, la perte de contrôle s’installe depuis les tréfonds du corps, mais l’occupe rapidement. Sans vraiment comprendre ce qu’il arrive, les lumières se rallument, merde c’est la fin, vociférations en tout genre et découverte des visages éprouvés par l’ivresse, suant de l’énergie partagée, je ne pige que dalle… j’allume une clope en guise de première provocation, uns des sécus arrive… la trentaine, une gueule qui transpire l’intolérance, un visage froid et renfermé, petit cheveux blonds bien entretenus, uniforme de circonstance, spray au poivre, gant de cuir, stature et posture droite et figée …

  • Il est temps de sortir mon gars me dit-il en me touchant l’épaule avec sa main de cuir
  • J’suis pas ton gars bordel… et d’abord tes gants c’est pour pas t’salir les mains en touchant des sales punks ou pour étrangler sans faire de trace ?
  • Joue pas au plus malin avec moi et casse-toi d’la !
  • Tu crois qu’ton uniforme signifie quelque chose ? Et tes gants ? Toucher rectal alors?

Un autre agent arrive, un peu plus âgé mais plus balèze encore, pas de gant mais le regard emplis de noirceur menaçante …

  • joue pas au con man et sors d’ici, t’as plus rien à foutre là
  • quoi j’ai rien à foutre ici mec, j’sais tu fais ton taf mais j’venais ici avant qu’t’en connaisse l’existence, avant que cette société d’merde nous impose votre putain d’présence ici!!!

Se rendant compte de mon humeur belliciste, les deux soldats font pression de leur stature en m’accompagnant à la sortie, ils mettent en pratique le foutu jeu de rôle ridicule auquel ils ont dû être soumis dans leur deux jours de formation. Pour eux ; un rêve, un sale con aux longs cheveux autant arrogants qu’il est maigre, ils le mettre en boîte si il fait chier, enfin un peu d’action… que cette colère passagère justifie la nécessité sécuritaire imposée par une loi stupide. Ne pouvant me souvenir si c’est un trop plein de haine de ma part ou une provocation infecte de leur part, comme un déferlement soudain, comme une résurgence maléfique, comme un spasme ou une convulsion, je leur jette ma bière à la gueule en les traitant de métastases du cancer de l’Etat ! Sans savoir ce qu’il se passe, mon bras piégé dans le dos, les pieds ne touchant plus le sol, je sens mon corps se faire transporté violement, ma tête heurte une sorte de barrière métallique, la porte, l’extérieur, le sol de nouveau, mais jeté dessus et le petit soldat aux gants de cuirs, qui ne résiste pas à la tentation, me balance un énorme coup de pied dans le genou, un autre dans les côtes. Scandale ! Des gens gueulent dans tous les sens, d’autres sécus arrivent, je deviens malade, j’essaie de leur courir dessus tête baissée en criant BANDE D’ENCULES VOUS N’AVEZ PAS LE DROIT D’AGIR EN DEHORS DU CLUB !!!! Soldats de pacotille, marionnettes de la castagne se retrouvant soudainement emplis d’un pouvoir trop grand pour eux … la dérive quoi, si on donne des flingues à ces tarés ça va mal finir … Pourquoi cette société glisse-t-elle à tous niveaux dans un délétère climat de haine attisée?

2012

Textes en mutation

«Selon de vieilles légendes mexicaines, Quetzacoatl aurait usurpé les fourmis – alors reines du maïs et de la nature – en se faisant passer pour l’une d’elles. Puis il leur déroba le grain originel pour le donner aux humains. Le Serpent à Plumes s’est ensuite lassé de l’humanité. Cette dernière a dès lors fait à peu près n’importe quoi avec le maïs et pas mal de choses, mais joue de la jolie musique.
«Pop Corn» est une compilation de textes qui aimeraient devenir de la musique. On y trouve à peu près toutes les mutations possibles du maïs. Les textes sont présentés de façon a-chronologique, afin de voir ainsi les mots évoluer dans leur juxtaposition permanente.»

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DEJAN GACOND (1984) écrit, vit et travaille à La Chaux-de-Fonds.

Il partage ses mots dans des installations immersives, dans des livres, mais aussi sur scène, à travers des projets musicaux et théâtraux. Depuis une quinzaine d’années, il cocréé avec l’artiste new-yorkais Kit Brown les installations A Kaleidoscope of nothingness.