Pop Corn

Il y a toujours un champ de maïs à proximité d’un camping de festival, c’est rationnel, c’est obligatoire, c’est pour l’entropie générée par ce foutoir pense-t-il…

Se faufilant entre les hautes plantes de maïs au faîte de leur développement, évitant du mieux que possible les rejets épars de prédécesseurs divers, il cherche un endroit à sa convenance. Tout en libérant ses entrailles du poids qui les entravent, il pense avec circonspection à ces pop-corn à demi-prix sur lesquels il s’est rué hier soir. Avec tous les festivals qu’il y a maintenant et tous les champs de maïs et tous les monceaux de caca qui y sont déversés chaque année, les pop-corn ça craint. Sans compter que le festivalier moyen, ce n’est pas comme s’il interrompait une cure védique pour écouter du rock n roll pendant trois jours… Rien qu’ici; depuis trente ans des corps transformés par les drogues qu’ils ingèrent et les frites dont ils se gavent viennent se délester dans ce champ, c’est dégueulasse!

Il ne faudra pas louper
Infected Duodenum
à l’after électro ce soir

Les scientifiques observent une lente déréliction de la structure moléculaire du maïs dans les régions occidentales vraisemblablement occasionnée par la prolifération massive de festival de rock. Les populations de ces régions, notamment d’Amérique du nord et d’Europe méridionale continuant de manger énormément de pop-corn au cinéma, d’autres scientifiques observent une lente modification de la forme du duodénum chez les cinéphiles et les enfants.

Tout en laissant ces considérations sérieuses occuper son esprit alors qu’il remonte son froc, la rumeur du camping se réveillant lui parvient. Un dernier regard sur son caca fumant et il se précipite entre les tentes. Il arrive à son campement et Tom a fait du feu et saupoudre de curry un épi de maïs qu’il s’apprête à griller. Il s’est déjà préparé un whisky-coca. Dan est trop rance juste à côté, ouvrant à demi les yeux pour tirer un taf sur sa clope. Des ronflements effrayants parviennent d’une tente juste à côté. Mat ouvre une bière, allume aussi une clope et regarde si Sandra dort encore tout en percevant les interjections pâteuses de son pote. Il se retourne vers Tom et lui demande de répéter. Ce dernier, la bouche pleine de maïs à peine mâché, offrant à Mat une vision à laquelle il ne fallait pas être soumis, lui dit: faudra pas louper Infected Duodenum à l’after électro ce soir.

 

Mat vomit…

2011

Textes en mutation

« Selon de vieilles légendes mexicaines, Quetzacoatl aurait usurpé les fourmis – alors reines du maïs et de la nature – en se faisant passer pour l’une d’elles. Puis il leur déroba le grain originel pour le donner aux humains. Le Serpent à Plumes s’est ensuite lassé de l’humanité. Cette dernière a dès lors fait à peu près n’importe quoi avec le maïs et pas mal de choses, mais joue de la jolie musique.
«Pop Corn» est une compilation de textes qui aimeraient devenir de la musique. On y trouve à peu près toutes les mutations possibles du maïs.
Les textes sont présentés de façon chronologique, afin de voir aussi les mots évoluer dans leur juxtaposition permanente. »

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DEJAN GACOND (1984) écrit, vit et travaille à La Chaux-de-Fonds.

Il partage ses mots dans des installations immersives, dans des livres, mais aussi sur scène, à travers des projets musicaux et théâtraux. Depuis une quinzaine d’années, il cocréé avec l’artiste new-yorkais Kit Brown les installations A Kaleidoscope of nothingness.