Tout se dissout

C’était un délire cosmogonique incrusté dans la matière,

nourri par la mémoire du sol…

bercé par l’ondulation invisible de sonorités changeantes.

Comme la récurrence aléatoire d’un hasard imperceptible…

Comme les oscillations elliptiques du vide…

Tous se dissout; les intrigues, les narrateurs, l’Histoire, la musique…

La dualité s’évapore… elle semble flotter dans une totalité acceptable… les antagonismes dérivent ensemble dans une piscine cosmique… Des saltimbanques muets claudiquent sous la lune…

L’ineffable vaporisation de toutes les choses du monde….

Les traces électrifiées des souvenirs incomplets…

L’imperceptible lenteur d’une danse japonaise…

C’est de là que tout émane…. C’est là que tout disparaît…

Le langage est inhabituel; indéniablement… sa structure, sa texture, sa sonorité… les signes qui servent à faire sens du monde disparaissent…

Un mélange ionique et atomique incertain… la composition désarçonne, les éléments s’entrechoquent…

Les signifiants flottent dans l’apesanteur éthérée d’un monde ayant aboli le subjonctif imparfait…

Paraît-il que dans leur langue il y a quarante-sept façons de dire le mot; «rêver»…

Quarante-sept possibilités d’être ailleurs… autrement…

Dans leur monde, l’espace est juste
un endroit possible
où jouer avec le temps…

Dans leur monde le mot «ville» veut dire «théâtre» et le mot «théâtre» veut dire «ville»…

Dans leur monde, le temps et l’espace ne sont pas des questionnements philosophiques…

Dans leur monde, l’espace est juste un endroit possible où jouer avec le temps…

Les codes sociaux, les interactions, les parures, les croyances, l’artisanat… tout intrigue, tout se mélange, tout se dissout… comme dans une piscine cosmique… Malinowski rédige le second tome des Argonautes du Serpent d’Acier, les Batteurs de Pavés préparent une adaptation du Rameau d’Or, Gregory Bateson et Margaret Mead répètent leur numéro de jonglage balinais… Une étrange déambulation vaudou conjure les secrets de la matière… «Les Rois-Empereurs de Thulé» figent les songes fugaces des rites anciens…

L’interdépendance de toutes les choses du monde; tu vois…?

Un délire cosmogonique incrusté dans la matière…

C’est de là que tout émane… C’est là que tout disparaît…

2018-38-68