À la fois simple et grandiose: Eberhard

La maison de l’Aigle est connue des Chauxois·es, mais pourquoi cet oiseau s’est posé là? Une fabrique d’horlogerie s’y est installée. Tour d’horizon avec le directeur Mario Peserico.

Créée en 1887, la maison d’horlogerie Eberhard, porte le patronyme de son fondateur prénommé Georges-Lucien. Ambitieux, le patron construit après quelques années, un magnifique immeuble tout près de la gare, conçu par l’architecte Léon Boillot, qui a aussi signé les plans d’un imposant bâtiment rue du Grenier 18.
Inauguré en 1906, la maison de l’Aigle, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a abrité administration et ateliers de la maison d’horlogerie Eberhard. Georges-Lucien plaça le grand rapace au sommet du dôme, «les ailes déployées affirmant sa volonté de prendre son envol vers de nouvelles conquêtes» croit savoir le site Montres de luxe.

L’immeuble d’inspiration «néobaroque redondante» note le recensement architectural de la Ville, a été construit en 1906 (semble-t-il, la mention est au crayon de papier). L’annexe qui abritait l’ancienne fabrique, date de 1922.

Une exclusivité Eberhard: un calibre affichant une réserve de marche de 8 jours

Terminons ce survol historique en relevant une migration d’une quarantaine d’années à Bienne. Depuis 2019 Eberhard est de retour à la maison de l’Aigle, à l’initiative de la famille propriétaire de la marque, les Monti. Les bureaux, la fabrication ainsi que le service après-vente (SAV) sont revenus au bercail Avenue Léopold-Robert 73.

Joli petit musée

On trouve au troisième étage de l’immeuble, une pièce entièrement dédié aux pièces emblématiques produite depuis plus d’un siècle par la marque. Ce musée de poche est intéressant à plus d’un titre: outre de beaux calibres de formes diverses (Eberhard suivant les tendances, on trouve des boîtiers rectangulaires, ovoïdes, octogonaux), on peut y déchiffrer un règlement de la fabrique datant de 1921, qui stipule à son article 5 qu’il est interdit de chanter à l’usine ou d’y siffler, tout comme de «stationner dans les corridors pendant les heures de travail».

Premier modèle en 1943 de la gamme baptisée Extra Fort

On peut visiter ce musée gratuitement sur demande.

Durabilité garantie

Une des forces d’Eberhard tient dans ses collections documentaires: tous les produits vendus sont répertoriés, l’historique de chaque calibre est connu et la réparation est assurée même des décennies plus tard. Si par malheur, la fourniture n’est plus disponible, le rouage ou la pièce défectueuse sera fabriqué sur place pour réparer et faire durer la montre confiée au SAV. «Cela implique de tenir scrupuleusement à jour la documentation», précise Sabina Ahmetovic responsable du suivi des pièces.

Des moteurs et des montres

L’histoire de la marque est intimement liée à la compétition mécanique. En effet, tant Georges-Lucien Eberhard que ses descendants ont accompagné le développement technologique des avions et des voitures par des trouvailles horlogères dûment brevetés. La grand patron aimait les moteurs, peu importe qu’ils propulsent des aéronefs ou des automobiles de course.

Le chronographe poignet de 1919

Le progrès qu’incarnent les mécaniques animées par des cylindres à explosion a amené Eberhard à sortir le premier chronographe à porter au poignet, le plus moderne de l’époque. En 1919, cette percé technologique, a mis Eberhard en pointe parmi les marques de l’époque.

Choyer les véhicules vintage

La marque sponsorise aujourd’hui encore de nombreux rallyes vintage tel le Rallylegend qui se tient annuellement à San Marino.

Outre la voile, les sports de glisse intéressent aussi Eberhard. L’horloger a collaboré avec le fabricant Blizzard pour un ski de haute performance le Blizzard Quattro Special Edition dont les 130 exemplaires sont devenus rapidement introuvables.

Catalogues français-anglais

Pour booster les ventes dans le monde entier, Eberhard produisait à intervalles réguliers de magnifiques catalogues reliés. Depuis l’avènement des ventes en ligne et de l’image omniprésente, on a oublié l’importance de cette outil de marketing. Indispensable pour montrer les nouveautés et l’ampleur de la gamme offerte par la fabrique chauxoise.

Dernier cri: un chrono Scientigraf noir et orange

Un ouvrage édité à l’occasion des 130 ans de la maison relève que l’on trouvait dans les année 20-30 déjà des revendeurs de la marque partout en Italie de Milan à Naples.

Marché italien d’abord

Il en va de même aujourd’hui: le marché italien est l’un des plus profitable pour Eberhard aussi présent en Espagne, en Allemagne, aux USA ainsi qu’au Japon. «Nous ne sommes pas présents sur le marché chinois actuellement», relève le directeur général Mario Peserico, «cela demanderait de gros investissements en termes de marketing, ce quoi n’est pas à l’ordre du jour pour une marque de niche comme la nôtre».

Mario Peserico, directeur général d’Eberhard

En poste depuis 32 ans chez Eberhard, Mario Peserico est corps et âme au service d’Eberhard. Passant de Milan à La Chaux-de-Fonds sans transition depuis Tokyo, il se pose entre deux vols à Lugano, où est localisé le centre promotion et distribution de la marque.

En mains familiales

Lorsque les capitaux de l’entreprise ont été repris Palmiro Monti en 1969, à l’orée du tremblement de terre de l’arrivé du quartz. L’arrivé de cet homme de 32 ans à la tête d’Eberhard a secoué les neurones des têtes chenues qui peuplaient le conseil d’administration,

Depuis lors la famille Monti tient les rênes et fait prospérer la maison. Actuellement, outre les Monti majoritaires, Mario Peserico possède 5% des parts, il n’en fait pas mystère; la transparence est de mise dans la maison.

Cette prospérité n’est pas évidente à maintenir. En effet, l’horlogerie a connu une transformation structurelle énorme: La Fédération horlogère (FH) note que le nombre d’entreprises horlogères a passé de 1’600 sociétés en 1970 à 572 actuellement. Parmi elle, Eberhard a toujours su tirer son épingle du jeu, malgré les aléas de la conjoncture.

L’humus horloger

Pour définir l’esprit Eberhard, le directeur Peserico se réfère à deux valeurs apparemment antagoniques: innovation et tradition. «Valoriser et préserver l’héritage est important, mais l’humus horloger présent à La Chaux-de-Fonds permet de progresser techniquement et de proposer des nouveautés pointues dans notre marché de niche, la montre homme sportive». Pour l’enthousiaste dirigeant, «c’est le contenu plus que l’image qui compte chez Eberhard».

Chrono 4 PARDS, une collection limitée alliant Wild West et BD

Oscillant entre leg du passé et suivi des tendances, la marque garde ses racines. Et contrairement à la majorité de ses concurrents elle ne vend pas directement sur internet, seuls certains concessionnaires ont sacrifié à la mode virtuelle.

Pris entre l’obligation de soigner sa visibilité et développer sa modernité, Eberhard réussit pourtant à maintenir intact ce goût de la belle horlogerie qui a fait et fait toujours les beaux jours de la marque.

Une belle leçon de gestion intelligente et astucieuse du patrimoine!

Le patriarche Georges Eberhard