Une bath brasserie … dédiée au vin

Un bâtiment rénové abrite une des bonnes tables de La Chaux-de-Fonds. Viandes en plusieurs déclinaisons, deux poissons, des huîtres et une carte des vins à lire et relire.

Ouverte à l’année, sauf les dimanches et l’été, la vénérable bâtisse du n°1 rue de l’Hôtel-de-Ville, où se trouve la Brasserie homonyme est un rendez-vous gourmand prisé des Chauxois·es.

Cette maison de quatre étages est cotée niveau 1 (meilleure note 0) sur le plan de site de la Ville. L’inventaire suisse d’architecture INSA relève que la devanture que l’on devine sur un vieux cliché, date de 1900. Elle a été dessinée par l’architecte entrepreneur Louis Bobbia «pour Ulrich Frères, brasseurs».

Extrait de l’inventaire communal

Le Monument de Giacomo

Tenu longtemps par Giacomo Rizzo, le restaurant de l’Hôtel-de-Ville s’appelait alors le Monument, clin d’œil à la mahousse sculpture noire commémorant la prise de Neuchâtel par les républicains du Haut.

Collection privée

L’établissement a été repris en 2006 par un marchand de vin, le Fribourgeois Pierre Wyss.

Il a acquis l’immeuble pour sa grande cave voutée garante d’une bonne conservation des nombreux crus, grands et petits, entreposés à température constante. La cave est toujours là, avec son vaste choix de vins à des prix imbattables sur la place, ce négociant sachant mettre à la carte des flacons à point pour les boire sans délai (avec modération 🍷). On peut d’ailleurs réserver, à partir de 8 convives, un carnotzet situé dans ce sous-sol, une grande table carrée avec vue sur les caisses et les bouteilles.

En sous-sol, un carnotzet

Noémie et Aurélien reprennent  

Après un intermède noté au Gault et Millau (le chef était aux fourneaux dans deux cuisines, la cotation n’a pas duré), suivi d’une baisse de fréquentation, Wyss cherche à vendre. En 2020, Noémie et Aurélien Benoits un jeune couple ambitieux, acquièrent l’immeuble; un rêve quasi inaccessible à leurs yeux qu’une banque de la place a accepté de financer. Ainsi avec l’aide hypothécaire de la Raiffeisen, le couplereprend la Brasserie de l’Hôtel-de-Ville, abrégée désormais BHV, allusion au fameux grand magasin parisien BHV Bazar de l’Hôtel de Ville situé rue de Rivoli.
L’établissement chauxois est., toutes proportions gardées, également un gros bateau qui sort quelques 1000 couverts par semaine.
L’objectif n’est pas de figurer dans un guide, mais d’avoir des clients: «À mes yeux, explique Aurélien, le meilleur restaurant est celui qui est complet! Il vaut mieux avoir l’œil sur les réservations que sur la date de sortie des guides».

Équipe soudée

À l’accueil, le patron Aurélien met la main à la pâte, sans rechigner, attentif à tous les détails. «Monsieur Wyss m’a appris la régularité et la rigueur au travail qui portent leurs fruits aujourd’hui. Sans lui mon parcours aurait été différent». Au service, il dirige sans ego surdimensionné, une équipe soudée présente depuis plusieurs années. Ielles reçoivent fort civilement la clientèle variée de l’établissement, secondés par Clément, le sommelier indispensable pour s’y retrouver dans la tentaculaire carte vineuse.
En cuisine, Thomas Fall et sa brigade de sept employé·es, préparent une carte classique qui recèle quelques pépites. Attentifs à ne cuire (pres)que du frais, l’inventivité est tant dans les goûts que la présentation. Sorti de l’école hôtelière de Tours, Fall est un grand professionnel exigeant. Montant les échelons un à un, de commis à chef, il est ainsi arrivé à La Chaux-de-Fonds.

La façade fraîchement repeinte

Notons que la hiérarchie en cuisine n’a rien à envier à celle de l’armée: juste en dessous du sous-chef, on trouve même un aboyeur chef de partie, qui annonce les bons pour les plats à confectionner. Mais ce n’est pas le cas à la BHV, Aurélien et Noémie privilégient le travail d’équipe: «Le côté militaire en cuisine n’est pas obligatoire », souligne le patron.

Tourangeaux en force

Vous connaissez peut-être Tours, sympathique ville gourmande de la Loire. Patrie de Rabelais, Balzac, Courteline, Jacques Villeret et Patrice Leconte, c’est de là que sont partis les piliers du team, Aurélien et Noémie, Alexis, Thomas, Laurianne et Priscilla pour coloniser les montagnes neuchâteloise. Heureuse initiative.
L’équipe est fidèle au poste: Aurélien et Noémie avec Mustapha le timide dit Moustique, sont les doyen·nes des lieux (17 ans de BHV), suivis de Frank (16 ans), Alexis, petit frère de Noémie (14 ans), Clément (13 ans), Thomas (4 ans) Camille (3 ans) Prescillia, Laurianne et Alice (2 ans).
La dernière arrivée, Charlène ( 1 an), fleuriste au départ, s’est découvert une vocation pour le service. Elle n’est pas de Tours, mais de Nully en Champagne. Enfin, citons les apprentis, Eric, Jennifer et Sofia. En guise de debriefing et histoire de préparer la semaine à venir, toute l’escouade mange ensemble le samedi soir.

Chaque l’été, ielles se retrouvent pour 10 jours de fête en pleine campagne (on appelle désormais ce genre de ribouldingue du teambuilding 😊).

Plus classe, le premier étage

Formation des jeunes

Stagiaire de plusieurs grandes tables, Thomas Fall a fait ses armes notamment chez Tanguy Rattier, chef d’origine nantaise qui office désormais dans les Alpes françaises. Chef souriant, cet homme féru de précision met un point d’honneur à former des apprentis: «Il y en a trois dans la brigade, il faut penser à la relève». Il a passé son diplôme de formateur au CPNE.
Aux fourneaux, Fall a un faible pour la cuisine chaude, qu’il s’agisse de légumes, de viandes ou de poissons: «Il faut que ça bouge, je suis un vif. Bon, il n’est pas simple de modifier une carte appréciée. Notre idée est de petit à petit offrir des plats plus inattendus pour faire le palais de nos hôtes en quelque sorte, une manière de montrer notre savoir-faire». Son entrée de ris de veau croustillants est une réussite; accompagnés d’un jus de carcasse de volailles maison cuit 24 heures et relevé d’ail, c’est juste «comme il faut» dirait Boucle d’Or.

«Les clients sont contents, je le suis aussi». Il considère que son poste à la BVH s’inscrit dans la suite logique de son évolution, il espère pouvoir continuer à explorer d’autres trésors gastronomiques locaux, au-delà par exemple  du traditionnel suprême de volaille au vin jaune et morilles.

Une mention particulière pour Camille, cheffe de partie pâtisserie qui prépare un Paris–Brest d’anthologie. Nous y revenons plus bas.

Camille la pâtissière crée des desserts merveilleux

Après ces présentations, passons à table.

Étonnante sauce pour burger

À la carte un burger sauce cheddar. Autant l’avouer: j’aime ni le cheddar ni les hamburgers, le truc du pain fourré de viande hachée plus ou moins cuite ne me semble guère être un sommet de l’art culinaire. Sacrifiant aux tendances du siècle, la Brasserie de l’Hôtel-de-Ville a néanmoins trouvé une formule plaisante au palais: un bœuf tendre et juteux, sans 23 ingrédients pour hipster, est opportunément nappé d’une sauce crémeuse avec une pointe de cheddar pas trop salé.

Au-delà des burgers

Signalons un classique tataki de thon snacké ainsi qu’une excellente souris d’agneau caramélisée, un des plats signatures de la BHV.
Pour les nostalgiques des plats de grand-maman, l’œuf en meurette s’impose, la sauce bourguignonne au vin, oignons et petits lardons aiguise les papilles! En outre, la côte de porc fumée servie sous cloche est un spectacle prenant, la texture du porc est à l’avenant.

Au rez-de-chaussée

Sinon, carte classique, à ne pas manquer si vous appréciez les abats, les rognons de veau aux morilles avec tagliatelles. N’hésitez pas à plonger les tagliatelles dans la cassolette des rognons afin de les imbiber de sauce.

Pour échapper à la chair animale, une composition végétarienne avec morilles et purée de pomme de terre avec un léger goût de fumé.

Ce n’est pas à la BHV qu’il faut aller chercher des poissons rares de mer ou de lac, le menu n’annonce que d’honnête filets de perche et une darne de saumon présentée en duo avec un foie gras poêlé.

Dessert cycliste

La course Paris-Brest a donné naissance à ce dessert rond, genre d’éclair fourré de crème au pralin. Si votre nutritionniste ferme les deux yeux, n’hésitez pas devant la carte: le Paris-Brest qui sort tout frais des cuisines de la BHV est d’enfer! Classique, moelleux, farci à ras bords, un délice visuel d’abord. Demandez au moins deux cuillères, les autres convives vont vouloir le goûter.

Pour accompagner ce délice, ajoutez de la jouissance à la volupté en commandant un verre de moelleux bordelais Peyruchet 2021, un pur sémillon. On trouve en cave de vieux Yquem doux aussi, cependant attention: là, il faut casser sa tirelire.

Pour celleux qui ont l’estomac solide, faire un détour par le plateau de fromages. Cela devient une rareté dans nos contrées. Il est attrayant, avec une sélection de croûtes fleuries qu’on a rarement au frigo à la maison.

Faire sauter les bouchons

Question flacons, difficile de savoir où commencer… Rien que la carte hyper-précise des vignobles présents en cave donne le tournis. À lire avec une loupe pour les afficionados.

Cellier bien garni

En bref: une petite sélection de Neuchâtel, quelques vins bio assortis d’une majorité de vins de nos voisins. Clément le sommelier ne jure que par les cols de son pays d’origine. Le carte fait la part belle aux vins bordelais. La Bourgogne est bien représentée, la Vallée du Rhône moins étoffée; les amis de Bacchus seront comblés.

Pas de nectars italiens, espagnols ou de spécialités exotiques, reste qu’avec 500 appellations répertoriées numériquement, pas de quoi se lasser. «Tout est millésimé, sauf les champagnes ordinaires», tient à préciser le sommelier Clément, un homme de bon conseil, fin palais issu d’un lycée viticole.

Signalons que le premier mousseux est un œil de perdrix brut de Neuchâtel, fort abordable.

Le patron aime le foot

Pas de grand écran pour suivre des matchs, non, Aurélien Benoits chaussait régulièrement les crampons pour entraîner les juniors du FCC. Il a contribué à lancer la carrière d’un sprinter d’élite, Bradley Lestrade qui jouait dans son équipe d’espoir. Lors d’un match junior, Lestrade a rattrapé tellement vite un adversaire qu’Aurélien l’a signalé au mal-aimé entraîneur des coureurs chauxois, le dénommé René Jacot.
Lestrade a tôt fait de pulvériser plusieurs records de l’Olympic, club d’athlétisme local avant de faire la carrière internationale que l’on sait.

Entresol de la BHV

La sportivité du sieur Benoits ne s’arrête pas aux portes des terrains de la Charrière: il invite régulièrement de petits footeux de familles dépourvues de grands moyens à se goberger gratis dans son restaurant. Chapeau pour la générosité. Dans la même veine les enfants d’un foyer de la ville ont été invité à réveillonner à Noël l’an dernier. «Ces action me tiennent à cœur je suis issu d’une famille nombreuse. J’ai grandi au cœur d’une ZUP (grand ensemble de HLM en périphérie ndlr). Sans le soutien d’associations locales qui nous emmenaient aux sport d’hiver, je ne saurais certainement pas skier», se souvient le Tourangeau.

Vaut le détour, selon les huiles

Comme dit un certain guide, la maison mérite qu’on la considère. Tables joliment dressées – le soir on y déguste dès l’arrivée en guise d’amuse-bouche des rillettes maison, un duo carrelet-sardines.

Table du soir

Consultant le livre d’or, on déchiffre un long éloge du ministre Ignacio Cassis, la signature de Pascal Couchepin et d’Eric Cantona, du beau monde qu’a imité Stéphane Lambiel, autre convive connu.

Plaisir …

À la BHV, toujours du plaisir, on y mange bien et on y boit dans des verres de race et de classe. Un soir, j’y ai appris en écoutant un dialogue entre deux serveuses qu’un verre à eau s’appelle un gibraltar. C’est un genre de gros gobelet à pied rond devenant un peu hexagonal, on croit qu’il vient de chez Ikea, mais ça trompe, c’est du verre, pas du Duralex de cantine.

Au fond le bar

… et anecdote

Cerise sur le gâteau, il y a à l’entresol, où des sièges rouges attendent les convives, une série de belles photos noir-blanc qui donnent un léger air rétro à cet espace. À droite du grand miroir, trône un cliché d’un homme à table, affublé d’une vaste moustache blanche.
C’est le père du patron, qui invitait son fils une fois l’an a un repas entre mecs, le 31 décembre à midi, dans, vous l’aurez deviné, une bonne brasserie de Tours.

Bon appétit.

P.S. Chaque automne, la chasse est à l’honneur, avis aux amateurs et amatrices. En 2023, la nouvelle carte a ouvert les feux le lundi 25 septembre.

 

Brasserie de l’Hôtel-de-Ville , ouverte tous les jours sauf le dimanche, en vacances l’été.

Photos: Nadia Vuilleumier / BHV