Luna des bois cueille la nature

Luna habite dans les bois en dessus de La Chaux-de-Fonds. Son jardin est une merveille. Combinant anciens savoirs et nouvelles recettes, cette herboriste crée crèmes, teintures et tisanes.

Polyglotte, globe-trotter, proche de la nature la quarantenaire Luna vit perchée près de la Villa Blanche sur les hauts du quartier de Montbrillant. Elle jardine une partie de sa vaste surface de quelques 1000 mètres carrés. Entouré de forêt sur trois côtés, cette parcelle bichonnée est foisonnante de vie.

Lieu privilégié hors de la ville

Parcours atypique

Après un emploi d’assistante dans un institut de prêt bavarois qui lui fait passer l’envie d’une carrière bancaire, elle décide à 22 ans de partir en voyage. Après avoir bourlingué en Amérique centrale puis séjourné à Berlin, elle se retrouve en l’Égypte où elle a accouché de sa fille. Ayant assez roulé sa bosse, Luna finit par se poser sous les sapins jurassiens. Une histoire d’amour avec un Chauxois en fait.

Une fois installée dans la contrée, elle décide de gagner sa vie en utilisant ses compétences linguistiques. Elle travaillera un temps pour l’ombudsman de Berlin et traductrice à la caisse de pensions des horlogers elle enseigne désormais l’allemand dans le privé. Comme quoi la banque mène à tout.

Aïeules motivantes

Comment en est-elle arrivé à mettre des gants pour biner la terre? «Mes grands-mères étaient toutes deux des femmes de la terre et avaient des connaissance en plantes sauvages. Pas les mêmes, leurs savoirs en matière de plantes médicinales étaient complémentaires.»

Savoir-faire ancestral

Petit à petit, Luna a acquis de nouveaux savoirs en potassant des livres d’histoire ancienne, Hippocrate, Hildegard von Bingen entre autres. «J’ai ainsi appris de nouvelles recettes, une philosophie des plantes».

Être diplômée, incontournable

L’an dernier elle entame une formation en phytothérapie. En effet il lui faut obtenir un papier attestant de ses connaissances pour avoir le droit de facturer ses conseils. «De nos jours, sans reconnaissance officielle, attestations, diplômes et autres papelards, personne n’a plus le droit de vanter des produits naturels. Ça m’évitera peut-être des problèmes», souligne-t-elle. «L’ennui, c’est que souvent l’enseignement en phytologie reste très théorique», regrette cette grande dame des bois au rire communicatif.
De nos jours, les gentilles sorcières doivent être certifiées conformes…

«Le hic c’est que l’on est censé, comme thérapeute, se fournir en plantes en pharmacie ou herboristerie, pas les faire pousser à domicile», explique Luna. «Et de toutes façons, je n’aurais pas le droit de vendre mes produits cosmétiques ou alimentaires, ce sera encore une autre paire de manche si je veux être agrée par les diverses instances de contrôle fédérale et cantonale.» Elle ne pourra guère prescrire des tisanes ou des cataplasmes, car là aussi, il faut détenir un document assurant qu’on a suivi trois ans de cours de médecine, pathologie, anatomie, physiologie et tout le tintouin.

Avant de jardiner à large échelle à 1000 mètres d’altitude, Luna a parfois aidé ses parents au potager. Bref, les corvées de haricots, elle connaît.

Limaces et parasites

Son plus gros défi à l’heure actuelle avec sa grande surface? «Le combat contre les limaces et … le manque de temps. En général, il s’agit de contrer les parasites animaux ou les champignons qui te bouffent tout si tu ne luttes pas», s’exclame notre interlocutrice.

De beaux lupins

Outre la plantation, la chasse aux limaces et les récoltes, Luna s’est attelée à mieux faire connaître le rôle de la nature dans notre alimentation et notre équilibre. Afin de partager ses savoirs et en les vulgarisant, elle organise des cours sur les plantes hôtes de nos forêts et leur cueillette ainsi que des brunch aux plantes sauvages.

Respecter la terre

Quel est son objectif? «Je veux partager ma passion, aider les gens à se (re)mettre en contact avec leur lieu de vie, car ils vivent sur la terre un peu comme dans une grande maison qu’ils ne connaissent pas ou mal. J’explique ce que l’on risque de détruire avec certaines méthodes de culture et nos habitudes alimentaires. Je tente d’inculquer une forme de respect du sol.
Autrement dit, je souhaite lever les appréhensions actuelles face à la nature pour la respecter. J’ai l’impression que les gens ont peur de se rendre en forêt ou de manger une plante inconnue par exemple.
Car on craint l’acidité des pluies sur les champignons ou la pisse du renard sur les fraises des bois. Alors que la terre nous nourrit, on a, en quelque sorte, perdu le lien avec elle. Tout est devenu industriel parce que c’est soi-disant moins dangereux que les produits sauvages. Pourtant, les plantes sauvages sont les fruits normaux du sol», philosophe Luna qui fonctionne beaucoup à l’intuition.

Trois plantes médicinales

Le jardin est parsemé d’herbes connues de nos grands-parents pour leurs vertus curatives, herbe qui tendent à être supplantées par des molécules chimiques synthétiques aseptisées et plus lucratives.

Sans entrer dans les détails techniques, elle nous décrit trois plantes phares (par ordre alphabétique):

Le Calendula ou soucis. De la famille des Astéracées comme l’arnica utilisé en homéopathie, c’est la fleur des petits bobos, qui soigne bleus et contusions. Elle utilise surtout le produit de la macération (3 semaines dans de l‘huile d’amande douce en pots placés à l’ombre) pour lustrer les peaux sèches.

La consoude, utilisée en pommade ou macération alcoolique. Comme son nom le laisse entendre, elle sert principalement à consolider les tissus déchirés ou irrités (foulures, luxations, fractures, tendinites, etc.) des plaies ou des brûlures. On pourrait en manger parfois, jeune crue en petite quantité, car ses alcaloïdes sont toxiques pour le foie.

La valériane, , dont elle utilisé les racines séchées et coupes en morceaux pour en tirer une tisane calmante qui facilite sommeil. Dite aussi herbe-aux-chats, la valériane est commune dans nos contrées.

Pléthore de courges

Surprise il y a quelques années: dans un coin du jardin, une trentaine de belles courges ont vu le jour. «Elles ont poussé à un endroit où j’avais mis tout mon compost en vue d’agrandir la surface du jardin. J’avais placé là plein de déchets végétaux ,mêlés à des branchages. J’ai semé à la volé un bocal de graines, semences provenant de courges mangées au cours de l’année précédente. Ça a cartonné!»

Abondance verdoyante

Bon, ce succès ne s’est pas reproduit: «C’était un coup de bol qui s’explique assez aisément par la présence d’un riche compost».

Interventions au compte-goutte

Luna laisse une partie de ses plantes grainer «afin que le jardin se développe de manière autonome. Je déplace certaines plantes, par exemple de petits poireaux qui se sont reproduits. Ils sont mis plus loin, histoire d’établir une sorte de rotation culturale. Elle procède ainsi à un minimum d’interventions.

Poules et coquilles d’œufs

Comme toute jardinière qui se respecte, Luna recycle au maximum les déchets de sa vie quotidienne. Comme elle possède outre son jardin, un poulailler abritant sept poules et un coq, elle dispose de force coquilles d’œufs. Elle les collecte, les brise menu avant des placer autour de ses plantons. «Cela participe de la lutte perpétuelle contre les limaces, mais ça marche pas super, il faut l’avouer. Reste que c’est un bon engrais minéral».

Poules heureuses et fier coq

Autre produit recyclé, le marc de café. Luna le sèche, puis le mélange à la terre autour de sa fleurs et des légumes.

Enchantement

Toute à sa volonté d’enseigner, la dame aux pouces verts est motivée «de voir les gens s’enthousiasmer quand ils découvrent émerveillé·es les joies et astuces de la collecte en forêt. Goûts et odeurs enivrent, surprennent «et parfois ils adoptent au quotidien les plantes que je leur ai montrées. Ce sont de petits graines de vie que je sème.»

Curiosité tous azimuts

Luna aime tester, essayer des recettes, bref, elle goûte à tout ou presque. Elle apprête ses plantes forestières en pesto, en vinaigre ou tisanes; elle crée des câpres de pissenlit, de la poudre d’orties pour salades des huiles parfumées. «Je ne distille pas de schnaps par contre», rit-elle à gorge déployée. «Je me nourris essentiellement de mon jardin et pas que des légumes. Même en été, je ne suis pas vraiment autonome, je vais acheter des légumes «rouges» car j’ai presque uniquement de la verdure en plein air. J’ai quelques tomates et poivrons en serre, cela ne me suffit guère, question quantité. Car poireaux, choux, salades, épinards, c’est que de la verdure. Je n’ai pas le temps pour viser une autarcie alimentaire complète.»

Jardin Luna

Harmonie active

Comment équilibre-t-elle les activités de jardinage avec celles plus urbaines de l’enseignement de l’allemand? «Je suis active de l’aube à la tombée de la nuit. Je me pose rarement pour lire un livre, sauf le soir. En été, tant qu’il y a de la lumière et qu’il fait assez chaud, je suis dehors».

Heureuse femme!

 

Interview: Emeline Fichot, photos: sophiestieger.ch