Aux sources de la pédagogie façon Faller

Pour les 100 ans de la Chorale Faller, retour sur le parcours du fondateur, organiste, compositeur et pédagogue, Charles Faller, ancêtre d’une dynastie de musicien·nes.

Sans lui, il n’y aurait jamais eu de conservatoire à La Chaux-de-Fonds, pas d’orgue à la Salle de Musique, et pas de Chorale Faller. Né à Genève en 1891 d’un père administrateur postal et d’une mère institutrice dans une école privée, Charles Faller a marqué la première partie du XXe siècle chez nous.

De Lyon au Locle

Il fait ses débuts comme professionnel comme organiste à Lyon. Il y rencontre son épouse, la cantatrice Caro Mathil avant de fuir la guerre en 1914. Un an plus tard, il se retrouve au Locle pour y tenir l’orgue du Temple.
Auréolé à 19 ans du Prix de la société des musiciens suisses, le tout jeune Faller s’est attelé à la tâche que son maître Émile Jaques-Dalcroze décrit ainsi dans une lettre signée «Ton vieux maître qui t’aime»: «Ton rêve était de déjà de faire tous les efforts pour “musicaliser” une ville ou un village comme l’avait fait Liszt à Weimar. Ton vœu s’est réalisé et grâce à toi, La Chaux-de-Fonds est devenue un des plus importants centres musicaux de la Suisse. Je suis fier de toi.»

Faller à l’orgue (Archives du Conservatoire)

Collège Musical puis Conservatoire

Quelques années avant la création du Conservatoire, le Collège Musical avait été fondé entre autres par Charles Faller, Georges Pantillon et Félix Ducommun. Cependant, en raison de différends liés aux «méthodes pédagogiques et administratives», Charles Faller quitta le Collège Musical. Poursuivant ses activités de chef d’orchestre, Faller tisse sa toile et ouvre une école de musique, ébauche du futur Conservatoire qui verra le jour en 1931.

Il dirige deux chœurs dans les montagnes neuchâteloises, la Société de chorale mixte du Locle et la Société chorale de La Chaux-de-Fonds,

Les deux formations chorales fusionnent en 1923.

Omniprésent

Au-delà de notre ville, Faller était partout: entre deux leçons de musique prodigué en ses murs, il siégeait à la commission des programmes de la radio romande, tenait l’orgue de la cathédrale de Lausanne. Exubérant, il écrivait force lettres de recommandation et de nombreux rapports, toujours pour encourager, soutenir, améliorer la vie musicale en Suisse romande.
Membre fondateur de l’Institut neuchâtelois qui entendait regrouper les intellectuels de tout le canton et de les faire se rencontrer, cet infatigable pédagogue avait de qui tenir.

Discipline à domicile

Gouvernant une famille de dix enfants, sa mère fut sa préceptrice privée. Son influence fut prépondérante durant son enfance et son adolescence.

Précisons que Charles Faller n’a jamais mis les pieds dans une école publique. En effet, victime tout gamin d’une fracture du crâne exigeant des soins, il suit à domicile un programme mitonné par sa mère.
Voyons pourquoi et comment il devint discipliné et bûcheur.

Institutrice hors pair

Charles Faller a gardé un cahier rédigé par sa mère qui lui inculqua le goût de l’ordre et l’habitude du labeur.

En voici un extrait. En avril 1904, elle notait:

Mon cher petit Charlie,

Je me sens pressé de m’entretenir sérieusement avec toi, car tu vas avoir treize ans et entrer dans une phase importante de ta vie si tu veux réussir soit comme homme soit comme artiste. (…) Il s’agit de développer tes qualité si tu sens que tu en as, et d’extirper tes défauts, ce qui est difficile, l’amour-propre nous empêchant de convenir de nos torts et par conséquent de les étouffer.

Programme implacable

Elle indique ensuite à son fils ce qu’il doit faire le lendemain:

Voici, à mon avis, comment tu devrais employer ta journée à sentir que tu fais des progrès dans les différentes branches que tu étudies:

8h à 8h.30  solfège – Chanter une fois tous les petits morceaux donnés par M. Jaques, mais surtout les moins connus.

9h à 10h : solfège au Conservatoire, J’aimerais te voir plus animé, l’air heureux et chantant de façon à ce que j’entende ta voix: cela me ferait du bien au cœur.

10h.30 à 11h.15: tâcher de résoudre deux ou trois problèmes Romieux. Marque les explications à côté des chiffres: c’est plus important que d’écrire l’énoncé.

11h.15: passé défini des verbes des quatre conjugaisons, être, avoir, aimer, finir, apercevoir, rendre.

11h.45: à 12h.: gamme (trois fois) de fa dièze. Improviser. Contrepoint selon les indications données.

13h.30 à 14 h.: répétition du Petit Favarger.

14h. à 15h.: géographie: étudier les canton de Glaris. En faire la carte sur une feuille détachée. Lire c qu’en dit M. Chaix. Dessiner la carte.

Ainsi de suite jusqu’à

20h, ta maman t’embrasseras toute heureuse si tu as réussi à bien remplir ta journée.

Mère-poule, Emma lui enjoint jour après jour de persévérer et ne cesse de le talonner. Ainsi le cahier reflète l’inquiétude de la génitrice: «Mon Charlie, n’oublie pas que tu m’as promis de te gargariser matin et soir avec de l’eau salée afin d’essayer de faire revenir ta voix».
Bref, l’ado est allé à rude école. Ainsi drillé, il a développé des capacités hors du commun.

Ardeur et talent

Des années plus tard, le localier de l’Impartial Jean-Marie Nussbaum relate la hâte du personnage: «Il ne marche, pas il court. Toujours en train de rater l’autobus. Torse en avant, il essaye de se “rattraper”. On l’a vu plus tard, à scooter, partition sur la porte-bagage, lutrin au guidon, en équilibre instable, démarrer en zigzaguant sous l’œil craintif des passants».
Sa légendaire capacité de travail en a impressionné plus d’un, sa ténacité aussi.

Passionné de Bach

Faller se méfie un peu de la radio et des enregistrements; il note dans un article qu’en musique «on a la radio, le disque. Mais quand on a écouté un concert à la radio que s’est-il passé? Rien. L’orchestre fait de la musique, l’auditeur point. La salle de concert, c’est différent … Il y a échange d’individus à individus, ça bouge … il a fallu faire quelque chose, ne serait-ce qu’enlever ses pantoufles».

En sa qualité d’organiste, Faller adorait celui qu’il appelait «le vieux père Bach». Il lui attribuait «une intuition extraordinaire» qui le rendait capable de «construire des ponts entre les choses et ça aboutissait aux résultats les plus étonnants, à des inventions!». Faller s’émerveillait que ces étonnantes inventions soient demeurés aussi admirés de nos jours «car Bach n’avait jamais pensé que sa musique lui survivrait».
Celles et ceux qui ont eu la chance d’écouter Charles Faller à l’orgue jouer une toccata du grand génie en gardent un souvenir ému.

Patrimoine bafoué

Malgré ses mérites et son aura, Charles Faller a été vite oublié lorsque les pianos à queue du Conservatoire ont été déplacés arbitrairement sous d’autres cieux. C’est ainsi que fut concrètement activé le déclin d’un patrimoine immatériel fait d’initiative et d’intuition.

Pour conclure sur une note plus optimiste, citons l’ouvrage consacré à Charles Faller, dont sont tirées la plupart des informations relatées ici. Collationné par le journaliste Jean-Marie Nussbaum, ce recueil de textes et documents est consultable en salle de lecture à la Bibliothèque de la Ville (Cahiers de l’Institut neuchâtelois, Éditions de la Baconnière, 1967): Le grand service que Faller a rendu à ce pays, ce fut de lui apprendre qu’un lieu vit surtout par l’art qu’il crée lui-même non par celui qu’il importe.

Nous ne présentons pas ici la dynastie de musicien·nes qu’il a engendrée; sachez que ses deux filles Elise et Andrée ont chacune obtenu au Conservatoire de leur père un titre de virtuose, la première au piano (1936), la seconde au violoncelle (1941). Après le décès de son père, son fils Robert, corniste, prit sa succession  à la direction du Conservatoire et de la Chorale Faller.

Fringante chorale

Cent ans ont passé et la Chorale Faller chante toujours! Dans le programme du concert du jubilé, Mona Ditisheim, petite-fille du fondateur, souligne que «l’esprit de Charles Faller demeure, lui qui voulait permettre à chacun de faire de la musique, quelles que soient ses connaissances et ses compétences musicales. Cent ans plus tard, (..) l’objectif – faire de la musique avec plaisir – est toujours le même!».

Décédé en 1956, Charles Faller a dirigé le jour précédant sa disparition le Requiem de Mozart.

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La Chorale Faller

Un concert attendu

La Chorale a donc survécu à son fondateur. Comme le notent la présidente Ines Pisquem et la vice-présidente Maud Cosandier «robuste centenaire, enrichie de ses expériences passées, la Chorale Faller a toujours su rebondir (…) pour se présenter fièrement aujourd’hui et vous faire vivre musicalement ce bel anniversaire».

Pour le célébrer dignement, la Chorale s’est adjoint les services d’un orchestre et de cinq solistes.

Des jeunes à l’archet

L’orchestre Jubilus est un ensemble composé de professeurs des écoles de musique romandes, d’élèves des HEM, de classe préprofessionnelle ou issus des écoles de musique. Pour ce projet, 7 musiciens professionnels encadrent 7 étudiants et 2 élèves ayant obtenu leur certificat.

Le chef de chœur Pascal Dober a fait ses études musicales supérieures au Conservatoire de Lausanne où il a obtenu un diplôme d’enseignement. Spécialiste de la flûte à bec, il a enseigné son instrument durant une bonne trentaine d’années au Conservatoire Neuchâtelois. Il dirige la Chorale Faller depuis 2007 avec laquelle il explore le répertoire choral du Moyen-Âge à la création contemporaine, surtout en formation a capella.

Solistes 

Italienne pur sang, née à Cagliari, Francesca Puddu, alto bien connue chez nous où elle anime l’ensemble La Sestina, qu’elle a fondé et le groupe vocal CantAmille ainsi que la chorale de la Mission italienne de La Chaux-de-Fonds. Elle est membre de l’Ensemble vocal de Lausanne. Elle participe comme soliste à de nombreux ensembles en Romandie. Elle enseigne l’initiation musicale au Collège Musical.

Elle est accompagnée de la soprano Laurence Guillod, soliste diplômée de la HEMu de Lausanne. Laurence Guillod met ses cordes vocales au service d’un répertoire varié touchant à l’opéra, au concert et à l’oratorio. Elle a obtenu le prix Max Jost et passé une saison au sein de l’Opéra Studio de Bâle et a gagné en 2014 le prix spécial Claudio Abbado.

Matthias Geissbühler, basse, a travaillé le chant avec plusieurs professeurs. En parallèle, il a réalisé un diplôme d’ingénieur EPFL en microtechnique suivi par un doctorat en optique biomédicale. Sur scène, il a interprété différents rôles à l’opéra. Il a une passion pour le Lied et les cycles de Franz Schubert et Robert Schumann ne cessent de le fasciner. Outre le chant, Matthias Geissbühler affectionne le théâtre et se produit en tant qu’acteur tant en français et qu’en allemand.

Jonathan Spicher ténor, a obtenu un master d’interprétation à la Musikhochschule de Zurich. Son éducation musicale est marquée par l’Ensemble Vocal de Lausanne dirigé par Michel Corboz avec qui il découvre les plus grandes œuvres de la littérature musicale. Il privilégie la musique baroque. Il développe une activité discographique importante avec des labels tels que Mirare ou Alpha. Son répertoire s’étend des madrigaux de Monteverdi à la Petite Messe solennelle de Rossini, passant par Rameau, Charpentier, Mozart, Haydn, Mendelssohn ou encore les Passions, cantates et la Messe en si de Bach. Il a tenu plusieurs rôles à l’opéra.

À l’orgue et continuo, Pierre-Alain Clerc. Il a été pendant près de quarante ans organiste des Églises St-Laurent et St-Paul à Lausanne. Outre son activité de concertiste, il a enseigné aux Hautes Écoles de Musique de Lausanne et de Genève, et au CNSM de Lyon. Il donne souvent des stages ou des interviews sur la déclamation classique française. ll préside l’Association Suisse pour un Théâtre à la Source.

Aucun doute que la fête sera belle!

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CHORALE FALLER avec l’orchestre Jubilus

La Chaux-de-Fonds Salle de Musique

Dimanche 29 octobre 2023

17h15

Programme:

Johann Michael Haydn (1737-1806)
Christus factus est

Joseph Haydn (1732-1809)
Stabat Mater

Entrée libre, collecte