Une pensée pour Christian Beuret

Il a été un peu partout, dans le monde et dans sa tête. Généreux idéaliste, Christian est parti vendredi 3 septembre rejoindre un autre univers.

Curieux de nature, il abordait de front ce qu’il aimait à appeler «les problèmes de fond»: Pourquoi la vie, comment construire son existence? Frappé d’une hémorragie cérébrale, il s’est éclipsé sans avoir répondu à ces interrogations.

Les hommages, nombreux, sont unanimes: cet homme était affable, gai, ouvert. Oh, il avait sûrement quelques côtés sombres, des moments de doute, le blues quoi. Pourtant ce militant, né en 1953, objecteur de conscience à l’époque où cela signifiait de longs mois de taule, était un nomade qui a voyagé comme cela se faisait dans les années 70: son périple avec des copains en van VW l’a mené en Afghanistan (avant les guerres quand il y avait encore un roi là-bas), en Inde, puis au Kenya et en Tanzanie. Le bus était solide, Christian aussi. Après un passage à l’alpage comme berger – c’était la tentation du retour à la nature – il revient à sa ville à la campagne, la réalité soulignait-il.

Depuis que je le croise, lui, sa femme Josiane et ses cinq grands enfants, j’ai l’impression d’avoir toujours vu s’agiter cette espère d’archange protecteur au grand nez et au vaste sourire. S’agiter pour les autres, entendez les cabossé·es de la vie, les refugié·es, chômeuses ou chômeurs, bref toutes celles et ceux qui ont moins de chance que nous, braves Suisses privilégiés qui ont tendance à l’oublier.

Le grand Beuret n’oubliait pas, récoltait des fonds pour Haïti, île de malchance, présidait les associations en mal de dirigeant efficace et surtout, créait celles qui manquaient pour concrétiser l’aide si nécessaire à ses yeux. Et une fois le club créé, il s’empressait d’organiser fêtes, réjouissances et grandes bouffes agrémentées de chansons et danses.

Il fondait, bâtissait, inventait car la Création était pour lui un moteur. Chrétien, mais pas trop, ni pontifiant, ni missionnaire, il était universaliste et humaniste d’abord. Comme un certain Joseph Zisyadis, il a étudié la théologie. Ses valeurs étaient celles des scouts de la troupe St-Hubert où il avait appris la persévérance, l’amitié, le respect des hommes et de la nature.

Impossible de citer ici tous les combats menés, les débats suscités, les journées de réflexions mises sur pied en ne comptant pas sa peine. À se demander où il puisait la force de réaliser autant de démarches, tel un poulpe à douze tentacules débordant d’énergie. Je n’arrive pas à me remémorer la liste de ses actions de solidarité, tant il en a eu.

Mentionnons toutefois deux lieux qu’il a animé de sa présence charismatique: le Louverain pendant 15 ans et la Joliette pendant 20 ans. Les personnes l’ayant croisé en ces lieux lorsqu’il était «aux manettes» gardent un souvenir radieux de son passage, de ses conseils et de son empathie. En leur nom, merci Christian.

Christian prenait des risques, celui de déplaire parfois, mais il savait faire plaisir aux gens, les mettre en valeur, lui restant modeste, en Chauxois diplomate. Il savait qu’il ne faut pas trop chatouiller le Chaux-de-Fonniers, fier de ses tas blancs et de son esprit ouvrier. Il parlait avec ferveur de la Ville, soulignant son absence d’élite aristocratique, son manque de lac et de vues sublimes pour attirer le touriste. Il est ainsi resté attaché à sa ville natale bien qu’il habitait aux Hauts-Geneveys depuis presque 40 ans.

Beuret au Tibet

Revenons un instant en arrière. Dès l’enfance, Christian s’est entiché de Tintin. Il adorait surtout l’album où le Belge va chercher dans les neiges de l’Himalaya son ami Tchang défiant la logique des gens raisonnables. Beuret a même consacré un mémoire de fin d’étude à cet album mythique. S’identifiait-il au petit reporter blond? Il est trop tard pour le lui demander.

Au-delà de sa fonction d’assistant social ou de président, son humilité et son rire fournissaient un terreau propice pour nouer des relations, créer du lien comme cela se dit de nos jour. Cette manière d’être simple et naturelle lui permettait de s’ouvrir aux inconnu·es. Et ce toujours dans l’optique de donner aux gens dans la mouise une raison de vivre, une possibilité de rebondir. Insertion, ouverture et rencontre, voilà les maître-mots de maître Beuret. Son dynamisme restera dans les mémoires.

Il aimait enfin citer l’amour entre les gens, liant indispensable à la vie sociale. Un amour qu’il s’agissait d’encourager, philosophiquement, spirituellement et pratiquement. Adepte du tutoiement, il trouvait si aisément la connivence avec les gens qu’il était difficile de se fâcher vraiment avec lui. L’amour en pratique quotidienne en quelque sorte.

A la retraite depuis 2017, il aurait pu s’arrêter de courir. Las, le bonhomme avait l’idéal de l’entraide chevillé au corps. Il a continué à vivre pleinement à 100 à l’heure.

Il est parti tel un éclair, comme la lumière qu’il était. Merci encore Christian, j’ose espérer que tu trouveras un repos bien mérité dans l’au-delà.

Pour en savoir plus, réentendre sa voix, n’hésitez pas, il y a deux jolis portraits d’une vingtaine de minutes de ce grand gaillard dans les archives de Canal Alpha.