Foyer Handicap: lieu de vie ou vie de caserne?

La direction de Foyer Handicap à La Chaux-de-Fonds a changé en 2021. Depuis, les résidant·es souffrent. Une rencontre révèle angoisse et malaise. Coup de sonde subjectif.

À l’heure où le canton de Neuchâtel claironne qu’un plan d’action en faveur de l’inclusion en 11 axes et 45 mesures est mis en place, 1000METRES.CH a rencontré plusieurs résidant·es de Foyer Handicap (FH) des montagnes neuchâteloises.
Cette maison est située rue des Moulins à proximité du collège de la Charrière. Il s’agissait de prendre le pouls de ces personnes fortement mécontentes avec la nouvelle façon de conduire leur Foyer, institution inaugurée en 1991.
Histoire de documenter le malaise qui s’est installé depuis le départ du directeur. Ayant géré la maison chauxoise durant 15 ans, Nicolas Jaccard a démissionné. Il s’en est allé le 30 juin 2020, car il n’était pas d’accord avec l’enveloppe budgétaire prévue dans le contrat de prestations proposé à l’époque par l’État.

Entrée de l’institution

Récriminations

Lors de notre rencontre avec une demi-douzaine de résidant·es et de parents impliqués, j’ai pu constater une accumulation de griefs, exprimés plus crûment que dans le rapport officiel (lire plus bas) dont la rédaction est fort gentille; en effet, il est difficile de critiquer ouvertement les responsables de ceux qui vous nourrissent et vous mettent au lit ou dans le bain.

Ici quelques remarques glanées lors de ma rencontre avec des personnes concernées:

  • Il faudrait permettre au parent qui vient de loin de passer la nuit sur place: en effet, cela était toléré auparavant, ce n’est plus le cas. (Rectificatif: c’est sauf exception possible, il faut annoncer à l’avance la présence d’un parent ou d’une connaissance)
  • Traiter tout le monde à la même enseigne est malcommode, exemple: «On ne boit pas tous du sirop». (Précision: des résidants diabétiques ont été mis à un régime plus strict)
  • Des cérémonies conviviales, comme une raclette de départ pour une employée, déplacée à midi à la place du soir alors que les résidants sont mis au lit à heure fixe, sans possibilité de prolongation.
  • De gros investissements sont consentis dans le matériel.
  • Une cérémonie pour honorer la mémoire une personne de FH décédée s’est déroulée sans le directeur. (Rectificatif: il était représenté par l’infirmière-cheffe)
  • Les personnes appréciées de résidant·es quittent le bateau, ne supportant plus l’ambiance actuelle.
  • «Nous ne sommes plus reconnus comme des personnes à part entière mais comme des situations à gérer, qui n’osent plus dire qu’elles ne sont pas contentes.».

En résumé, les témoignages sont concentrés sur les difficultés d’écoute, de coordination pour les horaires de sortie ou de départ, le manque de personnel (Le SAHA fait remarquer qu’il y a eu 2,5 EPT de plus l’an dernier) et tout ce que cela induit. Le relationnel est rationné en quelque sorte.

Dans le prolongement à l’est, le stade de l’école de la Charrière

Les propositions d’améliorations sont là. Reste que des manquements sont ressentis au niveau du suivi social par les assistant·es sociales, l’impression que rien ne bouge vraiment dans le sens souhaité (plus de liberté, moins de rigidité) est nettement perceptible.

Après avoir donné la parole aux personnes en situation d’handicap nous ayant demandé de les rencontrer, tour d’horizon de cette institution utile.

Lieu de vie

Une trentaine de personnes en situation de handicap peuvent habiter à l’année dans 29 petits studios dotés d’un petite cuisinette et d’une salle d’eau. Créée en 1983, une Fondation chapeaute les deux foyers de La Chaux-de-Fonds et Neuchâtel.

La volonté affichée par la Charte de FH est optimiste: FH doit offrir au résident un espace de vie personnel qui tienne compte de ses attentes matérielles, affectives, spirituelles, médicales.

La Mission que s’est assignée la Fondation FH est noble: gérer des Foyers destinés à l’hébergement, au maintien et à la réadaptation de personnes en situation de handicap physique avec pour but d’offrir des lieux de vie adaptés.

Côté rue des Moulins

Aménagées pour accueillir des personnes ayant besoin d’un accompagnement au quotidien, ces deux entités sont indispensables dans le réseaux social d’établissements spécialisés neuchâtelois. Le canton le sait, il verse quelque 5 millions de subventions annuelles pour permettre de s’occuper de personnes ayant de fortes voire très fortes limitations.

Dure réorganisation multisite

Après des remous en 2018, un audit interne conduit au changement cité à la tête des Foyers de La Chaux-de-Fonds et Neuchâtel dont la fusion est complexe. Le nouveau directeur, Fabrizio Cilli, venu de NOMAD, est nommé début 2021. Surprise pour les résidant·es en juillet de la même année, deux infirmiers chefs sont licenciés.
ArcInfo demande alors au président de la Fondation Foyer Handicap, Émile Saison, d’esquisser l’avenir. En effet, la réorganisation de Foyer Handicap se poursuit: «Nous voulons réunir les foyers de Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds tout en gardant les deux entités». Le quotidien note que le changement touchera directement le personnel. «Il sera appelé à travailler tant dans le Haut et que dans le Bas», précise le président.
C’est le début du chambardement.

Faire plus avec le même budget

Une partie du problème est financier: les résidants vieillissent et leurs besoins évoluent. Il faudrait donc augmenter les effectifs de soignants quand le degré de dépendance des bénéficiaires handicapés augmente. Avec un contrat de prestation, l’État n’adapte que périodiquement le budget aux besoins qui évoluent.

Force est alors de réorganiser, en introduisant de nouvelles procédures plus rigides, en évitant les heures supplémentaires pour compenser les absences. Cela crée inévitablement des surplus de fatigue, de la grogne et des démissions. On met par exemple, un veilleur de nuit à la place de deux. L’institution devient entreprise, avec certifications ISO, devenues nécessaires pour toucher des subventions.

Améliorations

Certes, il y a du positif dans le tournant pris afin «de s’ancrer dans une réalité actuelle de gestion différente, en lien avec notre contrat de prestations comme avec les évolutions sociétales», écrit le directeur Cilli*. Il a aussi réorganisé le suivi de la prise des médicaments, autrement dit dans le vocabulaire moderne de Monsieur Cilli, «mise aux normes concernant la distribution des médicaments». Auparavant, ce suivi n’était pas aussi rigoureux. Les soins quotidiens ont été également remaniés.

Changements difficile à vivre

Comment sont vécues ces nombreuses nouveautés? À mots couverts, les deux représentants des résidant·es de La Chaux-de-Fonds expliquent dans le même rapport annuel en date du 3 juin 2022, que «tout le monde tente de s’adapter aux divers changements successifs de ces derniers mois qui sont parfois un véritable bouleversement». Plus loin, ils notent que «l’impression de se trouver quelque fois devant le fait accompli est inconfortable pour certains».
En outre, il y a «trop de changements au goût de certains. Cette situation particulière que beaucoup espère provisoire est à l’origine d’un sentiment d’insécurité». Diplomates, ils notent en conclusion que «Pour que tout se passe pour le mieux pour la suite, des efforts de toute part devront continuer à être fournis pour que les promesses auxquelles chacun croit soit tenues».

Façade sud

Quand l’incertitude plane

En situation de dépendance, les personnes de ces foyers apprécie la régularité, le fait de retrouver les mêmes personnes qui s’occupent d’elles jour après jour. La perte de repères humains est angoissante lorsque vous êtes contraint·e de solliciter un infirmier ou une infirmière pour des soins simples. Être limité·e dans son autonomie est déjà suffisamment pénible «sans devoir expliquer aux nouveaux soignant.es comment on doit s’occuper de moi».

Foyer Handicap survivra-t-il à ce chambardement, restera-t-il un lieu de vie ou versera-t-il dans la vie de caserne?

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* Citations tirés du rapport annuel 2021, dernier disponible, aimablement mis à disposition par Mme Magaly Hanselmann, cheffe du Service d’Accompagnement et d’Hébergement de l’Adulte (SAHA).

 

Déclaration d’intérêt: le journaliste bénévole est président de Procap Suisse. Il s’est pris de bec avec le directeur F. Cilli au téléphone à propos d’une résidente empêchée de participer à la fête de Noël de Procap en 2021, sous prétexte de Covid.
V.O. Cilli: «Nous avons eu un mort à Foyer Handicap, vous vous rendez compte?».
Monsieur Cilli étant demeuré intraitable, pour lui pas question d’exception à la règle. Je n’ai aucun motif de solliciter son avis.

Les rectificatifs er adjonctions en italique ont été demandés lors d’une rencontre du reporter avec le SAHA et le comité de direction le lundi 11 décembre 2023.

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Petite leçon de mutation

Pour la bonne bouche, je ne résiste pas au plaisir de citer in extenso la manière d’envisager le changement prônée à Foyer Handicap. Car question changement, le directeur sait comment s’y prendre.

Texte original des conseils qu’il dispense dans le rapport 2021:

Je souhaite partager avec vous le principe de changement. Je veux prendre le temps de revenir sur les phases de changements en m’appuyant sur un modèle conceptuel, le modèle de Bareil et Savoie. Ce modèle correspond plus aux changements institutionnels que les phases de deuil du modèle de Kübler-Ross. Le modèle de Bareil et Savoie se base sur la préoccupation.

La préoccupation est définie comme un sujet sur lequel on s’interroge et sur lequel on aimerait avoir des éclaircissements ou des éléments de réponse.

Il ne s’agit par forcément d’un problème, mais plutôt d’inquiétudes et de questions face à une situation actuelle ou anticipée. L’intensité d’une préoccupation est fonction de l’importance que le sujet accorde à tel ou tel changement. Elle évolue au fur et à mesure de la progression du projet et peut s’accroître ou décroître.

Phase 1

Aucune préoccupation: comme si de rien était «Cela ne me concerne pas».

Phase 2

Préoccupation centrée sur soi: Sécurité de son poste : «Qu’est ce qui va m’arriver?».

Phase 3

Préoccupation centrée sur l’organisation : « Est ce que le changement est là pour durer?».

Phase 4

Préoccupation centrée sur le changement lui-même : «De quoi s’agit-il au juste?» on quitte la zone de confort.

Phase 5

Préoccupation sur le soutien disponible «Est ce que je vais être capable de…? ».

Phase 6

Préoccupation centrée sur la collaboration avec autrui «ça vaudrait la peine qu’on se réunisse!».

Phase 7

Préoccupation centrée sur l’amélioration continue «Essayons ceci … s’il l’on faisait cela …».

Ce modèle permet à chacun de comprendre le processus de changements et les étapes nécessaires par lesquelles chacun doit obligatoirement passer pour faire évoluer une représentation initiale.

Chaque personne, résidents, famille, bénévoles, visites comme collaborateurs de tous les secteurs est concerné par les changements. Je laisse chacun prendre le temps de faire sa propre analyse et de voir à quelle phase de préoccupation il se situe.

Dans la même veine technocratique, le directeur promet du neuf: «Les compétences métiers seront cartographiées pour permettre une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, des plans de formations en adéquation avec la stratégie institutionnelle pourront être construits».

Comment appliquer ce jargon de gestionnaire avisé en situation de handicap lourd?