La médiatrice ne répond plus

La Chaux-de-Fonds disposait d’une médiatrice à 50% pour les conflits de logement. Isabelle Peruccio a démissionné fin juillet. Personne n’a été nommé depuis. Retour sur cette rupture.

De nos jours, la médiation sert à mieux régler les conflits c’est reconnu. Avant de disséquer les raisons ayant poussé l’avocate locloise Isabelle Peruccio à cesser ses activités au service de la collectivité, quelques précisions sur la manière dont elle envisageait cette activité.

Désamorcer les bombes…

«Lorsqu’ils sont en conflit de voisinage, avec le concierge, un voisin ou la gérance ,au lieu de laisser les gens tricoter leur rancœurs jusqu’à ce qu’ils en  arrivent au col roulé où il n’y a plus moyen de leur faire changer d’avis, la médiation intervient en amont. Je suis persuadée que c’est l’avenir plutôt que de se retrouver au tribunal», déclare Isabelle Peruccio. 1000METRES.CH l’a rencontrée en son étude au Locle,

… avant qu’elles ne pètent

«Une fois installés dans leur logement, les gens sont persuadés d’être dans un nid, une sorte de dernier retranchement où ils sont seuls au monde, quasi intouchables. Alors si le jeune du deuxième met Rammstein à fond les manettes et la dame d’en dessous ne supporte que Mozart, il s’agit de leur faire comprendre la réalité de l’autre». Et ce avant qu’ils n’entament un procès pour nuisances acoustiques. L’idée est d’aider les protagonistes à trouver leur propre solution qui sera inévitablement plus pérenne puisqu’élaborée en commun.

Le boucan inconnu

À propos de bruit – le type de conflit le plus répandu avec les odeurs – Isabelle Peruccio a des dizaines d’anecdotes savoureuses. Voici la meilleure: une locataire se plaignait que son voisin d’en-dessus passait l’aspirateur tous les jours et déménageait ses meubles en permanence, provoquant des grincements insupportables à ses oreilles.
Fatale erreur! Il s’agissait simplement du bruit provoqué par les 5 roulettes de la chaise de bureau du gars d’en-dessus. «C’est symptomatique de l’incompréhension qui règne souvent dans ce genre de bisbilles», s’amuse l’avocate. Ajoutant sourire aux lèvres qu’aucun·e juge «ne pourrait résoudre ce conflit en scrutant la loi». D’où l’utilité de prévoir une conciliation en amont.

Menaces de mise à la porte

Lorsque les autorités créèrent le poste en 2014, elles avaient compris l’importance d’une conciliation directe. À l’époque, la commune se trouvait dans une phase difficile: après une rénovation du parc immobilier chaux-de-fonnier, beaucoup de locataires qui tournaient ric-rac se retrouvent en position précaire, ne pouvant plus déménager vu la hausse générale des loyers.
Un grand nombre d’immeubles ont en effet été vendus durant les années 2005-2015. Les promoteurs venus du Plateau où l’immobilier est hors de prix trouvaient à La Chaux-de-Fonds un havre pour investir rentablement à peu de frais.
Il était indispensable d’éviter autant que possible que les personnes précarisées doivent déménager pour se retrouver avec encore plus de gens en situation de crise aigüe au guichet des services sociaux.
La médiatrice intervenait «afin d’éviter les résiliations et rassurer les propriétaires pour qu’ils louent encore à des personnes désargentées».
Bien entendu, il s’agissait aussi, en arrière-plan, de laisser les privés revaloriser la Ville, en poussant la vente de vieilles maisons peu entretenues.

Ne pas appeler la police

En créant ce poste, la Ville avait mis en place une structure d’une part afin de répondre aux conflits de voisinage notamment au sein des immeubles gérés par la gérance communale. D’autre part, il s’agissait de rassurer les gérances privées ainsi que les propriétaires pour qu’ils continuent de louer leurs appartements à des personnes ayant peu de revenus tels que des rentiers AVS ou AI ou des bénéficiaires de l’aide sociale.
Comme rien de semblable n’existait auparavant, elle a commencé par mettre en place le concept. Le principe de base fut appliqué: il ne faut pas que les différends soient délégués à d’autres entités que les deux individus se querellant. En clair: ne pas appeler la police pour des odeurs de sardines ou déposer plainte contre un chien qui se conduit «mal», on s’adresse d’abord à la médiatrice.

Le processus de médiation demande aussi que le médiateur soit neutre et indépendant. Ainsi pour éviter qu’elle soit subordonnée directement au chef de dicastère responsable des immeubles et donc de la gérance communale, sa fonction fut rattachée au chef du Dicastère de l’action sociale. Cela lui permettait également de remplir l’autre partie de sa mission, à savoir être une interface en matière de bail à loyer entre les gérances et l’action sociale.

L’immeuble des services sociaux où travaillait la médiatrice

On lui attribua un bureau agréable et discret dans l’immeuble Juventuti à la rue du Collège où logent les services sociaux. La plaque qui signalait sa présence a été recouverte d’un nouveau libellé sur papier autocollant.

Médiatrice appréciée

«Durant mes années d’activités, je n’ai eu que des échos positifs», précise l’ex-médiatrice. Ses relations avec les gérances de la Ville ont été fructueuses. Et les personnes ayant averti 1000METRES.CH de sa disparition ne tarissent pas d’éloge sur son entregent et sa capacité de trouver des solutions arrangeant les deux parties en opposition.

À l’ouverture, un communiqué de presse a été largement diffusé, un flyer a été déposé à tous les guichets de l’administration communale. Ainsi, ce bureau a vite été connu. D’autant plus qu’Isabelle Peruccio a pris son bâton de pélerine pour aller rencontrer tous les acteurs susceptibles de lui envoyer des gens en litige. Histoire de rassurer en priorité les gérances sur son action positive.
La présence était adaptée aux besoins, la médiatrice se rendait au bureau 4 jours par semaine, avec une souplesse dans les horaires puisque les gens devaient toujours prendre rendez-vous, par téléphone ou par courriel. À noter que la fréquentation de ce bureau n’a pas été relevée scientifiquement, donc pas chiffres fiables disponibles, carence classique en Suisse.
La médiatrice recevait d’abord les deux protagonistes séparément, pour entendre chaque son de cloche, puis tentait de les rabibocher lors d’une rencontre directe.

Aucune annonce officielle

Pour comprendre pourquoi Isabelle Peruccio a présenté sa démission  à son supérieur Jean-Daniel Jeanneret, il nous a fallu du temps. Mi-juillet, la médiatrice n’avait pas souhaité prendre la parole avant de terminer sa tâche.

Or le Conseil communal n’a annoncé ni la disparition de son poste ni sa démission. Aucune communication officielle, donc rien dans la presse.

«C’était un bel outil»

Les relations entre les individus sont devenues plus tendues, constate la médiatrice. Primo, les services sociaux de la Ville ont connu de nombreux déboires sur lesquels il n’est pas lieu de revenir ici. Deuxio, les gens «sont de plus en individualistes, chacun dans sa bulle, moins enclins à s’arranger», précise-t-elle.
Le phénomène n’est pas limité aux dissensions entre locataires et propriétaires ou gérance; on constate la même évolution dans les écoles, les hôpitaux, les stades: chacun reste campé sur ses positions, l’autre a tort, point barre.

«Après une vie à travailler continuellement avec des personnes en conflits, j’aspire à plus de sérénité, nous confie Mme Peruccio. J’ai donc choisi de prendre une retraite anticipée. Vous me donnez l’occasion de faire la communication qui n’a pas été faite lors de mon départ», analyse-t-elle. «Je regrette la disparition de cette fonction, car c’était un bel outil. Toutefois, je conçois qu’on l’ai supprimé en période d’austérité».

On sent là toute la diplomatie dont sait preuve l’avocate qui pèse chaque mot prononcé lorsqu’elle parle d’elle.

Courage d’annoncer

On ne peut que regretter que cette affaire se soit terminée en eau de boudin. Il est unique en son genre d’entendre encore, trois mois après le départ d’une employée, sa voix expliquer au répondeur que le service de médiation est fermé. Et de trouver encore sur le site de la Ville son adresse mail qui aboutit dans un trou noir informatique.

Que les difficultés financières de la Ville aient conduit l’exécutif communal à supprimer ce poste est plausible, encore faudrait-il avoir le courage de l’annoncer.
Le silence est d’or, disent les instituteurs aux élèves bavards. Cela ne s’applique pas au Conseil communal.